Comment arbitrer et conduire intelligemment énergie positive et bas carbone ?

Par Alain MAUGARD, président de QUALIBAT le 04 Juillet 2019



L’exemple de la réhabilitation cité auparavant expose très bien le problème. Dans la rénovation de logements, on a analysé la part d’économie de carbone en exploitation et la part carbone d’’énergie grise due aux travaux. Pour donner un ordre de grandeur, les ratios d’énergie grise et de carbone gris pour la réhabilitation sont globalement un peu moins que la moitié de ceux liés à la construction neuve. C'est-à-dire que le carbone gris pour les logements réhabilités est de l’ordre de 150 à 200 Kg éq CO2/m², chiffre significatif au regard des gains en consommations d’énergie à l’exploitation.

Rappelons que le BEPOS à venir sera sur le plan réglementaire et énergétique déjà dépendant des régions. Un BEPOS au nord de la France sera moins « positif » qu’un BEPOS du sud de la France bien évidemment. Comme nous l’avons avec la RT 2012 qui distingue les régions … L’énergie grise rentrant dans la balance, nous voyons qu’il vaudra mieux être dans le Nord très bon BEPOS carbone, que très bon BEPOS énergie, et que la performance énergétique est à mettre en arbitrage avec le carbone gris de la construction.

Le BEPOS étant un bâtiment qui nécessite une enveloppe et des systèmes énergétiques performants, l’équation à résoudre sera de générer des gains en énergie avec le moins d’impact carbone !

Une 2ème vision vient immédiatement à l’esprit en similitude avec le principe des Néga-watt (pas d’énergie égale = pas de carbone). Nous sommes en train de découvrir les « Néga-mètres carrés à construire ». C'est-à-dire moins de m² = moins de carbone.

L’exemple de « Airbnb » est édifiant, c’est la plus grande chaine hôtelière du monde, et combien a-t-on construit de m² pour cette chaine ? Zéro m² supplémentaire. On a tout simplement utilisé différemment les m² construits, sans avoir généré de l’énergie grise ! Idem pour la colocation, idem avec les espaces communs partagés, idem avec le télétravail moins de m² de bureaux.

Nouvelle ambigüe pour la construction neuve, nous découvrons que celle-ci n’optimise l’énergie grise et le carbone gris que si elle correspond à des besoins indispensables. En fait ce que nous disons, c’est qu’une meilleure utilisation des m² et une augmentation des usages, c’est la meilleure façon d’économiser du carbone gris.

Les exemples de gaspillage de carbone gris émergent alors. Logements et bureaux inoccupés, écoles et universités inoccupées en été, ..., représentent des m² construits (et donc du carbone relargué) non utilisés, autrement dit du GASPILLAGE. Ainsi chaque fois que l’on va gagner en mixité et hybridation des usages, on gagnera en effet de serre. De la même manière, chaque fois que l’on utilise les bâtiments existants avant de démolir et reconstruire, on fait une économie importante de carbone. L’exemple il y a quelques années du musée d’art moderne « Tate Gallery » à Londres en lieu et place d’une ancienne centrale thermique est un excellent projet bas carbone !


Panorama-Paris

La conduite décarbonée du bâtiment

Au-delà de la construction bas carbone, la conduite du bâtiment peut changer la donne. Un bâtiment « bien conduit » donnera 5 Kg éq CO2/m².an alors qu’il pourra présenter le double en émission carbone s’il est « mal conduit ». De plus s’il est BEPOS avec une production d’énergie renouvelable, l’utilisation de l’électricité exportée totalement décarbonée, dans le réseau pendant les heures de pointe donnera un « plus » à ce bâtiment. C’est ce qu’on peut appeler la conduite décarbonée du bâtiment.

Elle dépend directement de la politique des tarifs de l’électricité tant à l’achat qu’au rachat de l’électricité produite sur le bâtiment. L’effacement en période de pointe par exemple pourrait même être rétribué financièrement par le distributeur d’énergie électrique. De même, le fait de vendre de l’électricité verte au bon moment pour le distributeur devrait s’accompagner d’un meilleur tarif de vente.

Evidemment s’il y avait un prix du carbone et une taxe carbone plus élevés, la conduite décarbonée serait immédiatement valorisée.

Attribuer un prix tutélaire au carbone est nécessaire au calcul économique. Il faut noter que les parlementaires ont rajouté au dernier moment, dans la loi transition énergétique pour la croissance verte, des perspectives de prix du carbone de 56 € en 2020 et 100 € en 2030. Ces perspectives de prix pourront servir comme prix tutélaires d’évaluation des politiques publiques.

Nous avons vu que l’arbitrage devra se faire entre devenir plus BEPOS à l’exploitation, ou devenir BEPOS avec un bilan plus bas carbone à la construction.

Pour cela, il faudra donc bien donner un prix au carbone économisé que l’on comparera au prix de l’énergie économisée. Soit un coût global énergie-climat ; pas seulement énergie mais aussi carbone. Car s’il y a un prix de l’énergie et des économies d’énergie du fait du marché de l’énergie, il nous faut aussi un prix carbone. Nous pouvons commencer à donner un prix théorique du carbone en partant sur le prix politique que la société confère au carbone économisé. Ainsi pour évaluer les investissements les plus judicieux pour lutter contre l’effet de serre, on doit les plonger dans l’économie carbone ; et si le prix du marché du carbone est erratique, pourquoi ne pas utiliser un prix tutélaire, celui par exemple de la loi transition énergétique.

Ce n’est pas si choquant que cela. Rappelons-nous en matière d’infrastructure transport comment a été justifié le calcul économique de la ligne TGV Lyon-Paris. Il a été donné une valeur au temps économisé (évalué à l’époque 8 Francs l’heure) que l’on a multiplié par le nombre de voyageurs ; et on a comparé ce gain économique au surcoût économique de cette ligne grande vitesse comparée à une ligne classique. Il n’y avait pas de marché du temps, mais nous lui avons donné une valeur. Un autre exemple dans le domaine de la sécurité routière ; des calculs ont été fait avec un « prix du mort », c'est-à-dire le coût que donne la société à la vie humaine. D’autres exemples fourmillent dans le domaine de la santé … et pourtant il n’y a pas de « marché du mort ».

Il n’y a donc pas d’obstacle majeur à proposer un prix carbone pour le calcul économique différent du prix du marché.

Ce prix « politique » du carbone pourrait être une annonce de la COP 21 !

En résumé, si l’on veut lutter efficacement contre l’effet de serre, les trois idées majeures sont :
-   la mixité des usages des m² construits pour intensifier leur utilisation,
-   lorsqu’on construit, le faire de façon très décarbonée,
-   lorsqu’on exploite les bâtiments, adopter une conduite décarbonée.

La politique à venir « bas carbone » va être autant bouleversante sinon plus que la politique basse énergie que nous avons conduite jusqu’à maintenant.

 

Alain Maugard


Commentaires

  • MICHEL
    0
    17/11/2015

    Bonjour,

    Il est intéressant de noter que l’usage type «AirBNB» est applicable aux bâtiments publics, qui pourraient être utilisés plus intensément, soit en multipliant les tranches horaires pour les usages habituels (ex.: écoles, universités, avec des horaires multiples et décalés), soit en multipliant les usagers différents dans des tranches horaires successives (en protégeant dans des armoires les documents physiques et en protégeant les données électroniques et accès aux réseaux des uns ou des autres).


  • MARC
    0
    17/11/2015

    Les exemple airbnb ne sont pas édifiants car on peut dire alors que cette sous location engendre aussi des dépenses énergétiques puisque le logement est occupé ,sans compter, mais c'est un autre sujet, que cela se fait en inégalité fiscale et que ces logements sont sans doute trés energivores .
    CDT


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