Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 08 Septembre 2021
Si vous avez fait comme moi cet été, vous avez peut-être pesté contre cette météo caricaturale : ciel maussade et fraîcheur au Nord-Ouest, ciel bleu et grande chaleur au Sud.
Mais finalement, se couvrir d’une petite laine le soir au mois d’Août en plein bocage normand en écoutant les médias sur des infortunes climatiques çà et là, je l’ai ressenti comme un privilège. Tout comme le privilège d’entendre encore la nuit tombante le réveil des animaux nocturnes, le silence sous la voie lactée, spectacle impossible à observer en ville ou en zone polluée.
Cet été aura aussi été le moment de la naissance officielle de la RE2020. Il faudra revenir sur ses nouvelles contraintes pour analyser ses modalités d’application et ses effets réels sur la construction.
Et puis, avec la sortie du 6ème rapport du GIEC, comment ne pas revenir sur la question du changement climatique, même si nous sommes saturés d’informations sur le sujet. La certitude d’avoir à agir vite et fort est son principal message.
Enfin, 4ème vague oblige, la Covid 19 aura été présente dans tous les médias jusqu’à saturation.
Bref, cet été aura été marqué par des évènements qui, de manière inflexible, nous rappellent au quotidien que le climat, la biodiversité et la géopolitique sont et resteront aux premières loges des réflexions de ceux qui ont pour rôle de faire évoluer les bâtiments, la ville et les territoires.
Poursuite et renforcement du dérèglement climatique
Ces derniers mois et cet été n’auront pas été avares en phénomènes climatiques extrêmes. Une pluie de records plus importante que celle des JO de Tokyo ! A Lytton, bourg de l’extrême ouest du Canada, 49,6°C et détruit à 90% par les incendies, 47,2°C à Las Vegas, incendies monstres en Californie, en Russie, en Australie, en Grèce. Fonte accélérée au Groenland où la température a atteint 23,4°C !!! Sans compter les cyclones et les déluges, comme aux Etats-Unis, à Haïti on encore à Zhengzhou dans la province chinoise du Hénan où l’équivalent d’une année de pluie s’est déversé en seulement 3 jours (1).
Renforcement du dérèglement climatique
La nouvelle « copie » du GIEC
Depuis le 5ème rapport de 2013 de cette instance internationale, les études ont continué à se multiplier et à s’affiner. Le 6ème rapport comportera trois volets.
Le premier, divulgué le 9 Août, est consacré au constat du changement climatique et à ses évolutions selon différents scénarii des activités humaines.
Le 2ème volet consacré à la vulnérabilité de nos sociétés et le 3ème volet dédié aux solutions pour réduire les émissions de GES seront disponibles au printemps 2022, et une synthèse sera diffusée dans un an.
Du premier volet, il ressort que nous sommes passés du stade de la haute probabilité à la certitude que l’activité humaine est responsable du dérèglement climatique actuel. Quelques chiffres sont éloquents :
- La concentration en CO2 a atteint 410 ppm en 2019, soit un niveau inégalé depuis 2 millions d’années.
- La concentration du méthane et du protoxyde d’azote atteint des taux inédits depuis 800 000 ans.
- La surface du globe a augmenté en moyenne de 1,1°C par rapport à la seconde moitié du 19ème siècle. Cela pourrait paraître dérisoire, mais en réalité pour notre planète et en conséquence, pour une partie importante de l’Humanité, c’est d’une violence historiquement exceptionnelle.
Augmentation de la température moyenne globale terrestre selon 5 scénarii d’actions - (6ème rapport du GIEC - 08/2021)
La prise en compte de 14 000 études sur le climat et les progrès de la modélisation prédictive ont permis au GIEC de définir 5 scénarii en intégrant mieux l’énorme rôle du dérèglement des océans. En 2080-2100, le réchauffement atteindrait 1,4°C au mieux avec un scénario très peu émetteur (SSP1-1.9), 1,8°C avec un scénario peu émetteur (SSP1-2.6), 2,7°C avec un scénario intermédiaire (SSP2-4.5), 3,6°C avec un scénario émetteur (SSP3-7.0) et 4,4°C avec un scénario « trumpien » (SSP5-8.5). Et ce, avec de grandes disparités sur le globe. En Arctique, on pourrait atteindre + 7°C avec des conséquences dignes d’un film d’horreur.
Répartition de l’augmentation de la température moyenne globale terrestre selon le scénario « émetteur » - (6ème rapport du GIEC - 08/2021)
Il est possible de consulter un atlas interactif réalisé par le GIEC pour visualiser la répartition des augmentations de températures et de précipitations sur le globe selon les différents scénarii.
Quoiqu’il en soit, certains changements sont irréversibles à notre échelle de temps (ce n’est pas une raison pour tomber dans la collapsologie). Le réchauffement, l’acidification et la désoxygénation des océans ont des conséquences incalculables sur la biodiversité, sur le rythme de fonte des calottes glaciaires qui a été multiplié par 4 durant la dernière décennie par rapport à la fin du 20ème siècle. La fonte des glaciers est en partie responsable de la montée de la mer (3,7mm entre 2006 et 2018). Mais avec la fonte accélérée de la calotte du Groenland et du pergélisol (sol de l’Arctique), l’élévation de la mer pourrait atteindre de 0,3 à 1 m en 2100, voire jusqu’à 1,9 m en 2150 avec le scénario (SSP5-8.5) !! Comme la majorité de la population mondiale vit près de la mer, ce serait cauchemardesque. Les modèles prédictifs font apparaître pour la première fois de faibles probabilités (pour l’instant …) de montée à 2 m en 2100, voire 5 m en 2150.
Arrêtons de nous faire peur et examinons plus calmement la situation pour envisager un bon scénario.
Limiter le réchauffement climatique, que reste–t-il à faire ?
Pour ne pas dépasser un réchauffement de 1,5°C en 2100 (accord de Paris – COP21-2015), il reste tout au plus 300 GtCO2 à émettre avant d’atteindre la neutralité carbone. Soit 7 années d’émissions sur la base de 2019. Il faudrait donc atteindre la neutralité carbone avant 2030 ... Dur, dur ! (2). Et en plus, avec les incertitudes liées à une telle complexité du sujet, la probabilité de ne pas dépasser ce seuil ne serait que de 80%. Dans le cas où on émettrait l’équivalent de 2 années de plus, la probabilité chuterait à 67%. Pour 12 ans de plus, on tomberait à 50% et pour 21 ans de plus, 17% ! Traduction : si on continue à émettre comme aujourd’hui jusqu’à 2050, on divise par 6 les chances de ne pas dépasser 1,5°C à la fin du siècle.
Dit autrement, sans une politique très ferme et généralisée à toute la planète, + 1,5°C, ce n’est déjà plus réaliste.
Il sera intéressant de comparer les préconisations des 2ème et 3ème volets du rapport du GIEC avec les réflexions et les scénarii déjà élaborés pour tendre le plus rapidement possible vers la neutralité carbone.
Selon de récents travaux de l’Université de Cambridge (3), près du 1/3 des émissions de GES proviennent de l’industrie (productions d’énergies, productions de biens autres que nourritures), et surtout près des 2/3 restants sont liés à la demandes et à la consommation : 15% pour la nourriture, 7,7% pour la construction, 5% pour le chauffage et la climatisation, 1,6% pour l’éclairage, 2,4% pour les communications, 4,3% pour le transport des marchandises, autant pour les voyages personnels, 1,7% pour les déplacements urbains … et 5% pour les différentes formes de nettoyages domestiques (lavage de textiles, hygiène corporelle) !
Valeurs à méditer quand on vise à concevoir et construire un bâtiment basse énergie + bas-carbone.
Le problème politique majeur reste que les actions actuelles n’auront un effet sensible et durable que dans plusieurs décennies. Mais le constat actuel et à venir à court terme est le résultat de l’inaction des décennies passées. Maintenant, on sait avec certitude ce que signifie les « petits pas » soi-disant réalistes. La « réalpolitik » n’est plus le court-termisme et il est encore temps de réagir sans plus attendre vite et fort. La COP 26 à Glasgow en Novembre sera de ce point de vue cruciale.
- « La crise climatique atteint un seuil critique » -, Le Monde - 10/08/2021- Audrey Garric
- « Contenir le réchauffement est un défi majeur pour la planète » - Le Monde - 11/08/2021- Stéphane Foucart
- Revue « Environmental Science and Technology, travaux coordonnés par Bojana Bajzelj
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers
Merci pour cette synthèse ! En partage, je vous propose de découvrir ma série de dessins en cours de réalisation : « Vanité », dont le rapport du GIEC est à l’origine : https://1011-art.blogspot.com/p/vanite.html
et « La robe de Médée » , en ce moment exposition « Tout contre la terre » (Muséum de Genève) : https://1011-art.blogspot.com/p/la-robe-de-medee.html
Et + en vous baladant sur mon site !