Par Joséphine LEDOUX, co-fondatrice de Librafluides et directrice du BET ENERA CONSEIL
Trop souvent, lors d’une rénovation globale de copropriété, l’impasse est faite sur la régulation terminale et il peut en résulter un inconfort lié au changement du comportement du bâti par rapport à la conception et aux réglages des installations thermiques.
Une résidence au cœur de Paris a fait le choix d’aller au bout de la démarche de rénovation énergétique et a complété le programme de travaux d’isolation du bâtiment par la mise en œuvre d’une régulation terminale prédictive sur les planchers chauffants. La solution Semlink a permis d’analyser les données relevées par la régulation et de fournir un retour d’expérience riche en enseignements sur la méthode à appliquer pour assurer performance et confort des occupants.
Le contexte, inconfort et charges de chauffage élevées
Copropriété dans le 19ème arrondissement de Paris
Crédit : REANOVA
La résidence a été construite au début des années 70. Elle est constituée de 3 bâtiments comportant au total 170 logements.
La résidence est chauffée par des planchers/plafonds chauffants caractéristiques de l’époque chauffant théoriquement à 70% par le plafond et à 30% par le plancher.
Un audit énergétique réalisé par les bureaux d’études POUGET Consultants et REANOVA en 2014 a mis en avant des bâtiments non isolés avec de fortes déperditions par le bâti.
Lors de l’enquête auprès des occupants (60% ont répondu), il a été constaté un déséquilibre général avec des logements surchauffés alors que d’autres avaient recours au chauffage d’appoint électrique pour maintenir une ambiance à 19°C.
Dans l’ensemble, les copropriétaires trouvaient leurs charges de chauffage élevées. La priorité exprimée par les votes (presque 50%) pour diminuer ces coûts et améliorer le confort a été l’étude de régulation des terminaux.
À la suite de cet audit, et à la demande de la copropriété, une maîtrise d’œuvre en phase conception a été réalisée par l’équipe POUGET Consultants et Réanova. Le programme de travaux étudié a été :
- Le ravalement et l’isolation des façades
- L’isolation des toitures et des planchers
- Le remplacement des menuiseries simple vitrage
- L’amélioration de la ventilation
- La mise en œuvre d’une régulation terminale prédictive Thermozyklus
Ces travaux ont permis d’atteindre une performance de 90 à 101 kWhep/m².an selon les bâtiments, soit un niveau BBC rénovation et de passer d’une étiquette D à une étiquette C.
Travaux, budget et solution mise en œuvre
Les travaux ont été réalisés en 2017 et réceptionnés en 2018 pour un budget total de 4,2 M€ de travaux dont 1,6 M€ d’aides, soit 38%.
Les organes d’équilibrage (coude de réglage) des planchers/plafonds chauffants dataient en majorité de la construction du bâtiment et étaient vétustes, déréglés et fuyards. Leur remplacement fut impératif pour répondre aux nouveaux besoins du bâtiment isolé d’une part et mieux répartir la chaleur entre logement d’autre part. Sur le même principe que les robinets avec têtes thermostatiques mis en œuvre sur les radiateurs pour prise en compte des apports gratuits internes et externes (chaleur des rayons du soleil, apport calorifique des personnes et appareils électriques…) ; la solution de régulation terminale prédictive Thermozyklus s’est rapidement imposée sur le type d’émetteurs de la résidence et répondre à l’amélioration du confort des usagers.
Système qui dispose d’un mode « apprentissage » pour anticiper le maintien en températures des logements par rapport aux températures du bâtiment et à l’inertie. Le servo moteur gère également l’ouverture de la vanne (butée - proportionnelle), ce qui permet de considérer les aménagements privatifs (moquette, parquet massif, faux plafond…) et d’ajuster le débit en conséquence sur le même principe qu’un robinet auto-équilibrant. De plus, le système est capable de détecter les ouvertures de fenêtre et ainsi de limiter le débit de chauffage pendant ce temps d’aération. Les servomoteurs sont communicants entre eux et s’adaptent en fonction des logements attenants (au-dessus et en dessous) pour avoir une température la plus proche de la température ciblée par l’occupant. Les thermostats d’ambiance ont été placés dans les couloirs intérieurs (endroit neutre, à l’abris des rayons du soleil ou sources de chaleur) à environ ¾ de sa longueur (RAPPEL : dans notre cas, une boucle de plancher/plafond parcours un ensemble de pièce, voire un appartement complet).
Suite aux travaux, le fait de visualiser instantanément la température des logements à distance est un réel avantage pour affiner le réglage de la courbe de chauffe en chaufferie et diagnostiquer les éventuels dysfonctionnements » précise Jonathan MULLER (Responsable de l’Activité Maitrise d’œuvre – POUGET Consultants.)
Suite à la mise en service par le fabricant et une formation de l’exploitant, une notice d’utilisation des thermostats d’ambiance situés dans les logements a été communiquée à chaque occupant.
La température prévue comme normale pour l’ensemble de la résidence et l’amplitude des variations possibles sont décidées collectivement. Chaque résident peut modifier ponctuellement la température d’ambiance de son appartement en agissant sur les flèches situées à droite du thermostat. Lorsque l’installation est en chauffe, un symbole de chauffe s’affiche tout à droite de l’écran.
- Température de consigne
- Symbole de chauffe
- Pour augmenter la consigne (une pression = +0,5°C)
- Pour diminuer la consigne (une pression = -0,5°C)
Si les batteries faiblissent, un symbole de batterie s’affiche sur l’écran de l’appareil en guise d’alerte. L’utilisateur a trois semaines pour remplacer les piles (deux piles AA alcalines au manganèse). Semlink permet aussi de lire ces données à distance – l’exploitant envoie directement une info au copropriétaire.
Fonctionnement de la régulation terminale prédictive Thermozyklus
Le principe de fonctionnement de la solution Thermozyklus repose sur un algorithme breveté capable d’anticiper et de prédire les cycles de température.
En enregistrant la température intérieure toute les secondes, la régulation apprend des variations naturelles de la température dans le logement. Ainsi définies et reconnues, elles sont analysées de manière continue. La capacité à anticiper chaque cycle de chauffe (ici plusieurs heures à l’avance) permet une précision de régulation inégalée même sur ce type d’installation !
Les acteurs du Projet copropriété au cœur de Paris
Maîtrise d’œuvre : POUGET Consultants et Reanova
Installateur de la solution Thermozyklus : Ets Deschamps
Exploitant : Gesten
Régulation terminale : Thermozyklus
Supervision : Librafluides Concept
Installation de la régulation dans la copropriété
L’installation de la régulation terminale prédictive se compose de 4 éléments.
- Les vannes motorisées montées sur les corps des robinets de départ des planchers chauffants (2 nappes de planchers par logements).
- Une sonde d’ambiance installée dans les entrées côté salon.
- Une centrale ZE qui intègre l’algorithme de régulation et qui commande les ouvertures et fermetures des vannes.
- Une gateway qui permet de transmettre les informations via un réseau 4G à la plateforme SEMLINK.
Adaptation des nourrices de planchers chauffants
Les moteurs sont reliés aux centrales par un bus de communication basse tension, Bus qui alimente électriquement chaque moteur (installation très simple sans alim 230VAC ou 24V). Les sondes de température sont autonomes et fonctionnent sur pile et par réseau radio. Les centrales communiquent avec la plateforme SEMLINK via le réseau 4G.
170 logements de la copropriété ont été équipés, soient 300 vannes motorisées et 18 centrales de régulation.
Figure : adaptation de l'installation
Figure : principe de connectivité de la régulation prédictive
La plateforme de visualisation à distance SEMLINK
Afin de contrôler et d’observer à distance les effets de la régulation des planchers, celle-ci a été connectée à la plateforme SEMLINK qui permet de visualiser le comportement de la température intérieure des logements.
SEMLINK est une solution de supervision et de monitoring qui allie du matériel de connectivité à une plateforme WEB développée par LIBRAFLUIDES CONCEPT.
LIBRAFLUIDES CONCEPT et Thermozyklus se sont associés pour permettre de visualiser les données fournies par la solution de régulation et de pouvoir modifier à distance les consignes de température.
Il est ainsi possible :
- De visualiser les températures des appartements via les sondes installées
- De moyenner par zone ces températures
- D’alerter en cas de dysfonctionnements comme des défauts de piles par exemple
- De modifier les consignes de température
- De connaître l’état d’ouverture des vannes de régulation
- De connaître l’état d’ouverture des fenêtres
Visualisation de l’état de la régulation Thermozyklus en temps réel sur la plateforme SEMLINK
Liste de pilotage des consignes à distance sur SEMLINK (ici pilotage à distance non autorisé)
Analyse des données relevées
C’est à la suite de doutes de la part des copropriétaires sur le fonctionnement de la régulation, qu’il a été décidé de connecter la régulation Thermozyklus pour observer et apporter des réponses facilement. Globalement, la régulation joue parfaitement son rôle et rend le service attendu. Ce sont les changements d’habitude et de ressenti qui ont donné l’impression d’un défaut de régulation. En effet, le bâtiment jusque-là surchauffé a vu sa température légèrement diminuer (suppression des surchauffes), car bien que la main ait été laissée aux copropriétaires de modifier les consignes de températures, celles-ci ont été bridées entre 19 et 22°C. D’autre part, les occupants étaient habitués à avoir une sensation permanente de plancher chaud ce qui n’est plus le cas lorsque la température de consigne est atteinte et que les vannes sont fermées. Ce changement avait été interprété comme un défaut du système de régulation.
Ainsi, on peut constater par exemple dans les 2 appartements superposés situés en étage intermédiaire, que la régulation joue parfaitement son rôle avec une variation maximale de 0,6°C.
Courbes des températures ambiante, de consigne et extérieure de 2 appartements. La température ambiante respecte parfaitement la consigne.
Il en est de même dans les logements ici en exemple en RDC et avant dernier étage.
Courbes des températures ambiante, de consigne et extérieure de 2 autres appartements. La température ambiante respecte parfaitement la consigne.
Les influences entre appartements
On constate qu’en majorité les occupants fixent la température de consigne à 22°C.
Ainsi, compte-tenu de la température moyenne des bâtiments et de l’inertie de ceux-ci en raison de l’importance de l’isolation, les logements fixant une température de consigne à 19 ou 20°C, ont une température ambiante systématiquement supérieure, comme on peut le constater dans les 2 logements ici exemple (étage intermédiaire) où la consigne est de 19°C et la température ambiante est respectivement de 21°C et de 22°C.
D’autre part, il existe des émissions de chaleur « parasites » comme les colonnes d’eau chaude sanitaire qui peuvent circuler dans les logements. En cas de forte isolation du bâtiment, ces circulations peuvent contribuer de manière non négligeable au chauffage du logement.
Courbes des températures ambiante, de consigne et extérieure de 2 appartements. La température ambiante ne descend pas à la température de consigne en raison de la température générale du bâtiment qui est plus élevée.
Influence des déperditions et de l’inertie du bâtiment sur la régulation
Comme on peut s’en douter, moins il y a de surfaces donnant sur l’extérieur et donc de déperditions, plus l’inertie du logement est importante et mieux la chaleur est maintenue même en cas de baisse de consigne.
On le constate particulièrement dans l’appartement ci-dessous situé en étage intermédiaire où la température ambiante diminue très lentement suite aux abaissements de consignes (seulement 2 murs donnant sur l’extérieur).
Courbes des températures ambiante, de consigne et extérieure d’un appartement ayant peu de surface de déperdition. La température ambiante ne parvient pas à suivre les variations de consigne de température.
Si l’on observe en revanche l’appartement ci-dessous situé également en étage intermédiaire dans un bâtiment où il n’y a que 2 appartements par étage et donc 3 murs sur extérieur par logement, on constate que la température intérieure est plus rapidement impactée suite à un abaissement de consigne.
Courbes des températures ambiante, de consigne et extérieure d’un appartement ayant plus de déperditions surfaciques. La température ambiante parvient ici à suivre les variations de consigne de température.
Le point de vue du mainteneur de la copropriété
Entretien avec M. Lionnel Nadjar, responsable maintenance GESTEN et M. Alexandre Corcelle, technicien de maintenance chez GESTEN :
Quel est votre ressenti concernant la plateforme Semlink ?
« La plateforme nous a vraiment simplifié la façon de gérer la maintenance de l’installation grâce à la visualisation en temps réel des données de chaque appartement. Les alarmes envoyées par e-mail et sms nous permettent d’anticiper les demandes du client et les éventuels mécontentements dus à une température trop basse. Nous pouvons ainsi intervenir plus rapidement, avant même d’être contactés par les clients.
La plateforme permet également de réduire considérablement le nombre de déplacements sur site. Lorsque le syndic appelle pour remonter une plainte d’un utilisateur, nous nous connectons, vérifions la température et le plus souvent celle-ci respecte les conditions du contrat. Nous transmettons alors les données et nous n’avons donc pas besoin d’intervenir. »
Avez-vous constaté un meilleur équilibrage par rapport à d’autres sites ?
« Nous n’avons pas de comparaison possible avec d’autres sites car habituellement nous n’avons pas de visibilité sur la température réelle des logements et nous ne réalisons qu’une simple régulation en chaufferie avec quelques réglages en pied de colonne sur des vannes.
Concernant la résidence, nous accordons aux utilisateurs la possibilité de réguler entre 22°C (consigne haute) et 19°C (consigne basse). Un déséquilibre se fait donc ressentir pour les personnes voulant 19°C dans leur logement car ils sont chauffés par ceux du dessus et du dessous qui demandent des températures plus élevées. »
Savez-vous si les consignes de température ont évolué depuis la prise en main ?
« Depuis que nous intervenons sur le bâtiment, nous avons toujours constaté des consignes max à 22 et min à 19. Les consignes n’ont globalement pas évolué avec plutôt des consignes proches de 22°C que de 19°C.
Concernant le ressenti des utilisateurs, nous revenons sur le fait que l’écart est trop important et qu’il faudrait le réduire. »
Depuis la mise en place de la régulation et de la supervision, avez-vous pu baisser les températures de départ en chaufferie ?
« La courbe de chauffe dépend de la température extérieure donc nous n’avons pas la donnée exacte de la température de départ. En revanche, nous avons pu considérablement baisser la courbe de chauffe car nous avons désormais une visu en temps réel des températures de l’ensemble des logements. Cela permet de s’assurer qu’en diminuant la courbe de chauffe, nous remplissions toujours les conditions du contrat. Habituellement, sur les autres sites, étant aveugles sur la température réelle des logements, nous ne pouvons pas nous permettre de baisser la température en chaufferie de la même manière. »
L’ensemble des sondes d’ambiance sont alimentées par des piles, comment réalisez-vous la maintenance ?
« Lorsque nous recevons un SMS ou un e-mail remontant un défaut batterie, nous en informons directement le gardien en lui fournissant la liste des appartements concernés, celui-ci en informe directement les copropriétaires qui remplacent leur piles. »
A retenir de ce retour d’expérience
- La rénovation de cette copropriété parisienne a pour objectif de réduire les consommations d’énergie. L’une des mesures à mettre en place est souvent de réduire la température ambiante lorsque les bâtiments sont surchauffés. Il en résultera un changement de ressenti pour les occupants qui doivent en être informés. Il sera par exemple nécessaire de les prévenir que les planchers puissent ne plus être chauds en permanence si la température de consigne est atteinte.
- Il est nécessaire de bien informer les copropriétaires sur le fonctionnement d’un plancher chauffant : l’inertie du plancher ne permet pas une réactivité importante de la température. Les réduits de nuit ne sont pas pertinents.
- Permettre aux occupants de fixer la température intérieure peut se révéler contre-productif et empêcher d’atteindre les économies escomptées si les consignes sont trop élevées comme c’est le cas dans la résidence avec une température moyenne fixée à 22°C. De surcroît, les planchers de cette époque étant répartis à 70% plafond et 30% planchers, les variations de consigne par l’un des copropriétaires peuvent impacter son voisin. Le chauffage collectif par plancher chauffant doit être considéré comme un service collectif à une température fixe.
- Il faut identifier les réseaux non régulés qui circulent dans les logements, tels que les canalisations d’ECS et les isoler si possible. En effet, notamment lorsque les bâtiments ont été isolés et les menuiseries remplacées, ces canalisations peuvent participer au chauffage des logements.
Par Joséphine LEDOUX, co-fondatrice de Librafluides Concept
Et de la solution SEMLINK et Directrice associée du BET ENERA CONSEIL
Source et lien
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