Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
J’ai attendu l’annonce officielle de la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie) pour proposer cette « humeur ». Elle est massacrante parce que massacrée. Après un été ô combien démonstratif sur les effets de l’activité humaine sur le climat avec son lot de catastrophes, après l’abandon par le Brésil de la protection du poumon vert de la planète, après les frasques habituelles de Donald, après une présence médiatique sans précédent sur l’état environnemental planétaire suite aux récentes conclusions du GIEC et sur la biodiversité, nous sommes fin 2018 dans notre petit hexagone, interpellés par les « gilets jaunes », et dans notre petite Europe, par le probable désolant spectacle de la COP 24 à Katowice (Pologne) qui va enterrer la COP 21 de Paris. Il est utile de rappeler que l’accord validé en 2015 excluait l’aviation qui croît de 7% par an et le transport maritime ! Mais qu’importe puisque nous attendons de toute façon le 14 Décembre un frein, voire une remise en cause de cet accord « souple » et partiel.
L’ONU a publié un rapport alarmant sur les émissions record de 2017. 53 gigatonnes d’équivalent de CO2, soit 13 de trop pour se retrouver sur la voie déjà dramatique d’un réchauffement de 2 degrés en 2100. Les émissions repartent à la hausse !
J’attendais donc, naïvement, une surprise franco-française avec une PPE courageuse, lucide et mobilisatrice, tournant le dos à l’incroyable inertie de la plupart des entreprises et des Etats. Le Président Macron aurait pu faire une annonce fracassante au G 2O réuni en Argentine qui regroupe les pays émettant 80% du CO2 mondial mais également la presque totalité des installations d’énergie solaire et d’énergie éolienne.
Le coq a fait silence en bombant le torse avec persévérance. Nous arrivons à nous ridiculiser avec cette élégance que tout le monde nous envie ...
Produire de l’électricité avec un mix énergétique nucléaire et énergies renouvelables
1 - Coup d’œil sur la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie)
Commençons par des sujets qui fâchent beaucoup. Pratiquement rien sur la rénovation énergétique des bâtiments et sur la mobilité, les deux postes les plus énergivores et émetteurs. Un ministre pourrait toujours rétorquer que des procédures ont été annoncées ou déjà mises en place et que rien ne sera oublié. Sauf que, lorsqu’un plan pour l’énergie pour les dix années à venir est annoncé, certains sujets doivent être impérativement présents. Sinon, on doute.
Continuons avec un sujet qui fâche raisonnablement : le mix énergétique et en particulier, le mix électrique.
Il n’a échappé à personne que le lobby nucléaire a bien fait son travail. En conséquence, la PPE est un « machin » mou, muet sur les EPR et incohérent dans les chiffres.
Nous voilà donc bien parti pour stagner dans une situation qui arrange certains décideurs.
Songez ! Nous allons (peut-être) passer à 50% d’électricité nucléaire en 2035 pendant que les EnR contribueront à la production d’électricité à hauteur de 40% au lieu de 17% aujourd’hui. Et ceci avec un étrange calendrier de fermetures des centrales nucléaires : seules, les 2 tranches de Fessenheim seront arrêtées avant la fin du quinquennat, 2 à 4 tranches seraient arrêtées d’ici 2028 et pour les 7 années à venir, 8 à 10 nouvelles tranches finiraient par stopper. Si bien qu’en 2035, il ne resterait que 44 tranches nucléaires. Une sortie très très progressive … Continuons cette amusante comptabilité. En 2035, nous consommerons donc l’équivalent de la production de 88 tranches nucléaires. Même avec 15 millions de véhicules électriques, selon les scénarii de RTE (1), nous n’arriverions pas à ce niveau de consommation. A moins peut-être de relancer l’équipement des passoires thermiques avec des convecteurs électriques ?
Ce qui ressort de ces chiffres, c’est la place de strapontin laissée aux EnR. Elles seront là, non pas pour se substituer au nucléaire, mais pour prendre la place des énergies fossiles. Un raisonnement implacable du seul point de vue du CO2.
Le débat en France oppose deux camps retranchés qui ne s’écoutent pas. Pour les pronucléaires, les EnR doivent être consacrées principalement à la production de chaleur et remplacer le gaz, le fioul et le charbon (2). Ils n’ont aucun doute sur la qualité de gestion des quelques 500 tranches nucléaires réparties sur la planète et comptent sur les progrès scientifiques pour résoudre l’épineux problème des déchets. Et ils rêvent de pouvoir remplacer à terme les 1400 centrales au charbon par des EPR, en pensant prioritairement aux Etats-Unis et à la Chine … Ont-ils oublié qu’une centrale nucléaire est avant tout une centrale thermique qui produit deux fois plus de chaleur que d’électricité. Cette chaleur est rejetée dans l’atmosphère et dans les eaux dans 90% des cas. Quelle belle qualité de gestion de l’énergie !
Quant aux anti-nucléaires, ils considèrent qu’il n’y aura pas de réelle transition énergétique tant que le nucléaire sera soutenu. Sous-entendu, les EnR resteront marginales dans cette situation. Ils n’ont pas tort. Mais pour crédibiliser un scénario 100% EnR, la question de l’intermittence de production doit être examinée froidement. Le stockage est actuellement problématique du point de vue géostratégique. Les matériaux nécessaires pour la technologie actuelle du stockage sont principalement situés en Chine ou sont déjà sous contrôle chinois.
Il faudrait un plan « stockage » ambitieux pour sortir du dilemme. Mais la PPE est muette sur la question.
Il est annoncé un soutien de 71 milliards € pour les EnR entre 2019 et 2028, à peine plus que les efforts actuels.
A titre de comparaison, un rapport de l’ONG Oxfam publié le 24/11/18 précise que sur 2 ans (2016-2017), les 6 plus grandes banques françaises ont consacré 42,9 milliards € aux financements des énergies fossiles contre 11,8 milliards aux EnR ! Durant cette période, ces dernières ont vu leur financement réduit de 1,85 milliard €, chiffre correspondant à l’augmentation dans la même période pour le charbon, le gaz et le pétrole (3).
Quant aux EPR, ils ne sont pas cités dans la PPE. Un comble ! Une chose est certaine : l’exécutif et le lobby du nucléaire ne lâcheront pas le morceau. Selon Matignon, « le nucléaire n’est pas une énergie du passé » (4). Tout est dit. D’ailleurs, tout avait déjà été dit dès Septembre 2015 par le PDG d’EDF, un mois seulement après la promulgation de la loi de transition énergétique pour la croissance verte : il faudra prévoir un parc suffisant d’EPR pour remplacer les 58 tranches nucléaires actuelles à partir de 2040 ...
Bref ! Circulez (en voitures électriques), il n’y a rien de nouveau à voir.
2 - La goutte de diesel qui a fait déborder le réservoir
Augmentation du prix du carburant pour quels véhicules propres
Il n’a échappé à personne que le mouvement des gilets jaunes a pris une ampleur insoupçonnée.
Même l’exécutif commence à comprendre que la situation n’est pas anecdotique.
Pas question ici de faire une analyse politique du mouvement. En revanche, le déclencheur, à savoir, l’augmentation du prix du litre de diésel au 1er Janvier 2019, mérite un commentaire.
D’abord, on peut remarquer que le calendrier proposé est beaucoup plus resserré que la sortie du nucléaire, pour ne pas dire violent.
Ensuite, rappelons que les moteurs diesel relativement anciens émettent des particules dangereuses pour le citadin. En dehors des villes, le taux de dilution est important et il faut rappeler que le diésel n’émet pas plus de gaz à effet de serre, voire moins que les moteurs à essence. Dès lors, pourquoi frapper sans distinction, les véhicules utilisés en milieu rural, là où les transports en commun sont inexistants, et les véhicules circulant en milieu urbain dense ?
Et c’est justement cette distinction à laquelle il aurait fallu penser pour préserver à court ou moyen terme des véhicules utilisés par les classes moyennes ou en difficulté économique dans les sites ruraux et les petites villes.
La décision a été schématique et technocratique.
3 - Le véhicule propre …
Faut-il aussi rappeler également que tous les véhicules, y compris les véhicules électriques émettent des particules liées à l’abrasion des freins et des pneumatiques qui représentent ainsi près de la moitié du total des émissions liées au transport routier dans les zones urbaines, et même des niveaux supérieurs aux niveaux d’émission à l’échappement des véhicules récents.
Entendre à tout bout de champs que le véhicule électrique est le « véhicule propre » et qu’il serait temps que les derniers de cordée finissent par s’en payer une, a quelque chose d’impudent.
Je reviendrai en 2019 sur les véhicules électriques présentés comme le futur inéluctable des transports urbains, surtout s’ils deviennent « autonomes ». La méthode Coué utilisée ici veut aboutir à ce que nous trépignions impatiemment en attendant ce « progrès » technique.
En attendant, je souhaite à tous ceux qui supportent mes humeurs, une fin d’année digne de leurs attentes, ... à ne pas confondre avec leurs soi-disant « besoins » assénés par l’ambiance mercantile de Noël.
Bernard SESOLIS
Expert Energie Environnement
(1) - « mix énergétique : c’est vert, mais un peu juste », Libération - 28 Novembre 2018 - Jean-Christophe Féraud et Coralie Schaub
(2) - « Le nucléaire doit-il remplacer le charbon ? » - Le Monde - 16 Novembre 2018 - 2 collectifs, l’un anti-nucléaire, l’autre, pro-nucléaire.
(3) - « Les banques françaises préfèrent les énergies fossiles » - Le Monde - 25 et 26 Novembre 2018 - Audrey Garric
(4) - « Energies : les banques françaises se font beaucoup d’argent fossile » - Libération - 26 Novembre 2018 - Vittorio de Filippis
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers
Bonjour Monsieur abdelwahid
avez-vous lu mon article ?
Votre remarque démarre avec un "si" qui, pour l'instant, ne va pas dans ce sens. Vous espérez peut-être que la planète va se refroidir toute seule, malgré nous ? C'est vous le croyant ! La réalité dit pour l'instant exactement le contraire. Et en plus, vous croyez que ceux qui se tromperaient selon vous ne changeraient pas d'avis devant le futur que vous espérez ? Vous êtes décidément très très croyant......Et moi, à ma petite échelle, je m'accroche humblement à la science,...faute de mieux. Je suis un "zombie" qui n'est ni dans le déni et ni dans les faux procès. Chacun son truc....