Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
Le « parce que » l’emporte sur le « pourquoi ? »
Depuis deux ans que je suis grand-père, je (re)découvre le plaisir de suivre l’épanouissement d’un bambin qui, en fin de ce siècle, aura 89 ans. Il en est au stade du « pourquoi ». A tout propos, la question fuse. Probablement par amusement et pour prolonger une conversation avec un adulte, mais également et avant tout, par curiosité naturelle, pour comprendre.
Plus tard, le « pourquoi » deviendra souvent « parce que ». La question se raréfiera au profit de certitudes, de convictions, de croyances.
L’action suit la décision (en principe ...). C'est la fin du doute, du questionnement. Notre quotidien est truffé de multiples décisions. Les rythmes de travail imposés par l’efficacité, la rentabilité, la complexité, la compétitivité, amplifient le nombre de décisions à prendre. Ils nous octroient moins de temps encore à la réflexion, au recul, au compromis parfois utile, voire nécessaire.
Pour paraître responsable, réactif, réaliste, pour réussir, il faut savoir trancher. Vite et bien. Eviter de douter. Sinon, c’est l’incompétence, l’indécision, le scepticisme.
Et ce monde de « vainqueurs » nous entraîne confortablement et joyeusement vers des catastrophes annoncées. Le dernier volet du rapport du GIEC paru ce mois d’Avril confirme que les décideurs ne sont pas enclins au doute et que ceux qui ne décident pas, la majorité donc, est dans l’incapacité collective à faire prendre des décisions correctives. Le « parce que » l’emporte sur le « pourquoi ? ».
Je vais illustrer cette brève de comptoir par une courte parabole et une recommandation de lecture.
Voici pour la parabole
Dix singes sont confinés dans un grand cylindre dans lequel est installée une échelle qui permet d’atteindre une trappe située au plafond. La trappe s’ouvre et apparaît une belle banane à l’extrémité d’une ficelle. Le plus rapide et le plus malin des dix singes se précipite vers l’échelle et grimpe. Mais, au moment de saisir le fruit, une énorme masse d’eau glacée se déverse par la trappe, faisant dégringoler le singe en trempant tous ses congénères. Ces derniers, furieux, tabassent copieusement l’intrépide, fautif à leurs yeux de leur malheur.
Puis, un des dix singes est remplacé par un nouveau. L’expérience recommence. Seul, ce dernier se décide à grimper à l’échelle au moment où la banane apparaît. Mais les neuf autres le rattrapent immédiatement et le tabassent sans que le petit nouveau ne comprenne pourquoi ! Et l’expérience se poursuit. Chacun des dix singes ayant vécu le premier évènement est successivement remplacé par un nouveau. Si bien qu’à partir de la onzième expérience, quand apparaît la banane, aucun des dix singes présents ne comprend pourquoi le dernier rentré dans le cylindre se fait tabasser par les neuf autres quand il tente de grimper à l’échelle ...
Des millénaires de guerres, des siècles de colonialisme, deux siècles d’industrialisation, l’attrait du gain maximal en un minimum de temps, ont forgé en nous des attitudes, des mécanismes et des modes de prises de décisions basées sur le même type de mimétisme décrit dans la parabole précédente. Certains qualifieront cette attitude de « naturelle ». D’autres diront « parce que ».
J’en viens à ma recommandation
La révolution que constitue Internet, formidable outil de communication, permettra-t-elle, grâce à la libre circulation de l’information et l’augmentation du niveau d’études, de faire tendre les sociétés démocratiques vers la sagesse collective ?
Cette question est posée par le sociologue Gerald Bronner dans son dernier essai intitulé « La démocratie des crédules », aux éditions PUF.
L’ouvrage, agréablement écrit, nous plonge au cœur de ce phénomène sociétal. Jamais, nous n’avons eu accès à autant d’informations aussi facilement et jamais nous n’avons eu aussi peu de temps pour en faire le tri, pour réfléchir à leurs pertinences, pour en tirer une connaissance permettant de confirmer ou d’infirmer nos connaissances ou nos croyances, et pour améliorer ainsi notre libre-arbitre … en particulier sur Internet lui-même ...
Gerald Bronner décrit la manière avec laquelle l’internaute va au plus vite, avec le moindre effort pour traiter intellectuellement une information. Il en conclut que le penchant naturel va plutôt vers la confirmation des croyances que leur remise en cause. Les thèmes conspirationistes comme l’implication de la CIA dans l’attentat du 11 Septembre, la négation de l’Holocauste, … et des thèmes mystico-scientifiques comme la réalité du monstre du Loch Ness ou des OVNI, trouvent via Internet un terrain de confirmation, un faisceau de « preuves ». Comme 80% des internautes sur Google ne consultent que la première page lorsque les mots clés ont trait à ces thèmes, les sites favorables à ces thèses sont beaucoup plus présents dans les premières pages que les sites démontant ces idées farfelues Ces derniers sont en outre plus rares car les vrais spécialistes ont moins de temps à consacrer pour infirmer les racontars véhiculés avec zèle par des cyniques ou des convertis, plus « militants » et plus nombreux. C’est pour cette raison que des idées rétrogrades, erronées, des rumeurs ou des théories du complot se propagent avec autant d’efficacité.
Le confortable « parce que » l’emporte sur le dérangeant « pourquoi »
Généralement, nous cherchons de manière privilégiée des sites en accord avec nos convictions.
Et Gérald Bronner illustre ce phénomène de flemme intellectuelle à travers quelques anecdotes ou exercices.
Si vous n’avez pas l’occasion de lire ce livre, je vous invite à tenter de répondre au « Thog problem ». Cet exercice vous permettra peut-être de relativiser vos facultés de discernement face à une information qui doit être traitée rapidement :
Extrait : « Un expérimentateur a choisi 2 caractéristiques qui permettent à un objet d’être un « Schmilblick » : la forme et la couleur. Il n’y a que 2 formes (cœur et losange) et 2 couleurs (noir et gris) possibles. Pour être « Schmilblick », un objet ne doit avoir que l’une des caractéristiques choisies par l’expérimentateur (soit la forme, soit la couleur) mais pas les deux, ni aucune des deux ».
L’expérimentateur présente un losange noir comme étant un « Schmilblick ». Qu’en est-il des autres ? Sont-ils également des « Schmilblicks » ? Ou non ? Ou bien, est-il impossible de le déterminer logiquement ?
Tentez de répondre pour chacun des trois objets restants, cœur gris, cœur noir et losange gris.
Vous pourrez vérifier… dans mon humeur du mois de Juin … !
Pourquoi ce début de XXI siècle est encore régi par le charbon américain et chinois, par le gaz Poutinien et le pétrole saoudien ? Pourquoi l’évidence de la catastrophe annoncée est enfouie dans les intérêts courtermistes ? Pourquoi sommes-nous incapables de sortir des rangs des « Y-a-kaïstes » ? Parce que ? …
Bernard Sesolis
bernard.sesolis(at)gmail.com
Un simple exercice: faites rédiger une même prévision par 10 personnes expertes différentes, du genre quel va être le taux d'emprunt dans 10 ans ?
Vous vous retrouvez donc avec 10 réponses a partir desquelles vous allez faire une moyenne pour votre prochain article dans THE journal de l'immobilier, mais Pierre Paul et Jacques, que vous connaissez bien et appréciez vont voir leur réponse accréditée d'un poids supérieur aux autres pour cette moyenne.
Et vous voila avec une prévision que vous allez déclarer produite par un énorme consensus d'experts.
Cette façon de faire est ni plus ni moins que celle du GIEC avec leur 95% de "chance" d'augmentation de x degrés, d'ici y années.
Et c'est accepté comme verité scientifique sans ciller par une immense majorité personnages de toutes origines, disciplines, formations !!!
http://methodes-climatologie.blogspot.fr/