Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 25 Novembre 2024
Si les ACV, ou analyses de cycle de vie, ont pris une place importante dans la réglementation environnementale RE 2020, leur impact sera encore plus déterminant lors du franchissement des nouveaux seuils en 2025, et a fortiori en 2028 et 2031. Les trois principales organisations professionnelles de l’ingénierie – Syntec-Ingénierie, Cinov et AICVF – produisent une note de position qui met en avant les points durs que sont la qualité des études et l’organisation de cette mission.
Depuis l’entrée en vigueur de la RE 2020 en 2022, l’analyse de cycle de vie des matériaux (ACV) et des équipements de bâtiment est une notion connue de tous les acteurs de la construction neuve.
Pourtant, après deux années d’application se profile, au 1er janvier prochain, un premier renforcement des seuils demandés pour son strict respect. Et il en sera ainsi jusqu’en 2031 pour la RE 2020. Cependant, les connaisseurs de la stratégie nationale bas carbone savent aussi que pour parvenir à la neutralité carbone en 2050, d’autres mesures devront être appliquées. À elles seule, la RE 2020 ne produira qu’un tiers de la décarbonation des bâtiments neufs demandé à ce terme.
ACV : un concept ancien, une application massive récente
Rappel. Dans la foulée de la réglementation thermique 2012, les pouvoirs publics ont introduit dans les mesures relatives à la construction neuve des exigences strictes pour réduire l’impact carbone des projets : calcul de l’indice carbone des matériaux et des divers produits, prise en compte des consommations d’énergie sur 50 ans, de même que l’impact du remplacement des équipements durant ce laps de temps, la maintenance… jusqu’à la fin de vie de l’ouvrage. Par ailleurs, l’estimation des énergies consommées durant l’exploitation des bâtiments (période d’étude retenue pour référence) figurent dans ce décompte.
L’analyse de cycle de vie d’une construction tient compte de toutes les émissions de carbone sur une période d’étude de 50 ans.
Dans le détail, le texte réglementaire compte ainsi cinq « contributeurs » de l’analyse de cycle de vie : les composants, les consommations (énergie de chauffage et de rafraîchissement, éclairage), les consommations et rejets d’eau, le chantier (engins, livraisons…) et la parcelle (l’empreinte liée à l’aménagement et l’usage du foncier).
Si elle se pratique depuis janvier 2022, l’analyse de cycle de vie est un concept qui est apparu il y a une trentaine d’années, pratiquement en même temps que le bâtiment de haute qualité environnementale. Le CSTB avait alors lancé le développement du logiciel Elodie, toujours utilisé, et aujourd’hui coproduit avec Cype.
Le calcul détaillé des émissions de carbone fait l’objet d’un rassemblement d’informations aussi exhaustif que précis pour valider les projets tous au long de leur réalisation, de l’esquisse à la livraison.
Pour ce faire, sur la base des préconisations, les concepteurs et les bureaux d’études chargés de cette mission se tournent vers Inies qui met à disposition les fiches de renseignements remplies par les industriels et vérifiées par les pouvoirs publics : les FDES, fiches de déclaration environnementale et sanitaire, qui s’appliquent sur les composants (matériaux d’enveloppe, menuiseries...) et les PEP, profils environnemental des produits, qui concernent essentiellement les équipements (génie climatique, électricité…). Les produits qui ne disposent pas de ces documents peuvent être pris en compte en retenant un calcul d’émissions de carbone dit « par défaut ». Établi par les pouvoirs publics, il est généralement très défavorable. Le traitement des données s’effectue à l’aide d’outils informatiques disponible chez de nombreux développeurs.
Améliorer les procédures au fil du projet
Si l’apprentissage semble acquis par les acteurs de la construction, les organisations professionnelles de l’ingénierie se préoccupent pourtant des difficultés qui ne manqueraient pas de se présenter dans les mois à venir. Pour Éric Bussolino, directeur Ingénierie et environnement chez AIA Life Designers, membre de Syntec-Ingénierie, « la RE 2020 a produit une massification de ce calcul, mais il ne s’agit pas d’une simple addition de tous les impacts des matériaux. Il faut avoir, au fil de l’ouvrage, le résultat le plus proche possible de la réalité. » D’où une mise en garde lancé à la veille de la réduction des seuils. Car, au 1er janvier 2025, compte tenu de leur niveau, les approximations et les dérives peuvent mettre en difficulté le lancement ou a poursuite des constructions.
Par étape de deux ans, les émissions de carbone des produits et équipement de construction diminuent de 10 à 15 %. Ce qui oblige à un calcul de plus en plus précis pour éviter les dérives.
La demande de l’ingénierie porte sur trois points. En premier lieu, la qualité des études. Le résultat des études d’analyse de cycle de vie tient à la complétude des quantités saisies ainsi que leur précision, souligne la note de position.
Pour les organisations professionnelles, cette exigence suppose « un contrôle systématique des calculs réglementaires par une partie tierce », par exemple un bureau de contrôle, indique Éric Bussolino. En outre, les parties prenantes de l’opération de construction pourraient exiger de l’entreprise missionnée une qualification de compétence telle que celle proposée par l’OPQIBI depuis 2018 sur les « Etudes ACV bâtiments neufs » (1333), initialement développée lors du lancement de la préfiguration E+C-.
Le deuxième sujet porte sur le niveau de précision des ACV lors des phases des opérations, des études d’esquisse à la réception . « En phase "Esquisse", on est sur le fil du rasoir au regard de la conformité réglementaire », dit d’expérience Éric Bussolino. « En progressant, on dispose naturellement de plus de détails. » D’où la demande du trio d’organisations professionnelles pour demander aux pouvoirs publics de retenir des marges d’incertitudes aux grandes étapes : 15 à 20 % pour l’esquisse et l’avant-projet sommaire ; 10 à 15 % lors de l’avant-projet définitif et le dépôt du permis de construire ; 5 % entre les études de projet et le dossier de consultation des entreprises. « De la sorte, estime Éric Bussolino, il devient plus facile de maîtriser des quantités et matières. » Cette solution permet par ailleurs d’« ajuster le niveau des indemnités à la quantité d’études demandées en phase concours », indique la note.
Créer de nouvelles missions d’ingénierie
Ce qui conduit au troisième point de ce mémo technique : la rémunération des études ACV. « Ces calculs sont complexes à réaliser et nécessitent du temps. » Ce qui, selon les ingénieurs, oblige à « dépasser le périmètre de la mission de base définie par le code de la commande publique et nécessite une mission complémentaire dédiée à la réalisation des études ACV. » De même, ils proposent aux maîtres d’ouvrage d’attribuer un mission complémentaire dite « Quantité DCE » pour aider les maîtres d’œuvre à quantifier plus précisément les matériaux et équipements à prendre en compte dans les études ACV.
Les ingénieurs veulent sensibiliser les maîtres d’ouvrage et leurs assistants sur ces points particuliers. Dans le même temps, ils s’adressent à travers cette note aux pouvoirs publics en leur demandant de rendre ces deux nouvelles missions obligatoires.
Lancée à la veille de la seconde phase de la RE 2020, cette initiative souligne l’expérience acquise en moins de deux ans par les bureaux d’études. Peut-être permettra-t-elle d’assurer une évolution en douceur lors des deux autres à venir ?
À lire
La note de position de Syntec-Ingénierie, Cinoc et AICVF
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.