Par Dominique BIDOU, président d'honneur de l'Alliance HQE-GBC France le 04 Juillet 2019
En matière de crèches, le discours politique insiste souvent sur le nombre d‘établissements. L’exigence devrait aussi porter sur leur qualité.
1 - La qualité de l’air dans les crèches fait l’objet d’alertes
Et ceci de la part de plusieurs associations comme Respire, Green Peace, et l’Association Santé Environnement France, cette dernière ayant analysé des prélèvements in situ. De nombreux établissements se trouvent dans des quartiers pollués, et l’air intérieur des crèches étant prélevé à l’extérieur, on retrouve la pollution dans les bronches des enfants, si elle n’a pas été filtrée dans les prises d’air. Mais on détecte aussi des polluants issus des matériaux utilisés pour la construction et l’ameublement, parfaitement évitables si la préoccupation est présente lors de la conception et l’aménagement des locaux pour la petite enfance.
Qualité d’air et confort acoustique pour la petite enfance
2 - Confort acoustique ? le cri d’un enfant atteint 90 dB
D’autres sujets devraient retenir l’attention. Le cri d’un jeune enfant est puissant et peut atteindre 90 dB. C’est le niveau de bruit moyen dans un atelier de mécanique, où le personnel est tenu de se protéger les oreilles. Bien sûr, les enfants ne crient pas tout le temps et le bruit n’est pas continu, mais il est fréquent, et les activités, les machines à laver le linge, la vaisselle, et la ventilation créent une ambiance sonore rapidement oppressante. Il n’est pas rare que les personnels des crèches, à partir d’une dizaine d’années de métier, souffrent de troubles auditifs et notamment d’acouphènes.
L’escalade des décibels n’est jamais loin. Pour se faire entendre, la tentation est forte pour les éducateurs, de hausser le ton. Le niveau sonore monte vite, chacun forçant sa voix pour émerger dans un univers bruyant. Tout le monde est perdant dans cette aventure. Les personnels, dont les conditions de travail sont pénalisantes, leurs employeurs, la commune, à cause du taux d’absentéisme important qui en résulte, et les enfants, de multiples manières.
Les enfants en souffrent sur le moment. Le bruit provoque un énervement général et la montée de l’agressivité. Les éducateurs sont moins attentifs, et l’absentéisme fait qu’ils sont moins nombreux. Les périodes de repos sont écourtées et souvent interrompues, car les enfants mettent plus de temps à s’endormir et leur sommeil est agité. Leurs facultés d’apprentissage sont affectées par le bruit. De quelques mois à 3 ans, le cerveau se forme, c’est la période d’apprentissage du langage. C’est une étape importante dans l’évolution, notamment pour la capacité à discriminer des sons. Le brouhaha général est l’ennemi de cet apprentissage, dont les effets se feront sentir toute la vie.
Les parents sont également victimes des crèches trop bruyantes. Ils sont eux-mêmes fatigués à l’issue d’une journée de travail, et ils retrouvent le soir des enfants fatigués physiquement et nerveusement. Des enfants qui vont pleurer à la moindre contradiction, et accentuer la tension à la maison. S’ajoute alors le bruit ambiant de la télévision, de l’environnement en général, et l’endormissement de l’enfant devient problématique, avec un manque de sommeil qui s’annonce. Tableau bien exagéré me direz-vous, mais hélas assez courant, avec l’inévitable composante sociale, selon la qualité et la taille du logement.
3 - Le bruit à la crèche est donc un facteur de troubles variés et les victimes sont nombreuses
L’acoustique dans les crèches ne fait pourtant l’objet d’aucune réglementation, juste des recommandations et des guides de bonnes pratiques. Au moment où l’argent est rare, et où les comptes publics doivent impérativement être équilibrés, le risque est grand que les dépenses nécessaires pour réduire le bruit soient reportées à plus tard. Le coût des dégâts décrits ci-dessus n’est pas évalué, et encore moins reporté dans les comptes de la collectivité. Des coûts diffus et cachés, supportés par la société dans son ensemble, et certainement bien supérieurs au montant des travaux et aménagements propres à limiter le niveau sonore. Certaines actions sont gratuites, il s’agit d’une sensibilisation des principaux acteurs, les personnels des crèches. Il faut y ajouter des petites interventions, à financer sur les budgets courants de fonctionnement : des feutrines pour éviter des bruits de choc quand on ferme les tiroirs, par exemple. Pas grand-chose, mais de multiples arrangements que le personnel pourra trouver lui-même. Parfois, il faut des travaux plus importants, comme la pose d’éléments absorbants, qui demandent une compétence particulière. C’est aussi l’organisation des lieux qui est à examiner. La disposition des salles de repos et de celles dédiées aux activités n’est pas indifférente. C’est parfois dans la conception et la structure du bâtiment que se trouve la réponse à la question de l’ambiance sonore. L’exigence doit être prise en compte dans la conception et la réalisation des nouvelles crèches, mais elle n’est pas toujours facile à respecter pour les autres.
4 - Récapitulons : Une bonne ambiance sonore dans les crèches, c’est un gain pour les enfants
Ceci immédiatement pour eux et pour leur avenir, un gain pour les personnels des crèches, un gain pour la collectivité, un gain pour les parents. Traduire tous ces gains en argent est évidemment impossible, mais ce serait une grave erreur de ne pas en tenir compte. D’autant que la qualité acoustique ne coûte presque rien si elle est intégrée dès la conception de la crèche, et que beaucoup d’améliorations à bas coût sont possibles la plupart du temps. Il faut juste y penser !
On retrouve dans cette affaire de crèches une constante du développement durable. La qualité est aussi importante que la quantité, et parfois plus. Elle ne se mesure pas facilement, et n’entre pas dans les comptes, si bien qu’elle est souvent négligée, alors que le succès en dépend. Ajoutons qu’elle est économique et que le coût de la non-qualité est lourd. Ça coûte cher d’être pauvre, c’est bien connu.
À propos de l'auteur
Dominique Bidou
Ingénieur et démographe de formation, Dominique Bidou a été directeur au ministère de l’Environnement et est Président d’Honneur de l’association HQE (désormais Alliance HQE – GBC). Il est consultant en Développement Durable, a écrit de nombreux ouvrages tels que « Le développement durable, une affaire d’entrepreneurs », anime son blog...