Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 13 Janvier 2023
Chers lecteurs de cette dernière humeur 2022, par avance je vous dois des excuses.
Habituellement, je m’efforce à proposer une synthèse de mes lectures quotidiennes et à exposer un point de vue plus ou moins étayé mais fatalement subjectif sur des thèmes qui me sont chers et qui s’inscrivent directement ou indirectement dans le champ de la climatique des bâtiments et de l’urbain.
Pour cette humeur, je dois avouer que ma colère m’empêche d’avancer des propos structurés et raisonnables. C’est une « mauvaise humeur » dont je vais vous faire part. Elle a plus l’allure d’un coup de gueule que celle d’un article se voulant informatif.
Ainsi, je vais commenter l’actualité qui nourrit mon courroux avec l’effet immédiat de réduire mon taux d’adrénaline … c’est déjà ça.
Venons-en d’abord à la COP 27 !
On nous avait habitués à des fiascos. Celui-là est d’autant plus retentissant qu’il est dramatique. Les enjeux principaux de cette nouvelle conférence de Charm el-Cheikh concernaient le financement du développement des pays qui n’en finissent pas d’émerger et la réparation financière des conséquences du changement climatique pour les pays faiblement émetteurs en carbone, mais aux premières loges des catastrophes principalement dues à la gabegie énergétique des pays développés.
Quoi de plus équitable ! Le « minimum syndical » climatique en quelque sorte. Eh bien, la COP 27 a débouché in extremis sur un accord consistant à pondre un fond dédié. Les pays qui ont souffert des catastrophes passées … et souffriront de celles à venir sont très contents ! Un nouveau tiroir leur est attribué pour réparer les dégâts passés et futurs. Mais ce tiroir risque de rester vide ou, au mieux, de s’avérer largement insuffisant car aucun engagement précis de financement réel n’a été signé entre les pays riches qui continuent joyeusement de carboner la planète.
Songez ! Près de 1 000 lobbyistes des énergies fossiles étaient présents à cette conférence. Aussi à l’aise que des serials killer pédophiles dans une école maternelle !!!
En 2022, le poids des charbonniers, pétroliers et des gaziers n’a pas faiblit. Leurs influences et leurs moyens de pollutions, de nuisances et de corruptions restent gigantesques. Ils peuvent tout acheter. Tant qu’on ne pourra pas se passer des énergies fossiles, nous continuerons à dépendre de ces acteurs cyniques qui jouent la montre et pratiquent l’obstruction. Leur buisines rapporte trop pour qu’ils infléchissent sérieusement leurs stratégies.
La taxe, souvent représentée comme une violence économique reste pourtant un des moyens politiques pour à la fois restreindre l’usage des énergies fossiles et pour réparer ce qui doit l’être. Mais pour taxer, il faut des décideurs dignes de ce nom ! La violence, la vraie, est du côté des cyniques.
Jusqu’à quand allons-nous jouer ce petit jeu ? N’est-ce pas déjà suffisamment macabre pour le climat et la biodiversité dont nous faisons partie intégrante ?
Combien de morts, de drames, de destructions, d’injustices avant de tourner la page de l’industrialisation à outrance, de la consommation sans limite, du gavage pour les uns et de la faim pour les autres ?
Les logiques économiques dominantes sont obsolètes pour assurer à 8 milliards d’humains, une vie digne. D’ores et déjà, la barre des +1,5° maximale en 2100 affiché à la COP 21 de Paris en 2015, sera largement dépassée selon les spécialistes.
J’enrage de ce spectacle où des gens s’embrassent après avoir participé à la COP 27 parce qu’un accord de principe a été trouvé. Peut-on encore se contenter de cet attentisme béat ?
Avec 50 ans de moins, j’aurais probablement tenté d’asperger de mayonnaise des objets mythiques pour réveiller les consciences. Mon âge ou ma lâcheté peut-être, me laisse inactif et frustré dans mon fauteuil. Dans l’échelle de la violence, qui a le pompon ? L’adolescent qui asperge un tableau de maître ou un tanker gorgé d’objets souvent inutiles et fabriqués dans des conditions misérables ?
Sans transition et comme à la télé, passons à la fête !
La moitié de la planète s’intéresse beaucoup à des hommes (mais beaucoup moins à des femmes) qui tapent avec leurs pieds dans un ballon pour amener ce dernier dans le but du camp adverse.
Pardonnez-moi cette dérision si facile pour un sport qui, parait-il, unit tous les hommes ou presque, de toutes conditions et de tous les pays ou presque. Ah la belle image de l’humanité fraternelle et réconciliée ! Bref, c’est à nouveau la fête planétaire et peu importe où et comment elle aura été organisée. De méchantes langues voudraient la boycotter ou la gâcher en invoquant les conditions inhumaines dans lesquelles les infrastructures ont été construites, ou bien encore, l’endroit même de son déroulement qui a nécessité (mais était-ce vraiment nécessaire ?) de climatiser un stade à ciel ouvert.
Oh les vilains gâcheurs de plaisir ! Oh les rabat-joie misanthropes !
Ce n’est pas la première fois qu’une grande manifestation sportive fait l’objet de critiques car les nations organisatrices s’intéressent particulièrement à l’image qu’elles veulent donner. L’histoire des jeux Olympiques et de quelques coupes du monde l’atteste. Penser que les sports à haut niveau et leurs guerres soft qu’ils engendrent entre nations et entre sponsors doivent être séparés de la politique, c’est vouloir séparer deux siamoises avec un ouvre-boîte.
De ce point de vue, ni l’Europe, ni l’Amérique n’ont de leçons à donner au Qatar ou à d’autres pays d’Asie. On peut brocarder cette coupe du monde mais aussi les boycotteurs d’opérette qui suivent les matchs à la télé ! Les pays arabes et asiatiques suivent le modèle occidental qui leur a été imposé au XXème siècle. Parfois, l’élève dépasse le maître.
Du point de vue de la gabegie des impacts environnementaux, c’est effectivement le cas ! Dans cette spirale absurde, on peut rappeler que les futurs jeux d’hiver asiatiques de 2029 se dérouleront en Arabie Saoudite !
La bêtise n’a pas de limite. A ce compte, pourquoi ne pas imaginer de futurs jeux Olympiques d’été à 1 000 m sous la mer. Ça aurait de la gueule …
Finalement, ce qui s’est passé à la COP 27 et ce qui se passe dans cette nouvelle coupe du monde de football, tout cela forme un ensemble d’évènements cohérent.
On peut passer sans transition d’un sujet à l’autre. Il n’y a pas de coq, il n’y a pas d’âne, il n’y a que notre folie collective qui nous fait regretter que les actions contre le changement climatique et l’équité environnementale avancent si peu, tout en nous faisant oublier le sujet grâce à 22 types cherchant à donner des coups de pieds dans un ballon avec, in fine, des conséquences écologiques désastreuses et scandaleuses. Pauvre ballon ! Pauvres passionnés de foot, ceux qui pratiquent ou pas, ceux qui éduquent et cultivent le lien social avec ce sport !
Du pain et des jeux
Depuis l’antiquité, l’exercice du pouvoir a souvent consisté, soit à maintenir les peuples sous une tyrannie, soit à faire en sorte que la population se contente d’être nourrie et divertie sans se soucier d'enjeux plus exigeants ni du besoin commun. D’ailleurs, les deux options ne sont pas contradictoires … Zbigniew Brzeziński qui a été conseil de Carter et d’Obama (1) a récemment théorisé le principe de mise en œuvre d’un système fait pour inhiber la critique politique chez les laissés-pour-compte du libéralisme et du mondialisme.
Ce système s’appuie notamment par l’omniprésence de divertissements abrutissants et une satisfaction immédiate et suffisante des « besoins primaires » humains. A ce propos, les GAFAM contribuent largement à ce fonctionnement.
Fin de partie
Ouf ! Ça y est, ça va moins mal … Ma rage s’est un peu estompée. Je peux vous souhaiter une fin d’année festive mais néanmoins frugale. L’année 2023 va démarrer sur de nombreuses incertitudes quant à la transition écologique, les choix énergétiques, les actions à mener prioritairement.
Le bâtiment en France, rappelons-le, c’est 45% des énergies primaires et le ¼ des émissions de gaz à effet de serre totales. A ce titre, les acteurs du bâtiment sont en première ligne.
- Zbigniew Brzeziński : Cf. Article de Wikipédia
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers
Merci M. SESOLIS pour ce billet d'humeur dont je partage l'intégralité des propos.
Tant que les peuples se laisseront diriger par des personnes chantres ou sous le joug de l'ultra-libéralisme forcené nous ne sortirons pas de cette spirale mortifère pour la planète et l'humanité.
Bonne fin d'année à vous et vos proches.