Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 02 Juillet 2020
J’écoutais distraitement le matin du 15 Juin les infos sur France Inter quand soudain, quelque chose me mit la puce à l’oreille … Il était justement question de nouveautés technologiques et en particulier la possibilité d’implanter une puce sous la peau permettant de multiples applications.
Est-ce la suite logique du « tout connecté » des objets, une nouvelle étape de la modernité, un nouveau gap technologique qui rendra encore plus radieux notre futur ?
L’humeur de ce mois porte sur ce que je considère a priori comme un danger potentiel pour nos sociétés.
De l’objet connecté à la personne connectée, n’y a-t-il pas un glissement vers une société totalitaire ?
1°) Corps « naturel », corps « artificiel »
Depuis la nuit des temps, l’Homme a modifié volontairement son corps pour toutes sortes de raisons. Etre le plus fort, parvenir au pouvoir et l’exercer en augmentant ses possibilités physiques et intellectuelles. Suppléer ses manquements, ses handicaps. Soigner ses maladies ou leurs effets. Préserver un semblant de jeunesse. Repousser la fin de vie, … la liste est longue.
De la jambe de bois au botox, des lunettes au sonotone, du pacemaker aux implants dentaires, des cheveux implantés à la greffe d’organe, des herbes médicinales aux nouvelles molécules des médicaments, toutes ces adjonctions montrent à l’évidence que notre corps perd rapidement toute virginité, tout son naturel, et ce, dès la naissance (et parfois même avant !) jusqu’aux derniers instants de vie.
L’évolution des connaissances et des technologies ont sophistiqué progressivement ces ajouts, ces auxiliaires corporels. La culture abonde sur le sujet fantasmatique du surhomme, mi-machine, mi-animal. Nous ne sommes cependant pas (encore !) devenus des « robocop » ou des Frankenstein.
Il serait curieux de rejeter, comme le font certains, une greffe, une vaccination ou une transfusion sanguine. Il serait ridicule de craindre tout ce qui supplée à nos impuissances, tout ce qui accroit notre résistance, nos performances, tout ce qui soulage ou soigne nos souffrances. Certains grands singes pratiquent la médication végétale. Nous sommes voués, par notre intellect à nous aider. Les philosophes, les médecins, les politiques réfléchissent sur l’éthique de notre intégrité corporelle et intellectuelle. Leurs réflexions et leurs décisions doivent la garantir.
2°) « Une puce sous la peau »
C’est ainsi que Libération titrait un article (1) évoquant qu’un patron d’une boîte de nuit à Barcelone avait trouvé un moyen infaillible pour filtrer ses clients en leur demandant de se faire greffer sous la peau une puce permettant, via un lecteur adapté, de les identifier.
Ce que je considérais comme une anecdote est revenu sur le devant des médias en Février dernier. Plusieurs journaux papier (2) et télévisuels citaient une nouvelle expérience menée en Suède. A Stockholm, la société Epicenter propose à ses salariés de se faire greffer une puce RFID (radiofréquence) de la taille d’un grain de riz dans la main.
400 des 700 salariés ont accepté. La direction affirme qu’il n’est aucunement question d’un flicage dans l’entreprise. Fini les badges pour aller déjeuner, entrer et sortir, faire une photocopie ! Le tout en un. Et plus besoin de craindre d’avoir laissé le fameux badge dans la poche du pantalon qui tourne dans le lave-linge … Un vrai progrès donc. D’autant que les salariés ne sont pas dans l’obligation. Ils ont le choix de garder leurs badges, leurs cartes magnétiques et leurs mains intactes.
3°) La dictature de la connexion
Je ne reviendrai pas ici sur le « tout connecté » des objets qui est devenu le sujet branché.
La communication entre objets peut s’avérer pertinente dans beaucoup de domaines comme ceux de la maîtrise de l’énergie, de la mutualisation des services et des biens, de l’amélioration du confort et de la qualité des ambiances. Cet attrait vers ces nouveautés technologiques peut parfois friser le ridicule (3) et nous donner des occasions d’en rire. Tant qu’on connecte des objets entre eux, il n’est à craindre que des applications pouvant mener à des catastrophes domestiques. Tant qu’on peut se connecter à loisir à des objets, aucune appréhension, aucun rejet a priori du « progrès ».
Il en est autrement pour les connections entre personnes. Le téléphone, le mail, les sms, Skype ou équivalent sont d’extraordinaires moyens de communications, certes. Les réseaux sociaux aussi.
Ne pas se montrer devient louche. Ne pas s’insérer dans un réseau, c’est peut-être vouloir cacher quelque chose ou souhaiter se marginaliser. La société a de plus en plus tendance à exclure ceux qui refusent d’être en communication permanente avec n’importe qui. Ce modèle de la transparence et de la superficialité s’insinue et s’impose inéluctablement dans nos relations affectives et professionnelles.
Cependant, le choix de ne pas se connecter reste encore une option étant donné que les objets de connexions sont indépendants de notre corps. Le téléphone portable, le vêtement dans lequel seraient insérés des objets communicants, des Google Glass, ...
En revanche, une fois la puce greffée sous la peau ou la pilule ingérée (autre moyen d’installer une puce), la connexion n’est plus décidée par le porteur. Elle devient inévitable car permanente et intégrée.
On peut légitimement et sans paranoïa s’interroger sur une société où tous nos actes seraient connus, répertoriés, classés pour, soit disant, nous faciliter le quotidien, nous préserver des dangers, nous profiler afin de mieux nous servir.
Bienheureux sont les naïfs !
Bernard Sesolis
bernard.sesolis(at)gmail.com
- (1) « Une puce sous la peau », Libération, François Musseau, 3 Juillet 2014
- (2) Par exemple : « Implantation de puce sous la peau », Le Monde.fr, 9 Février 2015
- (3) Voir les humeurs de Février 2014 et Janvier 2015
Merci, Bernard, pour vos billets d'humeur qui questionnent "le sens de".
A propos d'une société du « be connected » à tout va, voir ce l'émission radio "Place de la toile" (du 19/04/14, France Culture, en pod-cast : http://www.franceculture.fr/emission-place-de-la-toile-plaidoyer-pour-une-souverainete-numerique-2014-04-19#comments ) qui invite à prendre un peu de hauteur vis à vis du phénomène en "poussant le bouchon" des conséquences : considérer une société et un monde du travail profondément modifiés par cette marche vers l’économie numérique, non sans risques !
Outre les critiques formulées sur le contenu et le parti-pris proposé (cf. certains commentaires), cette émission a le mérite de questionner quant aux enjeux majeurs liés à l’économie numérique (et des réponses possibles). Des problématiques sont illustrées de manière prospective mais concrète : droit privé et statut des données personnelles, modèles en réseaux, hypothèse d'effondrement des classes moyennes supérieures, … Que pourraient être les modes de vies et les sociétés d’ici 10-20 ans compte tenu de ce phénomène ?
« Plaidoyer pour une souveraineté numérique : Et si nous ne mesurions pas bien ce qui est en train de se passer ? Et si nous étions à la veille d’une crise majeure due au numérique ? Disparition de la classe moyenne, fuite des emplois hors de nos frontières. Et si un des aspects principaux de cette crise était la disparition de notre souveraineté, l’abandon aux Etats-Unis de la part logicielle de nos vies, et de nos données ? C’est le point de départ de la réflexion de notre invité Pierre Bellanger : fondateur et président de la radio Skyrock, qui a été pionnière dans les usages des réseaux (avec notamment les fameux Skyblogs, auxquels nous avions consacré une émission il y a quelques années). Vient de publier chez Stock un ouvrage intitulé La souveraineté numérique. Le point de départ de votre livre, c’est le constat que je viens de mentionner, et que nous allons détailler un peu, mais l’ouvrage ne s’arrête pas au constat, il propose des solutions, un Plan Réseau pour la France, moyen d’assurer notre souveraineté numérique. »
A noter l'émission suivante, qui propose un bon contre-point.
Je reste, pour ma part, convaincue que les prothèses numériques ne pourront jamais combler les manques (notamment relationnels) mais, au contraire, qu'elles les exacerbent... pas plus qu'elles ne pourront simplifier nos vies de plus en plus complexes, où la frontière entre l'intime et le public s'estompent de plus en plus, où le temps s'accélère au détriment de la concentration et du plaisir à bien faire les choses, et qui nous éloigne de l'essentiel, du sens de la vie. Quoiqu'il en soit, comme dit la chanson : "Et si on essayait un peu de voir notre petit monde d'en haut au lieu de laisser choir nos idéaux" (Olivia Ruiz, Thérapie de groupe) ?