Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
Pour les vacances, je vous invite dans les nuages, pas dans un engin moins lourd que l’air, ni en avion, mais via l’ascenseur… ou par les escaliers si vous êtes très sportifs. Un article récent de Batiactu (27/06/2014) « Gratte-ciel : toujours plus haut, plus cher et plus risqué » m’a poussé à « gratter » un peu ce sujet parce que les projets en cours de construction ou imaginés à moyen terme se targuent d’être à la pointe (sans jeu de mot) de l’écologie !
Les nouvelles ou futures tours seraient sans déchets, autonomes en énergie et en eau, symboliseraient la densité urbaine pour préserver des espaces pour l’agriculture, voire, contribueraient à la biodiversité.
L’idée que ces tours s’intègreraient dans le développement durable peut laisser dubitatif. Quelques évidences méritent d’être rappelées.
Puissance, gigantisme et verticalité
L’architecture a toujours été un vecteur privilégié de l’expression de la puissance. D’abord la puissance politique, militaire ou religieuse. Tout simplement parce que c’est un moyen spectaculaire de montrer aux peuples ce que l’élite est capable de faire faire.
L’orgueil a été et reste le moteur essentiel pour tendre à la démesure. Les exemples sont célèbres et très nombreux : Muraille de Chine, Pyramides d’Egypte, Cité Interdite, Versailles, ... plus récemment, les projets d’Albert Speer du 3ème Reich, la cathédrale de Yamoussoukro, le palais du Parlement à Bucarest, et bien d’autres tout aussi connus.
Durant le XXème siècle, le monde économique s’est emparé du gigantisme. Parmi les bâtiments les plus imposants, on trouve des aéroports, des centres commerciaux, des sièges sociaux d’entreprises, particulièrement des banques, des hôtels, des usines. A l’orgueil s’est ajouté la fonctionnalité et l’efficacité financière.
La tendance à la verticalité nait à New-York au début du XXème siècle avec le progrès technique, la rentabilité foncière (en ces lieux, le propriétaire du terrain possède également l’espace au-dessus, sans limite)… et peut-être, la naissance de la psychanalyse : l’érection la plus haute n’est-elle pas aussi le symbole de la puissance ... ?
Faire plus haut que le voisin ou le concurrent va tendre vers l’obsession. Dans « Paroles », Jacques Prévert la fustige poétiquement dans un extrait de sa célèbre « tentative de description d’un dîner de têtes à Paris» : « …. ceux qui ont 4807 mètres de Mont Blanc, 300 de Tour Eiffel, 25 cm de tour de poitrine et qui ont sont fiers ... ».
La culture américaine impose son modèle. L’Empire State Building (380 m) restera le plus haut bâtiment durant 43 ans jusqu’à la construction de la Willis Tower à Chicago (442 m). Mais en 1998, les deux tours Petronas à Kuala Lumpur en Malaisie détrôneront les buildings américains. Depuis, le livre Guiness des records ne cite que des tours du Sud-Est asiatique ou du Moyen Orient. Les pétrodollars et l’émergence de certains pays auront engendré une nouvelle mondialisation du gigantisme comme expression de la puissance.
« C’est haut New-York - New York, USA » déclamait Serge Gainsbourg en 1964. Il n’avait « rien vu de plus haut… ». Il faut désormais changer de destination pour voir beaucoup plus haut.
La figure suivante indique les hauteurs des 100 plus grands bâtiments du monde (au 30/06/2014, source Wikipédia) selon leur date de construction.
Le coup d’arrêt aux sauts en hauteur entre les années 30 et 70 correspond aux priorités de l’époque marquées par la guerre et l’affrontement des blocs Est-Ouest (armement, nucléaire et conquête spatiale).
Durant cette période, l’architecte Frank Lloyd Wright propose en 1956 sa tour «Illinois» de 1 609 m de haut (1 mile). Un concept qui sera repris 60 ans plus tard.
La verticalité inspire les auteurs (sans « h ») de Science-fiction. Robert Silverberg écrit en 1971 « Les monades urbaines » et imagine les habitants de la planète vivant exclusivement dans des tours de 1 000 étages, soit 3 km de haut, selon une hiérarchie sociale implacable à tendance dictatoriale marquée par la position verticale de chacun.
Et la course à la hauteur reprend à partir de 1974, d’abord aux Etats-Unis, puis ailleurs. La construction désormais fréquente de bâtiments d’au moins 100 m de hauteur aura bénéficié des expérimentations techniques et économiques réalisées lors de la construction des géants. Le symbole de la verticalité redevient très vivace. L’attentat des tours du World Trade Center (421 m) le 11 Septembre 2001 en est l’illustration négative la plus évidente.
Depuis 2000, la course à la hauteur a pris un nouvel élan. Des bâtiments d’au moins 300 m se construisent presque dans l’indifférence, surtout au Moyen-Orient et dans le Sud-Est asiatique : parmi les 50 plus grandes tours, 10 d’entre-elles sont situées à Dubaï, dont la plus grande actuelle – Burj Khalifa (828 m), 30 d’entre-elles sont en Chine.
Ces pays se lancent dans une course aux records. En Arabie Saoudite, à Djeddah, la Kingdom Tower livrée en 2019 atteindra le kilomètre (le point noir sur la figure ... à éviter de presser).
Un « Cloche Merle » mondial !
Modernes, les gratte-ciel ?
Outre satisfaire l’orgueil de quelques-uns ou la fierté des habitants d’une ville ou d’un pays où sont érigés ces mastodontes, à quoi cela sert-il ?
Les prouesses technologiques nécessaires auront probablement des retombées positives, à l’instar de la Formule 1 en automobile. Thomas Leroy dans un article du Parisien du 29/11/2012 donnait la parole à des spécialistes comme Kevin Brass et Adrian Smith, l’architecte de la Burj Khalifa et de la future Kingdom Tower. Ils citent deux problèmes majeurs que sont le vent venant déranger la stabilité dans les étages supérieurs et la technologie des ascenseurs techniquement pas encore à la hauteur.
Jean Mas, professeur d’architecture à Paris-Val de Seine, rappelle que plus on monte, plus la base doit s’élargir…Tentons d’imaginer ce que donneraient des bâtiments déjà envisagés par les américains ou les japonais visant 3500 à 4000 m de hauteur !
Il y a 45 siècles, les égyptiens érigeaient Kheops avec les moyens du bord. Un carré de 230 m de côté et un sommet à l’origine à près de 150 m du sol.
Dès à présent et encore plus sûrement dans quelques décennies, il sera possible de construire une « pyramide » selon un rapport hauteur/base deux fois plus élevé, mais pas plus (voir le profil de l’ « Ultima Tower » de 3 200 m de haut) : le bâtiment sera 25 fois plus haut et la base 12 fois plus large, soit quand même de 2 700 m de côté.
Une vraie Monade à la Silverberg. Kevin Brass finit par poser une question simple : comment y créer un environnement habitable ?
Selon le rapport des assureurs de l’Allianz Global Corporate Speciality (cité dans l’article de Batiactu), des bâtiments de 2 000 m ou plus de haut ne sont pas envisageables d’ici 20 ans. Outre la résolution des questions techniques encore en suspens - ascenseurs, vent, matériaux remplaçant l’acier et le ciment, problèmes sismiques, il reste pour les investisseurs à traiter des sujets encore plus prioritaires et délicats : le financement et les risques.
Le gigantisme est-il soluble dans le Développement Durable ?
Vouloir construire des gratte-ciel, symboles de la puissance et d’une expression culturelle, est, selon Kevin Brass, un phénomène inhérent à la nature humaine. Autrement dit, nous ne pourrons pas y couper. C’est une vision pessimiste que je refuse de partager.
En évoquant le mois dernier une possible synthèse à terme entre la technologie et la responsabilité, entre le réalisme économique et l’action citoyenne, il s’agissait d’affirmer la nécessité d’allier la haute technologie, les circuits courts, la responsabilité partagée entre des grands groupes économiques et des initiatives locales appropriées à la diversité du terrain et des besoins.
Dépenser des millions de dollars en recherche et développement visant à aller toujours plus hauts pour construire plus et mieux est, à mon sens, à des années-lumière de l’optimum économique et environnemental. Et j’oublie volontairement les aspects sociaux et culturels pour éviter d’être plus polémique.
En conclusion à cette « humeur », proposer des super gratte-ciel peints en vert pour faire avaler une pilule environnementale et pour faire croire qu’ainsi, il est envisageable de marier la high-tech et le respect de l’environnement, c’est à mon sens de l’écologie « bling-bling ».
Bernard Sesolis
bernard.sesolis(at)gmail.com
A construire si haut, les problèmes de sécurité et de risque d'incendie s'amplifient. Quant à la performance énergétique, elle occasionne à l'intérieur même de ces grands édifices des contraintes énergétiques de déplacements et de locomotion dans des trajectoires verticales (pas de locomotion légère comme le vélo). Aucun avantage sur le plan de l'environnement. Comment récupérer l'eau de pluie sur une surface de toiture réduite par rapport au nb de m2? L'adduction d'eau demande énergie de surpression, … Oui M. Sésolis, un bel effet de marketing.