Pour bien rentrer, sortons de l’indigence estivale

Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019



Il parait que le vin 2016 sera exceptionnel. Tant mieux. Mais pour le reste, ce millésime aura été celui de l’indigence sous-entendu de grande pauvreté. Celle des populations fuyant la guerre et la misère. Celle de l’Europe globalement si peu accueillante, frileuse, qui se ratatine sur elle-même après avoir colonisé la planète durant 4 siècles, une Europe crée pour tourner le dos à ses guerres intestines (1) et pour s’organiser face à la mondialisation. Cette Europe avec quelques « Trump » locaux, déjà au pouvoir ou tentant d’y accéder. En vrac, les attentats, le Brexit, l’identité nationale, le burkini, le mini-cyclope Macron au royaume des aveugles, Calais, les primaires, Pokémon Go….toute cette constellation d’évènements et de sujets auront bercé l’été et donné l’occasion de nous rappeler l’indigence du contenu des discours politiques et des commentaires de tout bord.
Contrairement à notre bronzage, cette indigence pourrait perdurer.

1/ Nous voici donc rentrés

Finis aussi et pour un temps, les records de températures, les jeux olympiques avec leurs tribunes remplies à moitié (trop cher pour le brésilien moyen) et leur comptabilité maladive des médailles nationales, finis les bains de mer, les incendies géants, ... adieu Butor, adieu Rocard.

Et professionnellement, que reste-t-il de cet été 2016 ?

En premier lieu, un sujet qui va occuper nos esprits un temps certain : l’annonce officielle le 1er juillet du lancement du label réglementaire Energie-Carbone pour préparer la prochaine étape règlementaire des constructions, réponse au Grenelle de l’Environnement et mise en pratique de la loi sur la transition énergétique. Le site Xpair est en veille technique permanente et nous aurons largement l’occasion de commenter ce sujet dans les mois à venir (2).

bilan-carbone

Ensuite, une nouvelle encourageante concernant la COP21 qui, jusqu’à présent dans les faits, restait un peu trop une affaire franco-française : les Etats Unis et la Chine, rien que ça, ont ratifié début septembre le texte de principe. Sans sombrer dans un enthousiasme béat, il ne faut quand même pas bouder son plaisir ! A suivre de très près.

Enfin, parmi les marronniers des médias du style « comment réduire son tour de taille tout en cultivant son halage», « comment placer son argent », « la franc-maçonnerie » ou encore « le classement des écoles », le sujet de la « connexion à tout va » a au moins le mérite de rappeler que notre manière de penser les évolutions de la construction, de la rénovation, du bâtiment, de la ville est aussi politique que technique. En particulier, il incite à réfléchir aux rapports entre les modes de pensées et d’actions issues des expériences de gouvernance locale et l’indigence intellectuelle (tiens, encore elle !) de l’offre industrielle de la communication et de la connectique qui, confondant le progrès et les profits court-terme, confusion issue de postulats éculés de l’économie traditionnelle toujours appliqués, propose des schémas futuristes dignes des marxistes tendance Groucho.


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2/ Développement durable et mécanisme de décision

Durant la période estivale, la presse s’offre parfois l’occasion de développer des questions de fond sous forme de dossiers ou de suites d’articles. C’est le cas du journal Le Monde qui a consacré fin juillet-début août plusieurs numéros sur le thème « La démocratie autrement ».

L’actualité nous rappelle quotidiennement les avantages mais aussi les limites des structures démocratiques actuelles. Préparer un futur durable nous enjoint à nous préoccuper de la gestion de la cité, des mécanismes de décisions, de la représentativité, des lieux de savoirs et de pouvoirs.

Différentes démarches y ont été décrites. Par exemple, l’utilisation intensive de l’internet, ou bien le vote par notes, ou encore le tirage au sort des décideurs,…. Parmi celles-ci, l’engagement volontaire mérite un détour : dans la commune de Saillan, 1200 habitants, située dans la Drôme, les dernières élections municipales (23/03/2014) ont donné une majorité à la liste « Autrement pour Saillan – tous ensemble » (3). Tout est parti du refus de l’implantation d’une grande surface défendue par l’ancien maire. Maintenant, les habitants décident collégialement. 250 volontaires se sont inscrits pour participer à 8 commissions prioritaires définies durant la campagne des élections. Les décisions sont enregistrées par le conseil municipal composé de 13 élus de la majorité (+2 de l’opposition) fonctionnant en binôme afin d’éviter l’accaparation du pouvoir. Un conseil des « sages » composé de 12 bénévoles tirés au sort veille au bon déroulement de la gouvernance collective. Une cour constitutionnelle en quelque sorte.

Cette mise en pratique d’une démocratie participative basée sur la transparence et la collégialité induit une conscience politique modifiée tournant le dos à la culture du conflit pour le pouvoir et instaure un apprentissage de la parole échangée.
Il ne s’agit ni d’un modèle, ni d’une expérience non reproductible. Ce processus est en maturation. Personne ne peut affirmer qu’il durera ou prévoir comment il évoluera. Il ne s’agit pas d’une remise en cause des institutions existantes comme le serait l’autogestion par exemple, mais plutôt d’une adaptation progressive et profonde de chaque individu vers un comportement compatible, à mon sens, avec l’idée du développement durable.
Affaire à suivre….

Autre exemple de la gestion collective d’un projet : décider à plusieurs futurs copropriétaires, de la construction de leur immeuble, démarche présentée lors de journées nationales de l’«habitat participatif ». Les dernières ont eu lieu à Strasbourg début juin 2016. Avec l’aide d’un architecte, les futurs occupants décident des plans sur mesure pour chaque appartement et collégialement des parties communes selon les attentes partagées (4). La démarche est bien évidemment plus complexe et plus longue (3 à 4 ans)  que celle du « clé en main » d’un promoteur. Mais ce cheminement ne décourage pas les volontaires puisque, rien qu’à Strasbourg,  8 opérations ont été réalisées selon ce processus et une dizaine d’autres sont en cours !!


3/ Développement durable et volonté politique locale

Les structures politiques traditionnelles sont-elles inaptes à entrer concrètement dans une démarche vertueuse ? Faut-il forcément des chamboulements profonds de la conscience citoyenne pour déclencher un processus en rupture avec les habitudes énergétiques et environnementales ?

Il faut croire que non au regard des initiatives de la commune de Locminé, dans le Morbihan. Avec ses 8 calvaires, la conserverie de légumes D’Aucy et le site d’industrie porcine Jean Floc’h, cette cité de 4000 habitants n’a rien d’un nid d’autogestionnaires ou de militants écologistes ultra. Ici, pas d’expérience sociétale particulière.
Les décideurs locaux ont décidé simplement d’appliquer le Grenelle de l’environnement en valorisant les déchets et en agissant pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (5) et (6).
Ce projet dénommé LIGER qui vise l’objectif de « 0 énergie fossile » a été porté par les élus et fait l'unanimité
En 2012,  une chaufferie est mise en place. Alimentée par le bois d’élagage des forêts voisines et les déchets de scieries, elle distribue la chaleur via un réseau de chaleur. Une installation de méthanisation est prévue pour transformer en énergie, les déchets des entreprises de l'agroalimentaire et des agriculteurs de son territoire.


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Le financement d’environ 15 millions € a été assuré par une subvention de l’Ademe (pour 1/3), par les collectivités territoriales et par 17 PME locales. L’électricité verte produite, la chaleur distribuée, les déchets valorisés, le bio carburant produit vont générer des recettes. Le temps de retour devrait être de l’ordre de 8 ans.

Il faut espérer la réalisation à terme d’un bilan carbone à partir des résultats réels. Cette initiative exemplaire mérite un sérieux retour d’expérience.

 

4/ Enjeux sociétaux et gestion de l’énergie

Le devenir de la ville, du bâtiment, les évolutions de la manière d’habiter, d’occuper les espaces construits et extérieurs, tout ce qui nous interroge, en particulier au travers du prisme de l’énergie, notre cœur de métier, représente des enjeux sociétaux, qu’on le veuille ou non.

Les concepts du Bepos et Tepos interpellent les professionnels et les décideurs, pas uniquement sur les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de manière globale sur « qui décide quoi ? ». Cette interrogation, induite par la mutualisation des énergies produites et des services envisagés, nécessite de définir des périmètres : échanges et complémentarités à un niveau micro-local (quartier), local (petite ville), territorial (métropole, département), régional, national ?

Cette question d’échelle est primordiale car elle renvoie à d’innombrables questions concernant les expérimentations et initiatives locales dont quelques exemples sont cités plus haut. Ce qui peut se déclencher et fonctionner localement peut-il être envisagé pour des domaines plus vastes ? Autrement dit, l’extrapolation d’une initiative localisée exemplaire est-elle ou non une lubie ?
Est-il possible de l’étendre à l’échelle d’une ville, d’une région, d’un pays ? Quelle serait la bonne « granulométrie » des ilots de décision qui permettrait un maillage d’échanges des expériences créant un support possible pour leur extension ?

L’énergie va-t-elle influencer cette granulométrie ou au contraire, devra-t-elle s’adapter techniquement au maillage ? … La poule et l’œuf…

Si ces questions restent sans réponses satisfaisantes trop longtemps pour la majorité des individus d’un large territoire, alors c’est le maillage de la mondialisation qui phagocytera tout. Certains pensent que c’est inéluctable ou déjà trop tard pour envisager une société où l’individu ne sera pas in fine, réduit qu’à un simple consommateur. Le modèle imposé par les GAFA (7) cultive l’individualisme dans leurs maillages et pousse au « tout connecté ».
La modernité proposée revient souvent à faire fantasmer l’individu en lui proposant une virtualité plus belle que le réel. Le tout connecté va jusqu’à proposer l’ «augmentation ». Un surréel avec des surhommes surcapables, des sensations et des perceptions augmentées dans un monde onirique.

Mais la technique et les technologies, qui ont toujours à la fois inquiété et fasciné (8), sont détournées au quotidien. Certaines d’entre elles sont mêmes très utiles pour des modes de développement d’échanges entre individus, pour réaliser concrètement des structures de décisions collectives pérennes, pour inventer une modernité compatible avec le développement durable sans tomber dans le modèle Geek.

J’y crois, peut-être naïvement. Mais justement, il est vital d’y croire en réaction face à l’indigence généralisée d’une offre qui veut imposer des besoins sans s’intéresser à la demande. ..

 

  1. Pour respirer une bouffée d’optimisme et sortir de la paranoïa ambiante, lire « Michel Serres : « nous vivons dans un paradis » », Le Monde 11 et 12 Septembre 2016
  2. Cf. humeur de Mai 2016 sur la future réglementation 2018-2020
  3. « La petite république de Saillan – engagés volontaires », Dossier 4/6 « La démocratie autrement », Le Monde  6 Août 2016, Maud Dugrand
  4. « Habitat participatif : les premières expériences », Le Monde  29-30 Mai 2016, Laurence Boccara
  5. « Locminé veut se chauffer et rouler avec ses déchets », Le Monde  21 et 22 Mai 2015, Pierre Le Hir
  6. « Locminé se lance dans une révolution écologique unique en France », France 3.fr, 1er Décembre 2015
  7. Google, Apple, Facebook, Amazon
  8. En paraphrasant les propos du sociologue Christophe Beslay lors du Congrès de l’AICVF à Saint Malo les 16 et 17 Septembre 2016 consacré au thème  « le numérique au cœur de nos métiers »



Bernard SESOLIS

Expert Energie Environnement



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