Par Dominique BIDOU, président d'honneur de l'Alliance HQE-GBC France le 04 Juillet 2019
1 milliard d’euros levés en une semaine pour le patrimoine, c’est exceptionnel. Il en faut de l’émotion pour provoquer un tel élan, alors que les spécialistes du patrimoine se désolent de la faiblesse des budgets qui leur sont alloués. Seuls les monuments touchés par la grâce, classement, UNESCO, tirent leur épingle du jeu, et encore …
C’est que notre société, obsédée par les équilibres financiers, ne s’intéresse pas au patrimoine. Notre-Dame n’apparait pas au bilan de la France, sauf par le flux de visiteurs qu’elle attire chaque année. Seul le flux compte, car il contribue au PIB. Notre-Dame n’y figure pas. Les flux sont considérables, et nos financiers y voient bien une poule aux œufs d’or qu’il faut soigner, comme l’ensemble des monuments majeurs. Une politique de tourisme plutôt que de patrimoine. Nous pouvons nous en réjouir, car elle nous évite l’abandon à leur sort de nombreux monuments, mais elle est sélective, sur des critères parfois bien éloignés de la sauvegarde d’un patrimoine commun.
Les gargouilles de Notre-Dame, une chance d'être éternelles
1 - Quand le patrimoine bâti rapporte
Prenons l’affaire du bon côté, et rappelons-nous que Robert Poujade, à la fois maire de Dijon et premier ministre de l’Environnement, disait que son secteur sauvegardé rapportait plus à sa ville que sa zone industrielle.
Tant que le patrimoine « rapporte », sa tête est retenue hors de l’eau. Mais il semble que sa valeur propre, historique, sentimentale, culturelle ne soit guère prise en compte, exception faite des monuments majeurs comme Notre-Dame. Le petit patrimoine, qui ne draine pas un grand nombre de visiteurs mais qu’il faut entretenir régulièrement, est souvent oublié. Il apparait comme une charge, il alourdit le bilan des collectivités quand il n’est pas repris par des propriétaires privés. Les « buttes témoins » du passé de nos régions sont alors délaissées, à moins de faire partie d’un ensemble reconnu, comme les châteaux Cathares, doté d’un réel pouvoir attractif.
Dans la grande majorité des cas, le petit patrimoine, celui qui rappelle aux habitants d’un canton des éléments de leur passé, et leur apporte en plus la fierté dont ils ont besoin pour envisager l’avenir avec sérénité. Ils ne peuvent plus s’identifier à un territoire, à un héritage culturel auquel le patrimoine bâti donne une visibilité. L’élan de solidarité autour de Notre-Dame devrait amener à réfléchir à la mise en valeur du petit patrimoine, tour, manoir, calvaire ou chapelle, qui balise notre territoire. Sans volonté affirmée, tel château ou telle église provoquerait un flux financier plus intéressant en tant que carrière de pierres, que comme symbole d’une époque, d’une histoire, d’une croyance. Tout comme, côté patrimoine naturel, une zone humide de grande richesse biologique serait plus « rentable » en champ de maïs.
2 - L’orthodoxie financière nous conduit en outre à regarder les charges d’un air sévère
Retardez les travaux d’entretien, et vous passerez dans les clous budgétaires, même si ce retard provoque les années suivantes des dépenses lourdes qui auraient pu être évitées. La règle d’or peut s’avérer contraire à ses objectifs.
Comment dépasser cette approche par les flux, et donner une valeur intrinsèque au patrimoine ?
Une valeur ancrée sur ce qu’il représente, un capital considérable qui n’est pas forcément fait pour être valorisé financièrement. Un capital qui coûte de l’argent pour le maintenir en l’état et cultiver sa puissance évocatrice, sa capacité à provoquer de l’émotion. Le tout avec en fond de décor les autres besoins évidemment légitimes comme l’action sociale, et le « ras-le-bol fiscal ».
L’incendie de Notre-Dame a montré à quel point nos contemporains restent attachés à des témoignages spirituels ou culturels. Il en est beaucoup d’autres à mettre en évidence, modestes et diffus dans notre territoire, mais souvent marque d’une ancienne civilisation. La comptabilité en flux écrase dans les faits toute tentative de comptabilité patrimoniale, ce qui représente un réel danger pour la société. L’existence d’un milieu professionnel compétent, souvent expert, doté d’un savoir faire exceptionnel et lui-même devenu patrimoine, véritable atout économique, ne peut compenser ce déséquilibre.
Comment doter le petit patrimoine des moyens dont il a besoin pour son rayonnement, celui des territoires dont il est l’émanation, et de leurs populations ? la question n’est pas nouvelle, mais les évènements récents la remettent à l’ordre du jour.
Encore un beau sujet pour un « grand débat » ciblé, ou un grand chantier si l’on préfère. Une politique pour une trame patrimoniale vivante, qui donne fierté et émotion aux habitants de nos petites villes et de nos campagnes.
À propos de l'auteur
Dominique Bidou
Ingénieur et démographe de formation, Dominique Bidou a été directeur au ministère de l’Environnement et est Président d’Honneur de l’association HQE (désormais Alliance HQE – GBC). Il est consultant en Développement Durable, a écrit de nombreux ouvrages tels que « Le développement durable, une affaire d’entrepreneurs », anime son blog...