Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 24 Février 2022
Jean Jouzel, climatologue membre du GIEC, vient de remettre son rapport final sur le rattrapage de formation à l’écologie dans l’enseignement supérieur. Une tâche lourde, importante, encore à l’état d’ébauche et qui arrive peut-être tard. Prioritairement axées sur l’enseignement supérieur, les recommandations portent aussi sur la diffusion des connaissances dans le secondaire (collèges et lycées) et dans les formations continues de l’université. En réalité, un « verdissement » quasi intégral de l’enseignement.
Rapport à Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation du groupe de travail présidé par Jean Jouzel
Le document était attendu. En Février 2020, Jean Jouzel, membre du GIEC, directeur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique à Saclay, avait reçu de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, la mission de diriger un groupe de travail sur la sensibilisation et la formation de l’ensemble des étudiants du supérieur aux grands enjeux de la transition écologique.
En Mai 2021, il avait remis un premier travail : « Comment promouvoir la transition écologique dans l’enseignement supérieur ? ». Après une demande d’approfondissement, il vient de remettre sa deuxième version : « Comment développer l’enseignement de la transition écologique dans l’enseignement supérieur ? ». On ignore la suite qui sera donnée, mais le sujet mérite qu’on s’y attarde.
Un défaut d’enseignement pointé par les étudiants
Il faut d’abord retenir que la situation est étonnante. Le GIEC produit des rapports sur le réchauffement climatique depuis le début des années 90, l’information sur les sujets environnementaux est pléthorique depuis des années … Et c’est un collectif d’étudiants des grandes écoles parisiennes, nommé « Pour un réveil écologique » qui a tiré la sonnette d’alarme en 2018. Il soulignait alors que des thèmes relatifs à l’urgence écologique n’était le plus souvent pas au programme des enseignements. À cette date, et après la mise en place en 2015 du label DD&RS (développement durable et responsabilité sociétale) pour les établissements d’enseignement supérieur, seuls 15% des grandes écoles et universités disaient vouloir former 100% des étudiants à ces enjeux.
Si deux tiers des établissements intégraient ces enjeux environnementaux dans leur stratégie, les formations se limitent à de la sensibilisation ou de la formation informelles. Et seul un tiers des établissements déclaraient mettre en place des formations des enseignants à ces nouvelles disciplines. La démarche volontaire n’est donc visiblement pas suffisante.
Les militants formulaient quatre demandes :
- Intégrer l’écologie dans les formations ;
- Développer une stratégie cohérente des établissements de la formation aux débouchés en passant par la recherche ;
- Allouer des moyens, humains et financiers, à ces nouvelles formations ;
- Encourager les établissements à s’engager sur la voie de ces nouvelles formations.
Rien que de très normal !
La transition écologique dans tous les programmes
Quel état des lieux et quelles propositions porte le rapport remis ce mois de Février ?
Globalement, il confirme le fait que l’enseignement supérieur s’est mobilisé très tardivement sur le sujet, de même que l’enseignement sur la transition écologique n’est toujours pas structuré. Le rapport propose par conséquent deux modes de transmission des connaissances : une approche par le développement des compétences, et l’autre par programme.
Ainsi, sur la base de la littérature disponible, notamment à l’Unesco (les 17 objectifs du développement durable de l’Agenda 2030) et auprès du collectif FORTES – Former à la Transition Écologique et Sociale de l’Enseignement Supérieur – (le Manuel de la grande transition), le groupe de travail établit un socle de cinq compétences :
- L’adoption d’une approche systémique de la transition écologique pour appréhender sa complexité ;
- Le développement d’une analyse prospective ;
- La co-construction des diagnostics et des solutions entre parties prenantes – enseignants, étudiants ;
- La mise en œuvre des transitions, c’est-à-dire les écrire et en définir les étapes ;
- L’action en responsabilité.
- Ces connaissances et compétences seront déclinées dans les référentiels et programmes de chaque filière de formation.
Quant à l’approche « programme », il ne s’agit plus seulement d’acquisitions de connaissances, mais d’un travail plus lourd de « développement de compétences, transversalement aux différents enseignements. »
Focaliser la formation « transition écologique » sur les Bac+2
Comment concrètement ces notions vont-elles être diffusées chez les étudiants ?
Essentiellement aux Bac+2 et progressivement dans un délai de 5 ans, répondent les auteurs du rapport. Et ce, quelles que soient les filières, des classes préparatoires aux formations professionnelles en passant par les licences et BTS.
Pour l’acquisition du socle de connaissance, le tronc commun devrait comprendre : l’impact des activités humaines sur l’environnement à l’échelle planétaire (climat, biodiversité) et à l’échelle locale (pollution des eaux, des sols et de l’air) ; les enjeux de société et de gouvernance associés ; les modalités d’un passage à l’action. Cet enseignement serait poursuivi dans les formations diplômantes Bac+3 et dans les programmes de titres professionnelles, mais en axant les approfondissements spécifiquement sur le cœur de la formation.
L’écologie par l’enseignement : former les étudiants … et les enseignants
Il est temps de former les étudiants et les formateurs dans la transition écologique
Par ailleurs, ce rapport souligne l’intérêt d’une articulation entre le secondaire, c’est-à-dire le cursus du collège-lycée, et le supérieur. L’intérêt étant de parvenir à ce niveau d’enseignement avec un bagage de connaissances initiales. Il évoque aussi la formation initiale des futurs enseignants, de même que la formation des formateurs … des enseignants, tout comme de celle des inspecteurs de l’Éducation nationale. Dans leur élan, les rédacteurs proposent aussi d’intégrer la transition écologique à la formation continue à l’université ainsi qu’à la formation continue des agents publics et des ministères.
L’ambition montrée à travers les recommandations est forte, et les moyens nécessaires sont considérables. Ce virage vert va en particulier demander aux enseignants de revoir intégralement leurs cours, ce, sans que la documentation élémentaire soit actuellement disponible, du moins aisément accessible. Le rapport prose donc de leur donner des moyens par des échanges (rencontres, conférences, …) et par le recrutement de personnels, notamment des ingénieurs spécialisés.
Le campus, lieu d’expérimentation de la rénovation énergétique des bâtiments
Pour démontrer les capacités techniques de la transition écologique, il est aussi évoqué la possibilité d’exploiter le campus comme un cadre d’apprentissage.
Exemple : les bâtiments d’enseignement étant soumis au décret tertiaire – la majorité fait plus de 1 000 m² – il serait possible d’expérimenter sous forme de travaux pratiques l’application le texte de la loi Elan qui fixe la réduction des consommations à -60% en 2050. L’occasion est trop belle de demander aussi, dans l’une des recommandations, d’abonder massivement en faveur de nouveaux projets immobiliers.
L’écologie par l’enseignement pour un rythme plus rapide de la transition énergétique
Si ce sujet peut paraître éloigné des problématiques classiques de la transition écologique au regard du secteur de la construction, il souligne l’importance d’une mise en phase de l’enseignement sur les thèmes de l’environnement et du changement climatique. D’abord, la mise en place d’un tel projet aura forcément des effets d’entraînement, à moyen et long terme, de l’application concrète des réglementations environnementales. C’est peut-être même le chaînon manquant de la politique environnementale, le moyen d’extraire la transition écologique de la bataille des opinions et des aprioris pour la transformer en levier de changement.
Surtout, depuis près d’une quinzaine d’année, le secteur du bâtiment ferraille avec une organisation de sa formation continue qui ne donne pas les résultats attendus, tant en recrutement qu’en efficacité réelle des chantiers. Ce rapport est une brique de plus pour la construction d’un système d’enseignement qui actuellement diffuse trop peu de connaissances elles-mêmes trop éparses. Ce qui est certainement l’une des raisons du constat du rythme trop lent de la transition énergétique. La diffusion massive de l’écologie par l’enseignement va-t-elle transformer des idées en innovations puis en actions dans tous les domaines, et en construction en particulier ? Il faut suivre l’exploitation qui sera faite de ces réflexions.
Sources et Liens
- Rapport à Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation du groupe de travail présidé par Jean Jouzel > Téléchargez le pdf
- L’écologie aux rattrapages. L’enseignement supérieur français à l’heure de la transition écologique : état des lieux et revue des pratiques > Téléchargez le pdf
- Le manuel de la grande transition > Cliquez ici
- The Great Transition Guide : Principles for a Transformative Education, ouvrage collectif Forges and Laudato Si’ Research Institute, Campion Hall, Oxford > Cliquez ici
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.