Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
XPair m’offrant l’occasion d’exprimer mes « humeurs », je vais donc donner aux lecteurs le loisir de m’affubler peut-être du qualificatif de Cassandre car j’estime important de faire écho à des articles alarmants du journal « Le Monde ». Sa rubrique quotidienne « Planète » consacrée aux questions environnementales ainsi que des chroniques ou articles ont traité dernièrement de sujets dont la teneur mérite un détour afin d’inciter les lecteurs à en prendre connaissance directement. En voici quelques résumés.
Ces informations me semblent utiles au regard de la teneur des débats sur la transition énergétique déjà largement engagés.
Notre civilisation pourrait-elle s’effondrer ? Personne ne veut y croire !Â
Commençons chronologiquement par le supplément « Culture et idées » du 9 Février 2013 dans lequel un grand article « Notre civilisation pourrait-elle s’effondrer ? Personne ne veut y croire ! » est dédié aux travaux du biologiste américain Paul Ehrlich. Mais, signalons au préalable un encart signé Stéphane Foucart qui constate que l’expression « changement climatique » était citée dans seulement 10 articles scientifiques par an dans les années 70. Ce chiffre est passé à 50 dix ans plus tard, à 1 000 dans les années 90 pour atteindre 15 125 juste durant l’année 2012. La communauté scientifique est donc en proie à une frénésie de travaux, au grand dam des climato-sceptiques qui se complaisent dans le déni et qui arguent d’un « complot écologiste » en tentant de faire oublier les lobbies qui les soutiennent explicitement ou non : les producteurs pétroliers, charbonniers ou l’industrie du biogaz, une catastrophe déguisée en vert ...
L’article lui- même pourrait se résumer ainsi : des civilisations passées se sont effondrées (Mayas, Île de Pâques, …), certaines s’en sont remises (Egypte, Chine, …) ; toutes concernaient des phénomènes de pertes de complexité politiques, sociales et économiques avec un déclin démographique brutal.
La mondialisation du risque écologique
Mais ces phénomènes étaient locaux. La nouveauté est la mondialisation du risque et la multitude de causes potentielles: au réchauffement climatique et à l’acidification des mers, il faut ajouter l’exploitation sauvage des océans, la destruction massive des insectes pollinisateurs assurant 80% de la reproduction des végétaux, l’épuisement des sols et des nappes, la formation de zones mortes aux embouchures des grands fleuves charriant des effluents agricoles, le tout pour nourrir 7 milliards d’habitants (pardon, seulement 6 puisque déjà 1 milliard souffrent de la faim). Ceux qui avancent que la Terre peut nourrir 9 milliards d’individus devraient s’interroger sur les prévisions démographiques et sur la stagnation des rendements agricoles depuis près de 20 ans ou le déclin des prises en mer malgré les « progrès technologiques » de l’agriculture et de la pêche industrielle. Deux synthèses publiées dans la revue « Nature » couvrant des centaines d’études concluent à une bascule brutale et irréversible de la biosphère. Silence radio des médias de peur de passer pour des alarmistes, de fâcher les lobbies habituels et de diffuser une information anxiogène peu vendeuse. L’article se termine par une interrogation fondamentale : quelles sont les traductions sérieuses de cet effondrement et quelles sont nos capacités pour l’éviter ?
Passons à des choses plus gaies
La rubrique « Planète » du 9 Mars 2013 signée Stéphane Foucart et Pierre Le Hur fait part d’un réchauffement sans précédent depuis 11 000 ans. Après une augmentation de la température globale terrestre de 0,6° après le dernier âge glaciaire, cette dernière reste stable jusqu’à 5 000 avant JC, puis décroit progressivement de 0,7° jusqu’à environ 1 800. Mais au cours du dernier siècle, elle remonte à la verticale en passant du niveau le plus froid au niveau le plus chaud de tout l’holocène (période actuelle correspond aux 11 000 dernières années). La question n’est pas le réchauffement, mais la vitesse du réchauffement ! La célèbre courbe en « crosse de hockey » de Michael Mann (du Earth System Science Center de l’Université de Pennsylvanie) qui décrit l’évolution de cette température durant les dix derniers siècles semble une fois encore se confirmer. Le GIEC prévoyait un réchauffement entre 2 et 4° en 2100. Ces chiffres semblent optimistes !
La même rubrique datée du 7 Mai 2013 précise que le taux de concentration du CO2 dans l’atmosphère vient d’atteindre le chiffre symbolique de 400ppm, niveau rattrapant celui de la période du pliocène il y a près de 3 millions d’années. Les australopithèques de l’époque vivaient avec une température moyenne globale terrestre de 3 à 4° plus élevées. Les mers étaient plus hautes de 5 à 40 m selon les endroits sur le globe. Le GIEC annonce que si le niveau se stabilise entre 400 et 440 ppm (ce qui est de moins en moins probable), la température augmenterait de 2,4 à 2,8°à la fin du siècle, et la mer monterait son niveau de 20cm à 60cm, puis au cours du 22ème siècle, de 50cm à 1,7m (ceci sans tenir compte de la fonte des glaciers). L’éditorial à la une du « Monde » du lendemain reprenait cet article en se demandant pourquoi la communauté scientifique, pourtant unanime, prêchait dans le désert depuis de nombreuses années. Et différenciait une dette économique qui peut s’effacer si le créancier passe l’éponge, et la dette environnementale ineffaçable, dont le « taux d’emprunt » de la Terre risque d’être très élevé.
La faillite des producteurs d’énergie
Cette réflexion « économique » vient en écho à la chronique « Ecologie » d’Hervé Kampf datée du 5-6 Mai 2013 qui annonce avec provocation la faillite des producteurs d’énergie dans 10 ou 15 ans ! Le chroniqueur s’appuie sur une étude du Postdam Institute de 2009 qui concluait qu’un réchauffement en 2100 ne dépassant pas 2° supposait que la barre des 886 milliards de tonnes de CO2 émis entre 2000 et 2050 ne devait pas être franchie. Les importantes émissions de la première décennie du XXIème siècle ne laissent plus que 565 milliards de tonnes à émettre entre 2010 et 2050. Un groupe de chercheurs du London School of Economics (Carbon Tracker et Grantham Research Institute) a calculé les conséquences financières de cette limitation d’émissions de CO2 : les réserves prouvées d’énergie dans le sol représentent 745 milliards de tonnes de CO2. Si les Etats décident de laisser tomber cette « manne » énergétique pour préserver le climat (ce n’est pas gagné !!!), ces réserves de combustibles perdront leur valeur et les cours des sociétés de productions s’effondreront. La revue « The Economist » et la banque HSBC ont même estimé les pertes de valeur des compagnies pétrolières ...
Alors, vive le nucléaire ? Un rapport de la Cour des Comptes de 2012 précise que les provisions financières pour le démantèlement des centrales sont 3 fois moindres que celles de nos voisins allemands ou anglais. Au point que des députés en 2006 avaient voté une proposition de loi permettant de créer un fonds indépendant pour gérer les sommes nécessaires aux démantèlements. Mais depuis, plus rien… et la « rentabilité » du nucléaire reste toujours à démontrer.
Une époque aussi angoissante que passionnante Nous vivons une époque aussi angoissante que passionnante. Comment faire pour construire ou rénover les bâtiments et les villes afin de contribuer à stabiliser au plus vite le climat ? Dans cette accélération de l’Histoire, l’efficacité commence avec la lucidité. Ces lectures sont fatigantes… mais nécessaires. Alors, bonnes lectures. |
"cachez ce changement que je ne saurais voir" ; hélas il ne s'agit pas ici de pudeur mais d'un aveuglement consternant de nos instances dirigeantes qui disposent de toutes les données qui font quasi consensus si elles veulent bien aller les puiser aux sources "dépolluées" des agents lobbyistes pathogènes.
Merci à Bernard Sesolis pour ce souffle de vérité "angoissante mais passionnante"