Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
En 2017, pour la première fois depuis 10 ans, la vente de voitures particulières en France a augmenté. Ces nouvelles voitures émettent globalement 1g CO2/km de plus que la moyenne des véhicules en circulation (1). C’est peu, mais cela ne va pas dans le bon sens. Comment est-ce possible ? D’abord, moins de diésel, gros émetteur de particules, mais émettant 20% de moins de CO2 que les véhicules à essence. Et puis, l’engouement pour les SUV et les 4x4, gros consommateurs de carburant et gros envahisseurs d’espace en ville, qui représentent 1/3 du marché ! Ah, la « tuture », toujours et encore objet d’extériorisation !
Cette année encore, le Mondial de l’Automobile fut une occasion d’affirmer que le futur de la voiture serait radieux et électrique. Elon Musk, Carlos Gohsen patrons respectifs de Tesla et de Renault, Li Keqsiang, le 1er ministre chinois et bien d’autres encore, glosent sur la voiture électrique, de préférence autonome. Elle contribuerait à la croissance économique tout en préservant l’environnement.
Mon humeur s’est penchée sur ce nouvel objet dont les médias annoncent l’irrésistible et inéluctable développement.
1 - La ville future sera-t-elle vouée à l’automobile électrique ?
Durant le XXème siècle, toutes les villes se sont créées, développées, transformées pour laisser passer La Voiture. Celle-ci aurait pu être électrique. La « jamais contente » fut la première à atteindre les 100 km/h en 1899. Mais ce sont les pétroliers (déjà !) qui imposèrent leur loi. Le moteur à explosion enterra la traction électrique laissée aux tramways (déjà !) et plus tard aux trains. Cela fait donc plus d’un siècle que les moteurs thermiques polluent les villes. Aujourd’hui, cette pollution agresse 4 milliards de citadins. 47 agglomérations dépassent les 10 millions d’habitants. En 2050, on en comptera environ 100.
On considère, y compris de nombreux écologistes, que la traction électrique sera la moins pire des solutions parce qu’elle aurait à la fois des vertus écologiques et … économiques. Et surtout, elle permettrait de préserver l’idée que la voiture individuelle doit rester un objet de liberté, de statut social, argument massue pour en vendre beaucoup et de ne pas imposer au quidam un changement radical de ses habitudes de déplacements et d’extériorisation.
Ce schéma, qui permet au business de l’automobile de se diluer dans le développement durable, est asséné comme étant l’évidente évolution de la ville et des transports. Pourtant, l’étalement urbain est à juste titre considéré comme une plaie qu’il va falloir soigner ou au moins éviter dans l’avenir. Le développement des transports en commun (pourquoi pas électriques …) et des connexions avec des mobilités individuelles « douces » semblent une piste intéressante pour réduire, voire supprimer l’invasion spatiale de la ville par l’automobile.
Pour tuer dans l’œuf cette idée, la nouvelle réponse des industriels est la voiture électrique autonome. Grâce à l’intelligence artificielle, avec des investissements colossaux en recherche-développement, en lançant des débats éthiques sur l’aptitude d’une voiture robot capable de faire mieux qu’un conducteur humain, en proposant la mise en œuvre d’infrastructures électroniques partout dans la ville, en créant des applications pour gérer les déplacements de ces véhicules permettant à chacun de personnaliser une demande de parcours tout en partageant le véhicule avec d’autres passagers afin que ces derniers ne prennent pas trop d’espace sur la voie, c’est tout un business qui se profile pour l’industrie automobile, les GAFA et un bon nombre de start-up … Restons modernes …
Tout cela, bien sûr, avec une électricité peu carbonée, … cela va sans dire.
2 - Un enthousiasme qui cache beaucoup de craintes
Le Mondial de l’Automobile a vu une poussée sans précèdent de la traction électrique. Jean-Pierre Lagarde rapporte (2) que cette poussée est autant due à la concurrence qu’aux nouvelles limites d’émissions de CO2 imposées par l’Europe qui impose de nouveaux seuils d’émission de CO2 : pour 2021, moins de 95g CO2/km avec des amendes à la clé en cas de dépassement. Et une nouvelle réduction des émissions de 30% sera imposée en 2030. Pour répondre à ces exigences tout en contrant une concurrence très agressive (Tesla annonce 35 nouveaux modèles pour 2019), les constructeurs européens ne doivent pas rater ce virage, au risque d’être rachetés … par les chinois. En effet, la règle anti-trust européenne empêcherait à une autre entreprise européenne de racheter ! Ainsi, 12,6 millions de salariés européens de l’automobile sont menacés … Selon le cabinet de conseil AlexPartners, la moyenne des émissions des véhicules neufs se situe à 120g CO2/km auxquels il faut ajouter 10g liés au nouveau protocole d’homologation et 7 g liés à la baisse rapide du marché des diesels.
Il est utile de rappeler que ces chiffres ne tiennent pas compte des émissions d’équivalent CO2 liées aux fuites des systèmes de climatisation embarqués. Il faudra sérieusement en tenir compte et sortir du déni à ce sujet. Mais, revenons aux chiffres officiels. Pour passer en 3 ans de 137g à 95g, il faudra proposer au moins 200 modèles et les promouvoir auprès d’une clientèle encore frileuse. Des freins importants persistent : le prix d’achat, la faible autonomie, la faible offre de service de recharge. Sur ce dernier point, EDF ne veut pas rater le virage du véhicule soi-disant « propre » et vise à devenir n°1 en Europe comme fournisseur d’électricité (3).
Ces 8 dernières années, les constructeurs ont investi 8 milliards €. Il faudra qu’ils investissent 255 milliards € dans les 8 années à venir pour espérer vendre 2,6 millions de véhicules en 2025 et 6,5 millions en 2030 avec des risques financiers importants compte-tenu de la concurrence chinoise. L’empire du Milieu est en avance sur la technologie et sur les batteries.
3 - Un foisonnement de « bonnes » intentions
Cet été, Guillaume Pitron dans le Monde Diplomatique (4) a proposé une analyse de la situation dont je me suis largement inspiré et que je vous conseille vivement de lire. En substance, une première question posée concerne la réelle vertu de la voiture électrique. Les études consacrées au bilan carbone ne convergent pas. La fabrication, la question des cycles et du poids des batteries, l’effet « rebond » lié à l’usage d’un véhicule vertueux poussant à l’utiliser plus, … tous ces facteurs se télescopent et les bilans restent mitigés.
Est évoqué en deuxième lieu, la Chine qui afficha en 2017 sa prédominance en déclarant qu’elle renoncerait aux véhicules à essence d’ici 2030-2040. Du coup, l’Allemagne et les Pays-Bas annoncèrent la fin des moteurs thermiques dès 2025. L’inde vise 2030, la France, 2040. 12 grandes villes, dont Paris et Los Angeles, faisant partie du C40 (regroupement de 40 métropoles mondiales s’étant déclaré en 2017 « pour des rues sans énergie fossile ») veulent annuler les émissions de CO2 dans d’importantes zones de leur territoire.
Le levier fiscal se veut incitatif en Allemagne ou aux USA pour inciter à l’acquisition d’un véhicule électrique. Dans certaines villes chinoises ou américaines, des accès à des voies réservées se mettent en place. Déjà 470 000 bornes de recharges aux USA, 214 000 en Chine.
Cependant, le marché électrique ne représente que 1% des ventes en 2017. Les hybrides sont au même niveau. Mais avec une croissance de 17% en un an, il semblerait que les ventes décollent vraiment. Elles pourraient représenter 43% du marché en Europe et 36% en Chine dès 2025.
4 - Vertus … et turpitudes
Carlos Tavarès, patron de PSA, a une position plus dissonante. Il revient sur des questions non résolues : le recyclage des batteries et surtout, la gestion des matières premières qui ne courent pas les rues et demeurent nécessaires pour les technologies actuelles, comme le gallium, le tantale, le cobalt, le tungstène, les terres rares. Dans la batterie d’une seule voiture, on retrouve plus de 3 kg de terres rares, une quinzaine de métaux différents dans les électro-aimants, 10 à 20 kg de cobalt et jusqu’à 60 kg de lithium, certes plus abondant.
Les conditions et les process d’extraction et de raffinage de ces ressources conduisent à de larges pollutions observées, comme par exemple, au Chili (33% du lithium mondial), en République Démocratique du Congo (59% du cobalt).
Selon un spécialiste des terres rares de Solvay-Chine, le peuple chinois a sacrifié son environnement pour nourrir la planète entière avec ces ressources.
A croire que l’impact environnemental d’une voiture électrique est bien plus faible sur place que son homologue à essence, et qu’il se confinerait en amont, là où sont extraits, raffinés et incorporés les matériaux qui la constituent.
Que nenni ! Sur place, nous en prenons également pour notre grade !
Le remplacement d’un moteur thermique par un moteur électrique ne traite que partiellement les problèmes de la pollution de l’air en site urbain. Il faudra toujours des freins et des pneus, sources importantes d’émissions de particules.
Et puis, avec quelle électricité roulent ces voitures ? Pour l’instant, 2kWh électriques sur 3 produits dans le monde sont d’origines fossiles (principalement, le charbon, mais bientôt peut-être, grâce à Trump et aux sociétés pétrolières, aux gaz de schiste). Et le rendement de la chaîne énergétique pour faire avancer une voiture électrique est lamentable.
Allons, allons, que diable ! Vive la voiture électrique, cachons ces émissions et ces pollutions que nous ne saurions voir, roulons écolos bling-bling !
5 - La Chine nous attend au tournant
Le plan « made in China – 2025 » lancé en 2015 annonce la couleur : priorités aux batteries électriques.
Avec son marché intérieur potentiel, avec ses ressources et l’abandon par les pays occidentaux de l’extraction minière, la Chine produit 94% du magnésium mondial, 69% du graphite, 84% du tungstène et plus de 95% de certaines terres rares indispensables. Les USA ont déposé plainte auprès de l’OMC (tiens ! Trump n’est plus contre cet organisme ?) en raison des prix de vente de certaines matières premières pratiqués par les chinois. L’Europe constate amèrement que la Chine exporte au compte-goutte le molybdène, la fluorine, le magnésium et le phosphore jaune.
La rupture d’approvisionnement est à envisager ! Pour avoir accès à ces ressources nécessaires pour fabriquer un moteur électrique (en particulier, le néodyme), il faut désormais … délocaliser en Chine et transférer son savoir-faire !
Jusqu’en 2000, les pays occidentaux fabriquaient 90% des moteurs dans le monde. Désormais, la Chine seule couvrira à court terme 75% du marché mondial.
Et il en sera de même pour les batteries dont la fabrication nécessite du cobalt. La Chine vient de conclure un contrat avec la RD du Congo pour 1/3 de sa production totale et les fabricants de batteries chinois s’arrogent 80% de la production du cobalt congolais.
A ce rythme, en 2020, 4 batteries sur 5 seront d’origine chinoise. Déjà, 6 des 10 plus grands constructeurs de véhicules électriques sont chinois.
6 - Conclure ?
Surtout pas. Mais réfléchir, oui. Et travailler sur la ville où il serait possible de faire un maximum de trajets nécessaires … à pieds.
Nous reviendrons sur le sujet de la mobilité qui doit être sérieusement prise en compte dans la conception et la rénovation des bâtiments, en nous focalisant un peu plus, entres autres, sur la voiture autonome, nouveau fantasme des industriels qui espèrent faire rêver une foule de clients potentiels.
Bernard SESOLIS
Expert Energie Environnement
- « L’automobile, point noir pour la planète » - Le Monde - 25 Octobre 2018 - Eric Gibory
- « La voiture électrique à marche forcée » - Le Monde - 25 Octobre 2018 - Jean-Pierre Lagarde
- « EDF entre dans la course à la voiture électrique » - Le Monde - 11 Octobre 2018 - Jean-Michel Bezat
- « Voiture électrique, une aubaine pour la Chine » - Le Monde Diplomatique - Août 2018 - Guillaume Pitron
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers