3 000 milliardaires sur la planète ! Alors 2024, année banale ou charnière ?

Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 13 Février 2024

Chaque nouvelle année est celle des résolutions, bonnes de préférence.  Alors, 2024, année banale ou année charnière ? Globalement, les activités humaines s’organiseront et évolueront selon le bon vouloir des tenants du pouvoir économique (environ 3 000 milliardaires sur la planète). De sorte qu’un contexte très juteux pour eux sera banalement reconduit aussi longtemps que possible. La concentration et le niveau des richesses n’ont jamais été aussi élevés dans l’Histoire moderne, à l’instar d’Elon Musk qui a osé réclamer 56 milliards $ pour ses rémunérations de 2018, demande rejetée par jugement dans l’Etat du Delaware.


planète


2024 : année banale, assurément

Ce sera une année plus olympique qu’olympienne. Nous continuerons à assister aux spectacles désolants des guerres locales, organisées ou oubliées par les puissances réellement aptes à faire arrêter les massacres, et à l’habituelle compétition entre Etats, qui en cette nouvelle année, prendra la forme dérisoire et symbolique de celle des athlètes. Et on nous servira  les discours expliquant que le sport de haut niveau mondialisé et médiatisé n’a rien d’incompatible avec l’écologie et les enjeux environnementaux majeurs.

Il est peu probable qu’une politique dépasse les intérêts nationaux, que les gouvernants arrêtent de privilégier le court-terme national (il y a toujours des élections qui se préparent) et intègrent réellement le long terme auquel ils n’assisteront pas.

Bref, nous allons entendre toujours la même musique. Mais n’ayez crainte braves gens, de nouvelles solutions technologiques pourraient venir à bout des menaces liées au changement climatique comme le captage de CO2, ou la voiture électrique ou encore le nucléaire. Mais comme il n’est pas certain que ce soit des choix réalistes, notre ministre chargé de l’Ecologie demande déjà à ce que nous préparions notre adaptation pour un réchauffement de plus de 4° en France en 2100. Cette demande est un aveu d’acceptation du pire scénario envisagé par les experts, celui qui correspond au laisser-faire ! Ce n’est pas une gestion des risques, mais plutôt l’expression de l’impuissance du politique face aux réels décideurs pour qui, rien ne doit changer dans les fondements de l’économie et de la finance, ou alors, juste à la marge pour faire croire à une transition alliant progrès et écologie. La COP 28 en aura été le dernier syndrome. En attendant la COP 29 qui se déroulera à Bakou, en Azerbaïdjan, pays dont la manne pétrolière représente 50% de son PIB !


COP 28, banale et si peu charnière. « On continue comme d’habitude »


jeunes inquiets changement climatique


Vous avez probablement pris connaissance des conclusions de cette 28ème COP largement commentée. En termes de synthèse, on peut juste citer des titres d’articles ou de réactions dans la presse. Ceux que je consulte résument cette grande foire aux négociations sur le changement climatique et sur la résolution très emberlificotée et très interprétative de la « transition hors des énergies fossiles ».  

En vrac : Le Monde le 14/12, « COP28 à Dubaï, un compromis inédit », Libération le 16/12, « COP 28 ; A la fin, ce sont les énergies fossiles qui gagnent », Libération le 18/12 ; « Les COP  sont une course à la lenteur » (l’historienne des sciences Amy Dahan),  Le Monde le 22/12, « Même si le texte de la COP 28 ne va pas assez loin, y accorder du crédit, c’est déjà le rendre opérant » (Lola Vallejo, Institut du développement durable), Le Monde le 30/12 ; « Le bilan de la COP 28 souligne la gravité de la situation » (Valérie Masson-Delmotte, paléo climatologue et Sonia Seneviratne, climatologue), Le Monde, « A la COP 28, le retour du satisfecit ritualisé » (Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences).

La seule réelle bonne nouvelle aura été la création d’un fonds pour les pertes et préjudices destiné à indemniser les pays les plus exposés aux conséquences du changement climatique. Mais sans réel calendrier et surtout sans obligation de montants ! Un beau tiroir, certes, mais encore et toujours vide.

Vingt-huit COP pour en arriver à faire figurer dans la formulation finale le terme « énergie fossile » (et encore, en incluant le gaz comme une « énergie de transition » !), ça dut bien faire rigoler les conseils d’administration des groupes pétroliers et gaziers. Même plus besoin de jouer la montre, on continue comme d’habitude. Certains pays convoitent de nouveaux sites d’exploitation pétrolière et gazière : la Norvège, le Royaume Uni, les USA, la Russie ; d’autres pays se déchirent pour mettre la main sur de nouveaux gisements potentiels comme le Venezuela et le Guyana, Israël et la Turquie, d’autres encore affichent leurs prétentions sur l’Arctique, comme la Russie et la Chine.

Si rien n’arrête ces entêtants réflexes rappelant le début du XXème siècle, nous irons tout droit à +4° et plus au XXIIème siècle.

Nous devrions donc penser d’ores et déjà à nous adapter !  Quel avenir radieux ! Sur 10 000 jeunes de 16 à 25 ans interrogés dans dix pays, près de 70% ont déclaré être « très inquiets » ou « extrêmement inquiets » du changement climatique [1]. Nous venons de réaliser que, dans les pays « riches », principaux responsables de cette situation, les habitants sont de moins en moins enclins à faire des enfants. Une des causes de cette dénatalité est la peur du futur.

Quand allons-nous agir en intégrant dans nos décisions ce  vieil adage amérindien « La Terre ne nous appartient pas, nous l’empruntons à nos enfants » ? Est-ce trop tard ? Avons basculé dans une nouvelle ère ?


2024 : année charnière ?

Il ne vous a pas échappé que l’année 2023 aura été la plus chaude jamais enregistrée sur la planète. Sur la journée du 17 Novembre, cette température moyenne a dépassé de plus de 2° sa valeur de l’ère préindustrielle. Très mauvais signe quand, en même temps, tous les pays ont signé l’accord de Paris en 2015 prévoyant de ne pas dépasser cette température de référence en moyenne sur l’année de plus de 1,5° en 2100 !

Les records de chaleur se constatent également dans les océans, avec des conséquences aussi incalculables qu’inimaginables [2].

Aurait-on d’ores et déjà franchi un point de bascule et sommes-nous entrés dans une nouvelle ère. Certains se posent sérieusement la question comme par exemple le philosophe Patrice Maniglier [3]. Il rappelle qu’un changement d’ère est lié à un changement important dans l’Histoire de la planète et de l’Humanité. La définition du début d’une nouvelle ère, quoiqu’arbitraire, s’appuie sur des changements radicaux tels qu’une catastrophe (météorite géante, éruptions volcaniques intenses, …), le début du règne d’une dynastie, un profond changement culturel, …. Qu’est ce qui importe le plus et en commun les 8 milliards d’habitants, sinon le bouleversement des écosystèmes et du climat ?  

L’augmentation de la température moyenne globale terrestre (TMGT) concerne toute l’humanité et de manière plus universelle que la naissance de Jésus-Christ, du départ pour Médine de Mahomet, du soi-disant début du monde selon la Bible ou de la première année du règne de l’Empereur de Chine.

Selon le 6ème rapport du GIEC (2021), la TMGT atteindra +1,5° dès 2033. Et comme les émissions de gaz à effet de serre sont toujours en hausse, les +1,5° pourrait être atteints dès 2028 et +2° dès 2049. Si cela arrive, nous aurons provoqué selon Patrice Maniglier la « Grande faillite » qui mériterait le qualificatif de changement d’ère et un changement de calendrier. Nous pourrions nous souhaiter une bonne nouvelle année « -25 » plutôt que 2024. L’année 1 de la nouvelle ère commencerait donc en 2049.

Dans une récente chronique, Bernard Werber, écrivain français, notamment connu pour sa trilogie des Fourmis, revient sur le terme « anthropocène ». Ce néologisme bien connu qualifie une nouvelle ère où l’activité humaine serait devenue le facteur principal des changements sur la planète. L’anthropocène succèderait à l’Aulocène caractérisé par un climat tempéré depuis 12 000 ans et au plus ancien Plistocène caractérisé par une période de glaciation.

« Anthropocène » parce que les changements de la température et de la biodiversité sont dus à l’acidification des océans, la réduction de la couche d’ozone, la dispersion de micro et nanoparticules de polluants et de plastique, l’emploi massif d’engrais chimiques qui gangrènent les sols et polluent les cours d’eau, la déforestation, …

Ce soi-disant passage d’une ère à l’autre ne serait-il qu’une vue de l’esprit, un discours de militant ? Lors d’un congrès international de Géologie en 2016, les participants considérèrent que les changements n’étaient pas suffisants pour déclarer ou annoncer une « nouvelle ère ». Mais en Juillet 2023 fut publiée une étude sur les fonds du lac Crowford au Canada. Des carottages et l’analyse des différentes couches afin de déceler des marqueurs montrent qu’à partir de 1950, l’histoire s’est accélérée et que dorénavant, l’Homme est devenu le facteur le plus influent sur tout ce qui concerne la surface de notre globe terrestre.

2024 pourrait être qualifiée d’année charnière, l’an 0 de l’ère de l’anthropocène. En dehors de toute emphase théâtrale, il nous faut plus que jamais prendre en considération l’état des connaissances, écouter les scientifiques spécialistes et agir en conséquence dans l’urgence et fortement, puisque notre action, si elle a eu des effets négatifs sur le seul lieu où l’Humanité peut vivre, doit aussi pouvoir suffisamment préserver notre petite planète bleue. Rien ne serait pire que d’attendre gentiment la 29ème COP à Bakou.


Et le bâtiment dans tout ça ?


bâtiment parc existant


Petit rappel d’un fait bien connu : le bâtiment en France = 25% des émissions de gaz à effet de serre.

Il faut continuer à construire car nous manquons de logements. Il nous faut réhabiliter le parc existant et mieux utiliser les bâtiments inoccupés. Le monde du bâtiment travaille mais de manière encore insuffisante face à l’urgence.

Rien ne serait pire que l’autosatisfaction.

Dans le secteur existant, les travaux de rénovation et d’adaptation ne sont pas la hauteur des enjeux. Cela fait trop longtemps que la nécessaire massification des travaux de réhabilitation reste une chimère. Faute de volonté politique. Faute de moyens. Faute de l’inertie de certains acteurs. Le diagnostic de la situation est connu depuis des lustres.

En construction, la conjoncture n’a pas été favorable pour appliquer la RE2020 en pleine sérénité. L’observatoire de la DHUP montre que 260 000 attestations ont été envoyées et concernent 11 300 bâtiments achevés, presque qu’exclusivement des logements, dont 11 000 maisons individuelles. En application depuis 2 ans dans le secteur résidentiel, la moisson est faible. Le Ministère de l’Ecologie va probablement préciser ces chiffres, peut-être par la voix du ministre ou au secrétaire d’Etat délégué aux logements, mais qui, à cette heure et après presqu’un mois de gouvernement Attal, n’est toujours pas nommé.

L’approche énergie-carbone semble avancer à petits pas. L’ambitieuse mais nécessaire « stratégie nationale bas-carbone » et son objectif 2030 n’est-elle restée qu’au niveau de la « com » ?

Rien ne serait pire que de nous vautrer dans la procrastination en cette année « charnière ».  
 

  1. « Paralysie ou solution, comment « l’anxiété climatique détermine notre réaction face au réchauffement » - site Web -Nowledge / Skema Business School, Mai 2023, Soez Jarrousse, Amandine Médard, Rodolphe Desbordes et Frédéric Munier
  2. « Dans les océans, d’inquiétants record de chaleur » - Le Monde - 2 Février 2024 - Matthieu Goar
  3. « Sommes-nous en 2024 ou en l’an I du réchauffement climatique » - Libération - 5 Janvier 2024 - Patrice Maniglier.
  4. « Vers l’anthropocène » une nouvelle ère géologique » Chronique - Le biais de Bernard Werber - France Culture - 3 Janvier 2024 - 7h56-8h00



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