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Une troisième remontée dans le temps

Par Roger CADIERGUES le 04 Juillet 2019

3 Novembre 2008

Dans mes lettres d'Octobre je vous ai fait remonter le temps. Je vais maintenant recommencer, mais en vous plaçant cette fois à mes tous premiers débuts dans le bâtiment.

Que s'est-il passé ?

Le hasard a voulu que dès ma deuxième semaine dans le génie chauffage-ventilation (où je ne connaissais vraiment rien) j'assiste au Congrès International de Chauffage organisé par Marcel Véron, avec toutes les grandes figures de nombreux pays et d'avant 1945 : Grande-Bretagne, Etats-Unis, Allemagne, etc... France comprise bien entendu. En gros - et pour moi - une initiation rapide et gratuite de haut niveau. J'y ai surtout été marqué par une des seules véritables apostrophes que j'ai connues dans ce genre de réunion. Apostrophe d'autant plus surprenante qu'elle venait d'un homme habituellement très calme : Léon Nisolle. Il s'agit du calcul des régimes variés de transmission de chaleur. Tout débutant sur ce sujet est séduit par les méthodes de Fourier, basées sur l'analyse harmonique, réduisant les évolutions thermiques à une sinusoïde de période 24 h, ou à plusieurs sinusoïdes analogues. Lors du congrès précité un conférencier (Victor Broida) a cru bon de proposer une méthode de ce type, "améliorée" en utilisant deux harmoniques, une de 24 h l'autre de 12 h. C'est là où j'ai vu, lors de la discussion, Léon Nisolle sortir de ses gonds et s'élever violemment contre les propositions de Broida, en soulignant le caractère erroné. Je n'ai jamais oublié cette attaque, et vous allez voir pourquoi.

Quelle est donc cette raison ?

C'est que tout débutant sur le sujet est tenté par la méthode des harmoniques. Comme le furent, par exemple, André Nessi et Léon Nisolle à leurs débuts (à la fin des années 1920). Comme le furent plus tard, durant les années 1960 aux Etats-Unis, D.G. Stephenson et G.P. Mittalas. Comme le fut plus tard, durant les années 1970, en Allemagne, Jürgen Masuch. Toutes ces équipes furent conduites - après avoir été tentées par les méthodes harmoniques, et souvent après de très nombreux mois de tests - à basculer vers des méthodes très différentes. Et ce pour de pures raisons de qualité numérique, les méthodes harmoniques conduisant (dans les cas qui nous concernent) à des résultats souvent très erronés numériquement. Victor Broida était tombé dans le piège, et c'est ce que Léon Nisolle dénonçait. J'ai eu - par la suite - la chance de recevoir, en année sabbatique au COSTIC, aussi bien D .G. Stephenson que Jürgen Masuch, et je puis témoigner du temps qu'ils ont reconnu avoir perdu en ne connaissant pas les travaux de Léon Nisolle et André Nessi datant des années 1930. Par la suite, développant une méthode numérique différente destinée surtout aux simulations horaires et à la mise au point du calcul des charges de climatisation, j'ai dû faire attention à ce piège. Dans ce cas (avec l'ordinateur), il existe d'ailleurs un autre piège, d'autant plus sournois qu'il n'est pas facilement visible. Si je dis cela ce n'est pas par souci mathématique mais parce qu'un certain nombre de méthodes de simulation en sont victimes … sans que vous le sachiez ou vous en doutiez, les auteurs eux-mêmes l'ignorant souvent.

De quoi s'agit-il ?

Quand vous faites de la simulation horaire sur ordinateur il est fréquent que vous travailliez de proche en proche. L'ordinateur (sauf précaution spéciale et sans vous prévenir) arrondit les valeurs. Même si cet arrondi est très faible, et peu significatif lors du premier pas, vous en accumulez un nombre croissant au cours de votre progression. N'oubliez pas, par exemple, que sur huit mois la simulation horaire travaille sur plus de 4000 valeurs : un léger décalage de 0,001 [°C] au premier pas peut se traduire par une décalage de 4 [°C] à la fin !

Quand on vous propose un outil de simulation, il peut vous fournir des résultats très erronés. Et ce n'est pas tout.

Quoi, par exemple ?

Supposez que vous fassiez une simulation horaire du chauffage, tout en prenant les précautions adéquates pour éviter les défauts dont je viens de parler. Le bilan horaire fait apparaître qu'à chaque pas les pertes sont plus ou moins compensées par les apports. Supposez qu'à chaque heure vous soustrayiez les apports des pertes, si vous calculez le bilan sur plusieurs heures sans faire attention vous faites une faute grave que je vais traduire simplement, sans vous ennuyer avec des considérations mathématiques. Pour que votre calcul soit correct il faut, à chaque pas horaire, compter pour zéro les heures où les apports sont supérieurs aux pertes. Si vous ne faites pas cette décantation, et si vous calculez les bilans en faisant intervenir à chaque heure la valeur stricte "pertes moins apports", on peut montrer que vous faites une erreur qui peut être grave (si le bâtiment est bien isolé) : vous comptez tout simplement comme positifs des apports qui ne servent qu'à provoquer des surchauffes. Or de tels logiciels erronés, même officiels et dans plusieurs pays, existent. Ils vous conduiront facilement à de faux bâtiments "positifs". En résumé attention aux logiciels dits de simulation : ils peuvent cacher de graves erreurs.

Roger CADIERGUES

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