Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 11 Mars 2020
Depuis des années, les pouvoirs publics et les industriels du secteur de l’énergie préparent le déploiement de la seconde génération du parc électro nucléaire en France. Les conditions propres aux années 50-80 – guerre froide, décision centralisée, crise pétrolière – ont été supplantées par d’autres arguments : éviter « l’effet de falaise » dû à la fin de vie du parc construit entre les années 70 et 90 ; assurer la sécurité des installations en capitalisant l’expérience des dernières décennies (les grandes catastrophes – Three Miles Island, Tchernobyl, Fukushima – et tous les accidents et incidents relevés au fil du temps par l’Autorité de sûreté nucléaire) ; enfin, imposer le nucléaire comme l’énergie abordable de l’ère zéro carbone.
Malgré l’évolution de l’environnement industriel – la France a perdu son assise en matière de sidérurgie, de métallurgie, de production d’équipements stratégiques – et le développement des solutions renouvelables, la programmation pluriannuelle de l’énergie présentée mi-janvier dernier annonce la relance d’un programme de construction de trois paires d’EPR à partir de 2021.
Energie nucléaire en France et place des EnR
Le premier réacteur de Fessenheim (Haut-Rhin) a été arrêté en Février et le second le sera au milieu de cette année. Ainsi s’engage une première vague de fermeture programmée de près d’une douzaine de centrales nucléaires. Les principes de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028 posent l’objectif de réduire à 50% la part du nucléaire dans l’offre d’électricité à l’horizon 2035.
« La PPE est construite sur le principe que le nucléaire est substitué par les EnR », est-il souligné dans la présentation de la stratégie. Pourtant, il y est aussi bien précisé que « compte tenu de l’âge du parc actuel, cela nécessiterait, avant l’horizon 2050, la mise en service de nouveaux réacteurs. »
Bernard Sésolis a largement présenté les données du problème dans son article de fin Novembre dernier " Tintin à Flamanville "
Le constat est clair : en 2018, quelques 72% de l’électricité produite était d’origine nucléaire, et les énergies renouvelables ont atteint 21% ; en 20 ans, cette dernière part a grappillé 6 à 7% de croissance, et l’objectif posé par la loi est d’atteindre 40% en 2030 …
Un parc nucléaire vieillissant
Il faut se remettre en mémoire le panorama du parc nucléaire. Composé de 58 réacteurs sur 19 sites de production, sa puissance est de 63,2 Gwe et il a produit 393,2 TWh en 2018. Il comprend 34 réacteurs de 900 MWe, 20 réacteurs de 1 300 MWe et 4 réacteurs de 1 450 MWe.
En Janvier dernier, le projet de PPE a évolué en proposant de fermer, d’ici 2035, 14 réacteurs de 900 MWe sur plusieurs sites : Fessenheim, Blayais, Bugey, Chinon, Cruas, Dampierre, Gravelines et Tricastin. Ces équipements auront alors fonctionné plus de 50 ans … L’argumentaire de la PPE souligne que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) demandait d’autres fermetures, mais les principes de sécurité d’approvisionnement ne le permettaient pas.
Leur arrêt ne manquerait pas de produire un « effet de falaise » : du jour au lendemain, un volume considérable d’électricité ferait défaut. À ce sujet, la PPE est plutôt dissertée : pour des raisons énergétiques, technologiques et sociales, « un éventuel programme de nouveau nucléaire » y est bel et bien inscrit. Le sujet est avancé de manière précautionneuse. D’abord, il est écrit que « de nouvelles capacités nucléaires n’apparaissent, en tout état de cause, pas nécessaires pour assurer l’équilibre offre-demande d’électricité avant l’horizon 2035. » Puis, quelques lignes plus bas, après un argumentaire convenu sur les nouvelles productions d’énergie renouvelable, on lit : « En raison de cette incertitude, il est nécessaire de préserver une capacité de construction de nouveaux réacteurs nucléaires appuyés sur une technologie et des capacités industrielles nationales. »
En fin de chronique figure l’annonce du projet de construction de trois paires d’EPR. La décision sera rendue publique mi-2021.
Un programme de renouvellement mené depuis plusieurs années
Travailleurs sur l’EPR (Evolutionary Power Reactor) de Flamanville - source EDF
En réalité, ce projet est éventé depuis Avril 2019 ; il a été confirmé par une demande du gouvernement à EDF au cours de l’automne dernier. Entre temps, en Décembre dernier, le terrain a été préparé par le rapport de Jean-Martin Folz sur les dérapages constatés sur l’EPR de Flamanville. S’il est accablant pour tous les intervenants, ce constat pose ce chantier comme une tête de série, un prototype réalisé après pratiquement vingt ans d’arrêt de production de ce type d’installation – la dernière centrale construite était celle de Civeaux – dont il faut tirer tous les enseignements pour reprendre des méthodes industrielles dignes des années 80.
Mais, même avant cela, localement, les riverains des sites nucléaires existants ont assisté, depuis plusieurs années, à l’acquisition d’un important foncier par EDF : 120 à 150 ha autour de la centrale de Chinon, 140 ha à Belleville, 116 ha à Saint-Laurent-des-Eaux, 200 ha à Bugey, 150 ha à Penly. Les demandes d’informations des associations locales n’ont pas permis de connaître l’objet de ces achats de terrain ; à noter que les transactions ont généralement été menées avec les Safer locales, des structures habilitées à arbitrer les transactions de terres agricoles entre agriculteurs et connues pour leur discrétion.
Trois hypothèses d’usage sont généralement avancées : la construction de nouveaux EPR dans la foulée de celui de Flamanville (1 650 MWe), dont le démarrage est prévu pour 2022 ; la préparation des chantiers de prolongation d’exploitation des centrales ; le besoin d’espace pour les chantiers de démantèlement des centrales en fin de vie.
Les annonces formulées dans la PPE ne laissent plus douter de l’ambition de relancer cette industrie stratégique. Seuls les sites retenus sont incertains à ce jour, mais les options sont réellement peu nombreuses.
Complétez vos informations
Vous trouverez dans ces notes quelques sources pour compléter ces informations.
1. Les documents sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la stratégie nationale bas carbone (SNBC) :
https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/programmations-pluriannuelles-lenergie-ppe
https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone-snbc
2. Article sur le site de l’Usine Nouvelle, en Avril 2019, sur le plan d’EDF pour construire de nouvelles centrales nucléaires de type EPR 2 :
https://www.usinenouvelle.com/article/edf-a-un-plan-pour-construire-de-nouveaux-epr-2-en-france-et-il-passe-par-un-appel-d-offres.N828460
3. Articles du Monde, du Figaro et de La Tribune, parus en Octobre 2019, sur les projets de constructions de centrales nucléaires :
https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/10/15/la-piste-de-six-nouveaux-epr-il-est-troublant-de-constater-que-la-feuille-de-route-envoyee-au-pdg-d-edf-n-etudie-qu-un-seul-scenario_6015596_3234.html
https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/10/14/nucleaire-comment-le-gouvernement-travaille-en-catimini-a-la-construction-de-six-nouveaux-epr_6015478_3234.html
https://www.lefigaro.fr/economie/la-france-se-prepare-a-construire-de-nouvelles-centrales-nucleaires-selon-le-patron-d-edf-20191017
https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/epr-un-rapport-atomique-pour-relancer-la-filiere-nucleaire-831948.html
4. Articles parus dans la presse régionale sur les achats de foncier autour des centrales nucléaires :
https://sdn-berry-puisaye.webnode.fr/news/reunion-publique-sur-les-achats-de-terres-autour-de-belleville/
https://www.lequotidien.lu/grande-region/extension-de-cattenom-vers-la-construction-dun-epr/
5. Le rapport de Jean-Martin Folz sur les dérapages du chantier de Flamanville :
https://www.economie.gouv.fr/rapport-epr-flamanville
http://www.sfen.org/rgn/rapport-folz-tirer-lecons-epr-flamanville
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.
*EPR = European Pressurised Reactor