De toute manière, vous aurez trop chaud. Alors adaptez-vous !

Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 27 Juin 2023

C’est une nouvelle petite musique que l’on nous sert depuis quelques semaines. Il paraît que la probabilité d’atteindre une augmentation de 4° en 2100, au lieu des 1,5° visés par la COP 21 à Paris en 2015, grandit au point qu’elle devient une hypothèse de décision pour nos gouvernants.

Christophe Béchu, actuel ministre de l’Ecologie, veut que nous sortions du déni. Gouverner, c’est prévoir paraît-il. Alors, en prévision de la future catastrophe, un plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) doit être mis en place après le lancement d’une consultation nationale tournée principalement vers les collectivités territoriales et les mouvements associatifs et qui s’achèvera à la fin de l’été.

Jusqu’à présent, on imaginait des stratégies de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour rester dans une limite collectivement fixée à +1,5°. Les rapports successifs du GIEC renforçaient l’idée de privilégier la sobriété et la frugalité appliquées dans tous les domaines des activités humaines.

Mais maintenant, le mot « adaptation » fait le buzz et semble traduire que les efforts à fournir devraient principalement être voués à supporter la catastrophe annoncée. Il faudrait s’adapter, non plus pour éviter un réchauffement climatique trop intense, mais au contraire, pour y (sur)vivre !

Tentons d’éclaircir le sujet.

chaleur


L’histoire s’accélère…

Laxisme, inertie, déni, cynisme, irresponsabilité, suffisance, bref en deux mots, cupide bêtise, résume le principal moteur de décision pour la planète sur la question climatique et sur les déséquilibres brutalisant volontairement la biodiversité.

Le 6ème rapport du GIEC rappelle et actualise ce que cette instance scientifique internationale démontre depuis des décennies. Il y est précisé que nous en sommes à un point où la quantité de gaz à effet de serre (GES) à ne pas dépasser pour limiter le réchauffement à 1,5° a été divisée par 2 ! Le rythme du réchauffement atteint +0,2° tous les 10 ans ! [1]

La future COP 28 qui aura lieu à Dubaï (no comment) à la fin de l’année devrait établir un bilan mondial 8 ans après les accords de Paris. Seront précisés les efforts réalisés, ceux restant à faire et les financements nécessaires.

On peut déjà annoncer, sans craindre de se tromper beaucoup, que ce bilan montrera les retards pris malgré l’urgence, les freins à refreiner (no comment) et définira des objectifs plus réalistes (no comment). Et tout le monde rentrera satisfait chez soi après avoir passé un bon moment et avoir trouvé un nouvel accord « réaliste ».


Et nous, nous laissons aller….

En France, la commission d’enquête parlementaire portant sur l’énergie a publié en Avril un rapport très critique sur notre politique énergétique et a mis en exergue des erreurs stratégiques, des rendez-vous manqués et des décisions hâtives [2].

Tous les bords politiques en ont pris pour leur grade, montrant par-là une certaine propension à perdurer dans la médiocrité des décisions.

Le parc nucléaire livrait 452 TWh d’électricité en 2005 contre 279 TWh en 2022 (réacteurs corrodés, manque d’eau = 32 unités arrêtées sur 56 en Août 2022). Ajouter une sous-estimation des besoins et une franche réticence à sortir vraiment des énergies fossiles et on se retrouve dans ce que le rapport dénonce : une indépendance énergétique mythique. Il dénonce également un échec cuisant de la filière nucléaire : aucune anticipation alors que les échéances étaient connues. Remarquons que si ce manque d’anticipation n’était l’apanage que de cette filière, nous serions bien lotis. Pensons à l’enseignement, au secteur de la santé, aux transports collectifs, aux bâtiments pour lesquels l’évolution de nos besoins était largement prédictible.

Mais revenons à notre situation énergétique, à la grande solitude des industriels français du secteur des énergies renouvelables, ou encore à la situation financière d’EDF qui va être redressée grâce aux impôts après sa totale renationalisation.

Quelques chiffres éloquents : ses pertes étaient de 3,2 milliards € en 2017, 17,9 milliards € en 2022. Ses dettes sont passées de 33 milliards € en 2017 à 64,5 milliards € en 2022. Malgré un hiver doux en 2022, notre déficit énergétique s’est traduit par la coquette somme de 115 milliards €. Le rapport de la commission d’enquête souligne des décisions récentes prises après des revirements et sans études préalables et faisant fi des incertitudes sur l’avenir de la filière nucléaire. Ses conclusions ont été établies en privilégiant le lobby nucléaire : 20 occurrences pour Jean-Bernard Levy (ex-PDG d’EDF), 18 pour Jean-Marc Jancovici, qu’on ne présente plus. Quant au spécialiste du nucléaire de Négawatt, Yves Mérignac, il n’a été auditionné qu’une seule fois et n’est même pas cité dans le rapport ! [2]. C’est dire combien le nucléaire a été caressé dans le sens du poil pour, finalement, aboutir quand même à des conclusions accablantes ... La suite ? Pas de problème. Il a été annoncé la création de 100 000 emplois dans le nucléaire d’ici 2030, la construction d’ici 2035-2040, de 8 EPR au lieu de 6 !!!  Pour cette fuite en avant, le consensus politique est large. L’anticipation semble raisonnable.

Bienvenue chez les Shadocks !

adaptation nucléaire construction


Transition = adaptation ?

L’équation est aussi simple qu’évidente. Il faut que « ça » change.
La mise en place du plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) nécessite de définir des trajectoires en se projetant dans un avenir pessimiste : +1,5° dès 2030, +2° en 2050 et +3° en 2100 en moyenne sur la planète [3]. Soit environ +4° en 2100 en France.

Pour estimer ces trajectoires, une consultation nationale a été lancée afin de mettre à jour les normes, référentiels, réglementations dans tous les domaines et de définir des stratégies d’adaptation pour les collectivités territoriales, les filières économiques (agriculture, tourisme, …). Pour le climatologue Christophe Cassous (CNRS), +4° est encore trop optimiste puisqu’il s’agit d’une augmentation moyenne sur toute l’année. Il considère que durant les étés, la température pourrait atteindre un niveau +5,1° ! Il faudrait alors identifier les vulnérabilités dans tous les domaines en tenant compte des inégalités sociales induites par ces situations extrêmes. Des experts du GIEC en la matière rappellent qu’il ne faut pas se tromper sur l’adaptation au risque de rendre l’avenir encore plus injuste [4].

Arrivé à ce stade, on peut s’interroger sur cet engouement à l’adaptation. Un mauvais esprit dirait que cette injonction à l’encontre de la majorité à s’adapter est l’aveu de l’impuissance ou du laxisme volontaire pour freiner suffisamment l’évolution du climat. Une invitation à baisser les bras et à continuer comme d’habitude moyennant quelques adaptations pour que le système économique et surtout financier perdurent pour la prospérité d’une minorité, moyennant quelques adaptations et grâce à la technologie.
Ronan Dantec, sénateur écologiste (Loire-Atlantique), précise qu’en s’adaptant, on n’abandonne pas l’action sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) [4] et que, opposer adaptation et action est un faux débat.

Certes, le futur PNACC devrait rappeler des pistes concrètes d’adaptations. Par exemple, la débitumisation des cours d’écoles, la plantation d’arbres, l’adaptation du réseau ferroviaire à des températures caniculaires, l’adaptation de la production électrique à une disponibilité plus faible en eau, etc … L’exemple récent du nouveau PLU bioclimatique de la Ville de Paris est un exemple de l’adaptation nécessaire des tissus urbains denses aux futures périodes caniculaires [5].

Tout cela semble évident. Il faudra que chacun adapte également son comportement et son quotidien. Mais prioritairement pour réduire les émissions de GES et non pour supporter l’insupportable. Il n’est pas (encore) trop tard ! L’économie et la finance doivent d’abord massivement s’adapter avant de servir sur un plateau une planète presqu’invivable.

« L’adaptation serait le résultat d’un échec, celui de nos efforts de transition »
Voilà ce qu’affirme l’historien Jean-Baptiste Fressoz (CNRS) en rappelant quelques faits marquants [6]. Dès fin 1976, la Mitre Corporation, groupe de réflexions proche de la Maison Blanche, organise un congrès (« Living with Climate Change - phase II ») pour provoquer un dialogue entre les scientifiques, les industriels et les politiques. Il en est résulté un rapport sur le changement climatique qui, par exemple, allait rendre l’agriculture très vulnérable. Les décisions qui ont suivi furent totalement désinvoltes si on ne peut plus cultiver ou élever ici, on déplacera les zones de production.

En 1983, le rapport « Changing Climate » produit par l’académie des sciences américaines mit en lumière des zones de production qui seraient inexorablement affectées de manière catastrophique. Tant pis. Il n’était pas question de remettre en cause la croissance du reste du pays. Alors un dédommagement aura suffi pour compenser le sacrifice de ces zones.

En 1989, sous le gouvernement Thatcher, un séminaire organisé au Royaume Uni pour identifier les moyens de réductions des émissions de GES aboutira à des réponses de même type : pas question de prendre des mesures trop sévères qui pourraient réduire la compétitivité. Le ministre anglais de l’énergie rappela qu’à l’époque, le Royaume Uni ne représentait que 3% des émissions et que les efforts nécessaires seraient trop « héroïques ». En matière de réchauffement global, « il valait mieux « espérer en atténuant les effets et nous y adapter ». Le Royaume Uni se prononcera peu après contre l’écotaxe européenne. La France qui avait d’abord promu ce dispositif allait faire volte-face en 1992 à la Conférence de Rio. A cette époque, l’économiste William Nordhaus démontra le caractère « optimal » du point de vue économique d’un réchauffement de +3,5° en 2100 !! Pour ces travaux, ce Monsieur obtiendra le prix Nobel d’économie en 2018.

Je ne peux que reprendre à la lettre la conclusion de Jean-Baptiste Fressoz « sans le dire, sans en débattre, les pays industriels ont choisi la croissance et le réchauffement, et s’en sont remis à l’adaptation ».

Nous y voilà. Il ne s’agit pas d’un faux débat. En outre, rappelons ce secret de Polichinelle : toutes les sociétés pétrolières savaient presque tout sur l’évolution du climat si rien ne changeait. C’était à eux de s’adapter dès les années 1970-1980.

Aujourd’hui, les pétroliers sont toujours pris dans un piège [7] : la catastrophe est trop lointaine pour investir maintenant sur la transition énergétique. Elles consacrent 3 à 4 fois plus sur les énergies fossiles que sur les EnR pour maintenir leur rentabilité court terme tout en s’autoproclamant les champions de la transition.

En plus des pétroliers qui ont fait et qui continuent à faire la pluie et le beau temps (sic), d’autres décideurs mondiaux sont venus, du genre Marck Zuckerberg ou Elon Musk, pour créer notre futur. Désolé, je ne veux pas de ce futur.

Désolé, il faut d’abord et sans relâche continuer à se battre pour réduire au maximum le réchauffement climatique. Rien n’empêche aussi de se préparer au pire, simplement parce que celui-ci est malheureusement possible tant que le rapport de force n’est pas en faveur de la très grande majorité des habitants de la planète.

Elon Musk


 

  1. « Le réchauffement planétaire s’accroît à un rythme sans précédent » - Le Monde - 10 Juin 2023 - Audrey Garric
  2. « Les constats sévères de la commission d’enquête sur l’énergie » - Le Monde - 7 Avril 2023 - Luc Bronner
  3. « Une consultation pour se préparer à une hausse de 4° » - Le Monde - 23 Mai 2023 - Audrey Garric et Rémi Barroux
  4. « Climat : nous créons un avenir injuste » - Le Monde - 13 Juin 2023 - entretien avec Debra Roberts et Hans-Otto Pôrtner du GT2 du GIEC
  5. « Comment Paris veut adapter ses règles d’urbanisme au réchauffement » - Le Monde - 4 et 5 Juin 2023 - Emeline Cazi.
  6. « S’adapter au climat, un choix déjà ancien » - Le Monde - 8 Juin 2023 - Jean-Baptiste Fressoz
  7. « Les pétroliers pris dans un piège temporel » - Le Monde - 16 Juin 2023 - Philippe Escande



Commentaires

  • Emmanuelle Patt
    0
    27/06/2023

    Merci Bernard Sesolis pour ce bon résumé de la situation.
    Alors, réduction des consommations d énergie et des émissions des GES, prévention du réchauffement ou adaptation, même combat qui commence par l architecture bioclimatique notamment en rénovation.


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