Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 02 Juillet 2020
Du 30 Novembre au 11 Décembre 2015, Paris sera le lieu de la 21ème conférence des parties de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.
Une fois encore, l’occasion de voir si le politique va prendre le pas sur la finance et va nourrir nos espoirs et nos craintes. Il s’agit cette fois d’adopter réellement le principe de fixer à 2°C le dépassement maximal de la température moyenne globale terrestre en 2100.
Déjà 20 conférences… pas d’engagements clairs, des pays importants encore dans le déni, des intérêts financiers colossaux menacés. De quoi alimenter le pessimisme. D’autant que les débats sur le prix du pétrole viennent occulter ceux sur le climat, comme si ces deux sujets étaient sans relation.
Mes dernières lectures éparses sur ces questions m’ont incité à les rapprocher pour tenter quelques éclaircissements en ce début 2015.
1°) 2014 : une année paradoxale
L’année écoulée aura été la plus chaude globalement depuis 1880, début des mesures permettant d’obtenir une idée planétaire des températures. Cependant, un constat étonnant, mais encore à confirmer, vient d’être annoncé par l’Agence Internationale de l’Energie (1) : les émissions de carbone stagneraient par rapport à 2013 alors que la croissance mondiale du PIB serait de 3% !
Ce phénomène est unique. On ne le retrouve qu’à l’avènement de la récession américaine au début des années 80, à l’effondrement de l’URSS en 1991 et à la crise financière de 2008. L’AIE avance deux explications : d’une part, les efforts de la Chine pour freiner l’emploi du charbon et pour développer les énergies renouvelables, et d’autre part, les politiques de transition énergétique des Etats Unis et de l’Europe. Mais pour certains experts, cet optimisme est prématuré.
L’hiver 2014 a été très doux (sic) et les données chinoises sont très incertaines. Les déclarations de la Chine de réduire de 80 millions de tonnes leur consommation de charbon dès 2017, de 160 millions de tonnes en 2020, année où la part des énergies renouvelables atteindrait 15%, sont aussi spectaculaires que la construction de 2 centrales électriques au charbon… chaque semaine ! Quant à l’attitude américaine très ambigüe et celle de l’Europe, disparate et finalement, pesant relativement peu sur le bilan planétaire, la plus grande prudence sur cette bonne nouvelle est de mise. Ce flou pourrait alimenter les climatosceptiques dont les arguments fondent comme les ailes d’Icare au soleil. D’ailleurs, l’un des plus virulents d’entre eux, Willie Soon, vient d’être pris la main dans un baril (2) : 11 de ses articles « scientifiques » s’appuient sur des études financées par les producteurs de charbon et les pétroliers américains… un petit détail soigneusement passé sous silence.
2°) Les pétroles non conventionnels, nouvel Eldorado des courtermistes
Le continent nord-américain imagine pouvoir préserver son leadership économique et financier mondial grâce aux pétroles de schiste et aux sables bitumineux. Le Canada méprise toujours Kyoto, l’exécutif américain fait semblant de ne pas être à la botte du lobby pétrolier.
Les décideurs de ces pays ne s’encombrent aucunement du changement climatique et pas plus de la pollution engendrée par cette fuite en avant.
Depuis 10 ans en Californie, l’Etat « vert » par excellence, 300 nouveaux puits sont ouverts chaque mois. Le gouverneur Jerry Brown a non seulement refusé d’interdire la fracture hydraulique comme l’a pourtant fait récemment l’Etat de New York, mais a autorisé le rejet des eaux contaminées dans les nappes phréatiques (3). Ce gouverneur est sur la même ligne que Barak Obama : toutes les énergies disponibles doivent être exploitées. Les californiens parcourent 520 milliards de km par an, soit 53 milliards litres d’essence annuels. Aucun moratoire sur la voiture individuelle n’est envisagé. Parallèlement, après une année de sécheresse record, les agriculteurs californiens puisent 90% de l’eau dans les sols.
10 000 personnes ont manifesté le 7 Février à ce sujet. Du jamais vu !
Quant au Canada, au Nord-Est de l’Alberta précisément, dans la 3ème réserve mondiale de pétrole, juste derrière l’Arabie Saoudite et le Venezuela (4), on puise 2 millions de barils/jour et les objectifs 2030 visent les 5 millions. Sachant qu’il s’agit de sables bitumineux dont la production émet 3 à 4,5 fois plus de gaz à effet de serre que l’extraction de pétrole conventionnel, que déjà 800 km² de forêt ont disparu autour de l’épicentre Fort Mac Key, que les caribous n’ont qu’à bien se tenir et que cette gabegie consomme des quantités d’eau phénoménales, pourquoi faudrait-il tenir compte de l’avis d’une partie de la population locale qui, après s’être enrichie, commence à regretter la dégradation irréversible de leur cadre de vie ?
La réal-géopolitique n’a que faire des populations et du changement climatique. Peut-être faudrait-il convaincre les habitants des îles Vanuatu, tous les déplacés climatiques, les habitants de Fort Mac Key,… d’émigrer à Montréal ou à Los Angeles.
3°) Pétrole + géopolitique = guerres : une équation du XXème siècle encore tenace
De nombreux analystes se penchent sur le niveau du prix du pétrole, conséquence directe de la lutte d’influence entre les principaux pays producteurs, les monarchies du golfe persique et les Etats-Unis aidés du Canada. Sur la stagnation des prix bas, les avis divergent. Dans un article du Monde (5), il est avancé que le pétrole bon marché ne durera pas longtemps. L’Arabie saoudite, premier producteur mondial de pétrole conventionnel ouvre les vannes pour maintenir un prix bas afin de freiner la prospection et l’exploitation plus coûteuse des pétroles conventionnels offshore et surtout des pétroles non conventionnels. Ces derniers ont replacé les Etats Unis à la première place des producteurs toutes catégories de pétrole confondues.
Ces niveaux de prix sont catastrophiques pour les pays dont l’économie repose presque exclusivement sur l’exportation de gaz ou de pétrole : la Russie, le Venezuela, l’Algérie, l’Iran, le Nigéria. Si le prix actuel du baril se maintenait durablement, les conséquences géopolitiques seraient incalculables.
L’auteur pense que l’Arabie saoudite a déclenché une machine infernale également à son encontre, car en ruinant les petits producteurs de pétroles non conventionnels, les gros pourront encaisser le choc en abaissant les seuils de rentabilité tout en rachetant les petits, les Etats Unis continueront à exporter pour accroître leurs recettes, et les 30 millions de saoudiens (ils n’étaient que 12 millions en 1986) voudront maintenir leur niveau de vie.
Sans être expert sur ces questions, j’ose penser que les risques encourus par l’Arabie Saoudite liés à sa politique de prix ne sont pas encore à l’ordre du jour, et ce, pour un bon moment compte tenu de ses gigantesques réserves.
Ainsi, un prix du baril maintenu longtemps à un niveau de l’ordre de 50 à 60 $/baril engendrera des tensions géopolitiques notamment dans les pays producteurs, n’incitera pas aux économies d’énergie, renforcera à la fois la reprise économique, la sécurité d’approvisionnement d’électricité (6) et rendra les énergies renouvelables moins rentables.
La guerre économique ou les vraies guerres vont et iront bon train.
4°) Trouver une nouvelle équation pour penser et agir à long terme
Comment en effet le politique peut imaginer un modèle économique et financier pouvant répondre aux exigences environnementales sans proposer une utopie qui serait rejetée avec mépris ?
Robert Bell, professeur d’économie à l’Université de New York rappelle ce qu’est le « hope/doom ratio » (7), en français, le ratio « espoir/déluge ».
Rappelons d’abord que les investissements pour les énergies renouvelables en 2013 n’étaient que de 223 milliards €, en baisse par rapport à 2012 (d’après le Financial Times) alors que les énergies fossiles bénéficiaient en même temps d’une manne de 870 milliards € selon l’AIE : soit un rapport de 1 pour l’« espoir » à 4 pour « après moi, le déluge ».
Dans son rapport « World Energy Outlook 2014», l’AIE rappelle que le ratio - énergie fossiles / énergies primaires – égal à 82% est au même niveau… qu’en 1990 !
En outre, un baril maintenu à 60$ se traduirait sur 10 ans par une perte de valeur de 870 milliards € dans l’exploration et le développement pétroliers. Une opportunité pour les grandes compagnies qui rachèteraient les compagnies plus petites et les « stockeraient » pour plus tard …
Le GIEC estime que pour ne pas dépasser les + 2°C en 2100, il faut dorénavant réduire les émissions de gaz à effet de serre de 70% par rapport à 2010. Pour y parvenir, l’AIE estime qu’il faut inverser le ratio espoir/déluge, c'est-à-dire investir 870 € milliards €/an d’ici 2030 dans les énergies renouvelables.
L’intérêt d’une telle démarche est l’aspect positif des investissements, mécanisme opposé à celui de la taxe carbone ressentie négativement et ayant fait l’objet d’oppositions fortes.
Faire payer 30 € la tonne de CO2 aux consommateurs n’est pas passé.
En considérant qu’un baril de pétrole représente 3 tonnes de CO2, taxer le producteur de 10 € le baril permettrait de retrouver l’équivalent des 30€/tonne CO2. Il y aurait bien une répercussion sur les tarifs, mais mesurée au regard de la part des taxes à la consommation déjà payée par le consommateur… on a connu pire !
Et en même temps, en détaxant les bénéfices des investissements dans les énergies renouvelables, le ratio « espoir/déluge » actuellement égal à 1 / 4 pourrait passer à 4 / 1.
Une fois ce renversement effectué, les politiques pourraient décider par la suite un rééquilibre des taxes. Richard Bell conclut que la finance pourrait œuvrer à nous guérir du réchauffement climatique au lieu de nous pousser vers le déluge.
Paul Polman, PDG d’Univeler et membre de la Commission mondiale sur l’économie et le climat, prône dans un article du Monde (8) des décisions politiques fermes pour les investissements futurs. Il rappelle que ¼ des 200 plus grandes entreprises mondiales vise une réduction carbone de 6% par an, que la moitié des actifs financiers des investissements institutionnels (45 000 milliards $) souscrivent à des principes d’investissement responsable.
Les entrepreneurs sont en attente d’une ligne claire de la part des politiques mondiaux sur le virage à faire prendre au modèle économique dominant et vieillissant fondé sur la combustion d’énergies fossiles.
D’ici 15 ans, 90 000 milliards $ seront dépensés en infrastructures. Les choix seront primordiaux. Par exemple, la Commission estime que le développement massif de transports urbains vertueux pourrait engendrer une économie de 3 000 milliards $. Ou encore, rendre 12% des terres dégradées à l’agriculture permettrait de nourrir 200 millions de personnes et de rapporter 40 milliards $ aux agriculteurs tout en freinant ou en stoppant la déforestation.
En Inde où sont situées 15 des 30 villes les plus polluées de la planète, il est prévu un taux d’urbanisation de 50%. Le premier ministre indien, Narenda Madi a annoncé qu’il fallait coûte que coûte découpler la croissance économique et les consommations d’énergies fossiles. L’Inde qui sera le pays le plus peuplé vers 2030 doit afficher sa volonté d’être à la hauteur, surtout après les déclarations conjointes des USA et de la Chine fin 2014.
La recherche d’une équation alliant le court terme et le long terme, la finance et l’environnement, est un préalable au succès de la COP 21 à Paris. Avec un réel espoir de trouver des solutions tangibles.
- (1) « Les émissions de CO2 stagnent », Le Monde 15 et 16 Mars 2015, Stéphane Foucart et Simon Roger
- (2) « Un climatosceptique de renom démasqué », Le Monde 24 Février 2015, Stéphane Lauer
- (3) « Scandale autour du gaz de schiste californien », Le Monde 11 Février 2015, Corinne Lenes
- (4) « En Alberta, l’or noir de la discorde », Le Monde 20 Février 2015, Manon Rescan
- (5) « Pétrole : le grand jeu du prix bas », Le Monde 12 Février 2015, Christophe Ayad
- (6) « La charade diabolique de l’électricité – interview de Colette Lewiner », Le Monde 26 Février 2015
- (7) « Le ratio espoir/déluge pour modèle », Le Monde 25 Février 2015
- (8) « Les entreprises ont besoin d’un engagement clair sur le climat », Le Monde 13 Février 2015
Bernard Sesolis
bernard.sesolis(at)gmail.com