Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
Il convient de saluer le travail du Centre d’Analyse Stratégique (CAS), service lié à Matignon, pour sa note n°320 de Février 2013 intitulée "Comment limiter l’effet rebond des politiques d’efficacité énergétique dans les logements?".
J’invite les lecteurs à plonger dans ces 14 pages bien écrites et documentées, téléchargeables à la fin de ce billet, qui offrent une très bonne synthèse sur un sujet rarement abordé.
L’effet rebond, mais au fait, de quoi s’agit-il ?
La note rappelle que "… les comportements de consommation minent (…) les économies d’énergie attendues, selon le phénomène de “l’effet rebond” (annulation des gains de performance énergétique permis par le progrès du fait d’une utilisation accrue des ressources)…"
Ou dit de manière plus directe : après des travaux de réhabilitation de logements ou la construction de logements théoriquement très performants, les économies d’énergie attendues ne sont pas systématiquement au rendez-vous car les occupants ont tendance à consommer plus d’énergie puisque leur logement est plus économe.
L’interrogation et les réponses du CAS portent sur la manière d’obtenir de la part des consommateurs, un comportement digne des performances offertes pour réaliser les économies d’énergie espérées et réduire notablement les émissions de gaz à effet de serre.
Je vais tenter de résumer cette synthèse et d’expliquer mon"humeur" sur cette question.
Une analyse intéressante, mais incomplète
Le CAS cite les trois instruments traditionnels d’actions pour réduire les consommations d’énergie : les normes et réglementations, les outils incitatifs (fiscalité, taxes, subventions) et les campagnes d’information. L’effet "rebond" est considéré comme un effet de "rattrapage" dans le cas de la précarité énergétique (10% des foyers français) : les habitants peuvent s’offrir un confort qui leur était inaccessible avant travaux. A facture constante, ils se chauffent plus qu’avant, ils consomment plus d’eau chaude sanitaire, …
En dehors de cette situation, il faudrait travailler au niveau de l’individu afin de changer les spontanéités, inciter sans contraindre. L’approche présentée est exclusivement sociologique puisqu’il est considéré implicitement que les Pouvoirs Publics et les professionnels de la finance et de la technique ont fait tout leur travail.
Il faut donc s’attaquer au comportemental, faire en sorte que l’habitant joue le jeu, s’adapte, devienne vertueux. Alors, le "rebond" disparaîtra…..et tous les travaux réalisés engendreront enfin les économies attendues.
Cet état des lieux a le mérite d’être clair, mais il va vite en besogne. Les réponses proposées à travers diverses expérimentations sur le terrain négligent des sujets curieusement absents. Cette négligence risque d’aboutir à des stratégies peu pertinentes.
Des expérimentations censées apporter des réponses
Les expérimentations actuelles reposent sur deux idées :
- Comprendre l’impact d’une information détaillée sur les consommations. Sur deux sites, des affichages in situ ou déportés (pour suivre ses consommations à distance) ont été installés.
- Encourager la transformation des comportements par motivation. Sur trois sites, des procédures ludiques ou de compétition entre habitants ont été mise en place.
Ces initiatives ont le mérite d’exister. Cependant, elles mettent mal à l’aise car elles donnent à penser que la question de l’effet rebond ne se réduit qu’à un problème d’information et d’habitudes de modes de vie. Proposer des concours entre familles avec récompenses, donner une image high-tech, passer par un jeu en ligne,…c’est traiter avec une certaine condescendance "l’habitant", celui qui empêche d’économiser en rond, celui qu’il faut éduquer en l’amusant, celui à qui il faut offrir des gadgets ou des objets "tendance". Les "smart meters" et autres "grid-teams", outre leur anglicisme connotant la modernité mondialisée, rappellent la "domotique" de la fin des années 1980 et son grand flop !
Que manque-t-il donc ?
Pour traiter l’effet rebond, il faut d’abord revenir à l’objet, c'est-à-dire au logement et à sa relation avec l’habitant. Le biais des conclusions du CAS réside dans le postulat que la progression technique a atteint ses limites en citant des chiffres de l’Ademe : les consommations des logements pour le confort (chauffage, ECS) ont baissé de 57% de 1973 à 2009 mais, en même temps, les consommations électriques pour l’électroménager ont pratiquement été multipliées par 3.
Mettre en œuvre une stratégie pour la transition énergétique, nécessite de redécouvrir quelques pistes sur lesquelles je reviendrais si des lecteurs le souhaitent. Ces pistes doivent être reparcourues par les professionnels, industriels, architectes, bureaux d’études, entreprises de manière à ce que le logement neuf ou réhabilité puisse être un objet facilement appropriable, compréhensible, gérable et qu’il induise des comportements cohérents.
Il faut bien sûr poursuivre le travail sur l’idée qu’un usager informé est mieux préparé pour les "bons" gestes. Il faut continuer à améliorer le fond et la forme des informations.
Le CAS résume les objectifs visés à travers les expérimentations en cours : mettre en place des concours mobilisant collectivités territoriales et familles pour créer des dynamiques locales de jeux d’acteurs, informer sur l’impact de différents comportements, donner les moyens pour acheter "performants" en informant sur le rapport coût/bénéfice.
Mais, il faut repousser l’idée que les logements neufs ou réhabilités offrent un maximum de performances "gâchées" par un usage largement perfectible. Avant d’incriminer l’habitant dans la contre-performance, il faut se pencher sérieusement sur les contre-performances générées par les logements.
Les normes, la RT, les DPE, les prêts bonifiés, les subventions directes ou indirectes sont nécessaires, mais insuffisants pour que "ça" marche.
Une réhabilitation ou une construction réussie sans effet rebond passe d’abord par une conception adaptée : les réponses des maîtres d’œuvre doivent intégrer le site, l’objet (neuf ou existant, maison ou appartement,), le contexte (bailleurs sociaux ou logements privés, occupants connus ou non,…). Par ailleurs, un effort important doit être poursuivi par les industriels. L’ergonomie des produits et des systèmes mis en place, l’interface "homme-machine" ne doivent pas mettre en difficulté ou en questionnement l’habitant. Guy Bedos qui réussit à nous faire rire avec sa lecture du Bottin, pourrait faire des merveilles avec la notice d’un programmateur….
L’offre de la maîtrise d’œuvre doit aussi s’exprimer dans tout son rayon d’action. Pas seulement le bâtiment, mais toute la parcelle. L’induction du bon geste ou du comportement vertueux concerne également les transports.
Cet article introductif n’entre pas dans le détail des questions techniques et liées à la conception des logements. Elles seront développées ultérieurement.
L’effet rebond n’est pas qu’une affaire de sociologues. Il reste encore beaucoup à faire pour les industriels, les maîtres d’œuvre et les entreprises. Dernière interrogation pour vous inviter à la réflexion : suivant que les consommations d’énergie sont exprimées au m² ou à la personne, l’effet rebond est-il présent …?
Bernard Sesolis
bernard.sesolis(at)gmail.com
"Comment limiter l’effet rebond des politiques d’efficacité énergétique
dans le logement ? – Note 320 – Fév. 2013"
Source : www.strategie.gouv.fr