Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 08 Juillet 2022
Sans vouloir gâcher les vacances de ceux qui partent en Juillet ou Août, les très grosses chaleurs seront probablement au rendez-vous. Et même si les températures s’avèreraient moins élevées que celles prévues, la sécheresse, elle, n’est pas une hypothèse mais déjà une réalité (1).
Pour conclure cette année 2021-2022 avant d’aller au vert sans oublier sa bouteille d’eau, cette humeur propose quelques sujets de réflexion sur la question du déni concernant la situation de notre planète, ou plus précisément, celle de notre collectivité humaine. A l’échelle des décideurs, la doxa économique du court terme balaye tout sur son passage. A l’échelle de chaque individu, le recentrage sur soi et la culpabilité se télescopent.
Petit état des lieux …
Changement climatique : « on a plus peur de se crasher aujourd’hui que de crasher le monde de demain - Par Bernard Sésolis -
Les climatosceptiques se portent toujours très bien
La cour suprême américaine dominée par les ultraconservateurs rappelle que l’histoire n’est pas linéaire. La barbarie est toujours présente. Après la piteuse et scandaleuse décision fin Juin sur la réduction ou l’interdiction du droit à avorter, vient de tomber début Juillet l’impossibilité pour l’agence fédérale pour la protection de l’environnement d’empêcher le redéploiement des centrales à charbon.
Le déni reste le grand sport mondial pratiqué par de trop nombreux pouvoirs politiques et des lobbies hyperactifs.
Poutine se tourne vers la Chine et surtout vers l’Inde pour déverser son pétrole et son gaz que l’Europe rechigne à continuer d’acheter. Cela renforcera le financement de sa guerre et contribuera à ce qu’il devienne l’un des plus grands émetteurs de carbone.
D’autres pays ne sont pas en reste. Les plus grands projets d’extraction d’énergies fossiles sont concentrés dans 10 pays qui représentent les ¾ des « 425 bombes climatiques » répertoriées par les chercheurs (2) : Chine, USA, Russie, Iran, Arabie Saoudite, Australie, Inde, Qatar, Canada, Irak. Certains de ces projets sont opérationnels depuis 2019.
Malgré leurs engagements sur la neutralité carbone en 2050, les majors du pétrole et du gaz s’appuient sur des recours massifs et discutables pour baisser comptablement leurs émissions de carbone.
Selon le journal « The Guardian », les projets pétroliers et gaziers qui seront lancés d’ici 2030 représenteront 192 milliards de barils, soit 7 années des émissions chinoises dont 1/3 avec des sources « non traditionnelles » (fragmentations hydrauliques) et parfois, dans des régions très sensibles (Arctique) !
Les principaux acteurs de cette catastrophe annoncée sont : Qatar Energy, Gazprom, Saudi Aramco, Exxon Mobil, Petrobras, Turkmengaz, Chevron, Shell, BP et notre champion national toutes catégories, Total Energie, qui continue à afficher sa profonde transformation depuis 2015 tout en accroissant sa production de gaz. Il est vrai que, si Total Energie investit dans les EnR, pour sa com et sa stratégie (allez savoir ! Peut-être que les EnR se développeront vraiment !), il serait intéressant de connaître sa balance actuelle et à venir en carbone …
Selon une étude parue dans Nature en 2021, d’ici 2050, il faudrait laisser dans le sol 60% des ressources de pétrole et de gaz et 90% de celles du charbon pour avoir une chance d’atteindre la neutralité carbone en 2050, soit une baisse de 3%/an en gaz et pétrole, 7%/an en charbon.
Un rapport de l’ONU de fin 2020 conclut qu’il y aura une hausse de 2%/an dans les dix ans à venir !!!
Les tartuffes des énergies fossiles persistent dans leur déni : « Couvrez ces réchauffements climatiques que je ne saurais voir. Par de pareils objets, les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées ».
Pour éviter ces « coupables pensées » et continuer à anesthésier les grenouilles que nous sommes qui se feront ébouillanter très progressivement, il nous est proposé un futur écologique compatible avec le consumérisme le plus débridé. La voiture électrique est un des objets cultes de ce délire.
Les COP se portent toujours aussi mal
La 27ème édition prévue en Novembre prochain à Charm El-Cheikh, en Egypte, se prépare dans la douleur (3).
Un des points majeurs à régler est le mécanisme de financement qui permettra aux pays en développement, souvent les plus affectés par les dégâts issus du changement climatique, de faire face aux catastrophes récentes et futures. La promesse d’une aide de 95 milliards €/an à partir de 2020 pour les pertes et les dommages subis n’a pas été tenue. Le Covid 19 n’est pas responsable de tout …
Faute d’une volonté politique commune et ambitieuse, les textes sont pour l’instant inconsistants.
Selon Aurore Mathieu (Réseau Action Climat), tout est englué dans l’hyper-technicité et les lenteurs procédurières.
Annonce d’un nouvel échec collectif programmé ?
Il faut assener à nouveau ce poncif : la géopolitique est encore et toujours dominée par les énergies fossiles … voire de plus en plus !
Et nous, comment nous portons-nous ?
La philosophe Hélène Heuillet, professeur à la Sorbonne, s’interroge sur le déni individuel (4).
Elle rappelle que se soucier de l’avenir oblige à se décentrer de soi, à adopter un point de vue cosmopolite et à abandonner l’illusion de maîtrise totale de sa vie personnelle.
Le « proche » n’est pas plus réel que le « lointain ». Le local ne s’oppose pas au global. Le déni écologique prospère chez qui, dans son quotidien, ne veut rien savoir de ce qui n’est pas soi. C’est une impasse mentale difficile à vivre qui pousserait à rester dans une bulle sans symbole, sans culture, sans un contexte indépendant de soi.
Cette fermeture d’esprit engendre, au pire, un conservatisme de mode de vie soi-disant fonctionnel et au mieux, un rapport au temps étrange où l’écologie n’est qu’un problème qui va finir par se résoudre.
Instaurer une autre relation à la temporalité et un autre mode de vie, c’est sortir de la culture de la consommation. Un changement angoissant quand on ne connait pas ce qui change …
Pourtant, « un monde habitable n’est pas un monde fonctionnel, mais un monde où la vie vaut la peine d’être vécue » nous rappelle la philosophe.
A ce titre, et dans les domaines qui nous concernent professionnellement mais également personnellement, on peut se référer au « Manifeste pour une frugalité heureuse et créative » (5) et s’en inspirer.
Selon une étude de 2019, 85% des Français se disent préoccupés par les questions environnementales tout en émettant 9 tonnes de CO2/personne.an alors qu’il ne faudrait pas dépasser 2 tonnes pour une neutralité carbone en 2050.
Ce paradoxe et le sentiment de culpabilité qui en ressort est évoqué dans une enquête du « Monde » (6) où Aurélia Schneider, psychiatre, résume bien la situation : « Chacun s’arrange avec sa culpabilité comme on le fait avec ses phobies. Cela dit, les patients viennent parce qu’ils ont peur de prendre l’avion, et non parce qu’ils sont désolés de polluer ».
On a plus peur de se crasher aujourd’hui que de crasher le monde demain ...
Et ce, paraît-il, à cause du striatum, organe du cerveau qui injecte des doses de dopamine (7) nous faisant réagir prioritairement pour notre « survie » immédiate (se nourrir, se reproduire, s’assurer un statut social, …), et qui empêche une vision à long terme. Et selon le spécialiste en neuroscience Sébastien Bohler (8), un gros défaut de notre cerveau vient que le striatum fait du zèle et nous pousse à l’hyperconsommation, marqueur du statut social.
Les classes moyennes et supérieures, les mieux informées, sont susceptibles de culpabiliser. Mais finalement, à quoi bon ? Continuer à faire sa part comme le colibri alors que cela ne pèserait au maximum que 25% des effets macroscopiques ?
Le striatum (en rouge) et le cortex cérébral (en beige) - « Le cerveau de l'homme serait paramétré pour ne pas être écolo » - Florent Vairet - Les EchoStart 03/07/2019
Selon Laure Noualhat (9), il est difficile d’en être conscient et de continuer quand même. Il est décourageant de relativiser les gestes vertueux. Il faut résoudre une équation personnelle entre ce à quoi on ne peut renoncer et ce qu’on peut transformer. « Il y a de moins en moins de gens névrosés au point de foutre leur vie en l’air à cause de leur culpabilité écologique » précise-t-elle.
En citant deux exemples (la fabrication d’une Toyota hybride Prius nécessite autant de CO2 que celle d’un 4x4 Hummer, la production de riz mondial émet autant de méthane que l’élevage), elle fustige ceux qui déplacent les problèmes en ramenant tout à la lorgnette du CO2, et conclut par une savoureuse analogie : « C’est un peu comme si votre mec arrêtait de vous tromper mais devenait alcoolique ».
La France est pratiquement le seul pays où les toilettes sont alimentées par de l’eau potable, alors que, parallèlement, 9 000 personnes meurent chaque jour d’en manquer. Allons-nous par mauvaise conscience, nous mettre au régime riz-carottes ?
Comment renoncer efficacement sans frustration ? Comment reconstruire un monde où la vie vaut la peine d’être vécue ? Comment se persuader que vivre avec moins, c’est vivre mieux ?
En vacances, sur votre chaise-longue, lisez le « Manifeste pour une frugalité heureuse et créative » (5) et vous y trouverez peut-être des réponses et votre bonheur.
- « La probable sécheresse estivale se précise » - Le Monde - 20 Mai 2022 - Martine Valo
- « 425 bombes climatiques identifiées » - Le Monde - 17 Mai 2022 - Audrey Garric - Perrine Mouterde
- « A Bonn, les négociations climatiques sont au point mort » - Le Monde - 19 et 20 Juin 2022 - Audrey Garric
- « Pourquoi le déni écologique persiste-t-il ? » - Libération - 20 Mai 2022 - Hélène Heuillet
- Cité dans « Génération frugale pour un scénario zéro carbone en 2050 » - Xpair - 30 Juin 2020 - Philippe Nunes, DG de Xpair
- Dossier « Tous écolos imparfaits » - Le Monde - 6 et 7 Mars 2022 - Marroussa Dubreuil
- La dopamine est un neurotransmetteur, une molécule biochimique qui permet la communication au sein du système nerveux, et l'une de celles qui influent directement sur le comportement (Wikipédia). Elle joue sur la motivation, la productivité et la concentration. Elle nous permet de mieux planifier et de résister aux impulsions qui pourraient entraver la réussite de nos objectifs.
- « Bug humain » - Sébastien Bohler (Editions Laffont - 2019)
- Ancienne journaliste de Libération, réalisatrice de documentaires et auteure de « Comment rester écolo sans finir dépressif » - Tana Editions 2020
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers
Merci Bernard pour ce billet toujours aussi lucide !
Justement j'assistais à une conférence de Laure Noualhat ce Dimanche.
A mon sens, le seul moyen de garder espoir malgré la névrose ambiante sur fond d'effondrement, c'est l'action locale, notamment par l'information et la stimulation du collectif. Se mobiliser avec les autres volontaires dans des projets de reconstruction d'une économie locale (notamment alimentaire), cela donne du sens pour tout le monde :)
Je recommande à ce sujet la lecture des volumes d'Yggdrasil et les 2 numéros de la revue 90° des Colibris.
Bonne journée,
Jérôme - Ingénieur maîtrise de l'énergie