Addiction, empathie, résilience, … En Mai, écrit ce qu’il te plaît !

Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019



En Mai, écrit ce qu’il te plaît ! Les vieux adages inspirent parfois.
Mon humeur sera encore plus libre que d’habitude puisque, mouton perdu dans le troupeau de Panurge, je vais néanmoins tenter de me distinguer en me penchant sur notre penchant ou notre tendance à utiliser des mots « tendance ». Les mots et expressions que nous utilisons marquent notre appartenance à notre groupe social, professionnel, culturel, générationnel. Bref, nous jargonnons pour être reconnus et « up to date »… Aux anglicismes frisant parfois le ridicule s’ajoutent des mots à la mode utilisés et répétés sans aucune précaution quant à leur signification. Les médias en sont les principaux vecteurs et s’adonnent particulièrement à ces tics, symptômes du copier/coller, du manque de temps, de recul,  voire de flemme intellectuelle.

Le mouton que je suis, a sélectionné trois mots actuellement très prisés par les chaînes de TV ou de radio : addiction, empathie, résilience.
Cette humeur d’actualité bêlera ces mots… comme tout le monde. Néanmoins, je ferai comme personne puisque je vous en livre, avant lecture, une brève définition.

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1/ Un peu de sémantique et de … copier/coller

Addiction : ce mot anglais rattaché surtout à la toxicomanie a été joyeusement francisé et élargi alors que « dépendance » et « assuétude » sont dans nos dictionnaires (français !) depuis des lustres. L’addiction couvre désormais des phénomènes un peu différents selon le champ où ce mot est utilisé. Il s’agit d’une conduite qui repose sur une envie répétée et irrépressible, en dépit de la motivation et des efforts du sujet pour s'y soustraire.
Les drogues (non autorisées, ou officielles comme le tabac ou l’alcool), les relations (réseaux sociaux, internet) et jeux compulsifs (vidéo, d’argent, surentraînement sportif, …), certaines nourritures, certaines activités et tout ce qui rend dépendant un individu sont des objets de ses addictions.

Empathie : selon les contextes, l'empathie désigne à la fois une aptitude psychologique et les mécanismes qui permettent la compréhension des ressentis d'autrui. Bref, la capacité  à se mettre à la place de l'autre. Mais à ne pas confondre avec la  sympathie, la compassion, ou l'altruisme.

Résilience : voilà bien un mot dont le sens varie quelque peu selon le domaine où on l’emploie. En mécanique, c’est le rapport entre l’énergie nécessaire pour briser un métal et la surface de la section brisée ; en physique, c’est la  propriété physique d’un matériau de retrouver sa forme initiale après avoir subi une déformation ; en sciences humaines, c’est la  capacité d’une entité, personne ou groupe, à se développer ou à continuer à se projeter dans l’avenir en dépit d’évènements déstabilisants ou de traumatismes.
Par analogie, la résilience d’un système (énergétique, écologique, informatique, financier, …) est la capacité à absorber une perturbation, à se réorganiser, et à continuer de fonctionner comme avant.

Nous voilà armés pour survoler quelques évènements des mois d’Avril et de Mai.


2/ Une déferlante de décrets et d’annonces

Le 26 Avril, la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, évoquait la sortie entre Mai et Septembre 2016 de douze décrets. Mis à part celui concernant la future gouvernance du CSTB, tous les autres concernent directement les bâtiments.

Quatre décrets visent la construction : bonus de constructibilité pour les bâtiments Bepos, déclinaison à l’exemplarité des bâtiments publics, obligation de pré-câblage pour les moyens de locomotion électriques, réglementation bâtiment responsable 2018 qui succédera à la RT2012.

Six décrets traitent des bâtiments existants : travaux d’isolation thermique embarqués en cas de grosse rénovation, rénovation des bâtiments tertiaires, facilitation de l’isolation par l’extérieur, performance énergétique comme critère de décence d’un logement, fonds de garantie de la rénovation énergétique (traité par 2 décrets).

Le douzième décret de cette série concerne les compteurs énergétiques individuels.

Le même jour, la ministre annonçait le lancement de la révision de la réglementation thermique des bâtiments existants.

Depuis 2013, la politique de simplification luttant contre le « mille-feuille » réglementaire et juridique avait tétanisé l’administration : parmi les actions restées en plan, les labels HPE s’appuyant sur la RT 2012 étaient simplement passés à la corbeille, l’actualisation de la RT dans l’existant repoussée aux calendres grecques, etc…
Il semblerait que la COP 21 a dégelé la situation. Ces annonces étaient attendues. On ne peut qu’avoir de l’empathie pour cette ministre qui montre une certaine résilience. Mais attention à l’addiction pour l’addition des textes.

Le mois de Mai aura vu également une série d’évènements qui méritent d’être signalés :

  • Annonce par Ségolène Royal (encore elle !) de l’expérimentation sur 4 départements des « chèques énergie ». 140 000 de ces chèques seront distribués aux foyers souhaitant changer leur système de chauffage. L’objectif en 2017 est de passer à 4 millions de chèques pour, entre autres, lutter contre la précarité énergétique et renforcer (ou « booster » si vous êtes franglais) le marché de l’emploi chez les installateurs.
  • Feu vert par l’assemblée nationale le 17 Mai pour ratifier l’accord de Paris-COP 21. Nous sommes les premiers parmi les pays dits développés à le faire. Reste à vaincre la résilience des acteurs sur le terrain (individus, collectivités) et à imaginer les financements pour passer aux actes.
  • Ségolène Royal (ai-je une addiction?) a  annoncé le 17 Mai que la taxe carbone pour la production d’électricité va passer à environ 30€/tonne. Cette décision non concertée avec nos voisins européens aurait pour objectif de faire bouger les lignes. Elle répondra en partie à certaines critiques comme celle de Claude Mandil, ex-directeur général de l’Agence Internationale de l’Energie, qui dénonce la confusion entre la lutte pour le changement climatique et l’usage actuel des énergies renouvelables. (1)

Que des bonnes nouvelles donc ! Non. Pas vraiment. L’abandon pur et simple d’un des premiers objectifs de la loi de transition énergétique est décourageant. Le politique n’a vraiment plus de pouvoir. Le nucléaire ne passera pas de 75% à 50% de production d’électricité en 2025. Il paraît que c’est impossible. C’est étrange car cela semblait réaliste pour beaucoup de gens sérieux et compétents. Décidemment, le lobby nucléaire, c’est « trop fort » comme disent les enfants qui auront à gérer tout ce gâchis dans quelques décennies.


3/ La résilience des producteurs d’énergie

Le feuilleton sur « Hinkley Point » (2) s’est enrichi de nouveaux épisodes.  Début Avril, deux clans s’affrontent au sein d’EDF (3) sur la pertinence d’investir 24 milliards d’euros sur ce projet de 2 EPR au Royaume-Uni.  Mi-avril, il, est annoncé que les défauts de la cuve sont plus graves qu’attendus (4). L’Elysée se penche sur la question…(5) et décide de faire augmenter le capital d’EDF de 4 milliards € (6). Fin Avril, Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire juge dans une interview, que le contexte français est « préoccupant » (7). Début Mai, l’ancien directeur financier d’EDF, Thomas Piquemal qui s’est trouvé depuis un poste à la DeutchBank, explique les raisons de sa démission (8), motivée essentiellement par des considérations financières (sa résilience …). Depuis, EDF est montée au créneau pour affirmer la sûreté du parc nucléaire français (9).
On pourrait avoir de l’empathie pour cette entreprise qui a inscrit dans ses gènes depuis 45 ans le tout nucléaire. Sa résilience à l’uranium n’empêche pas cependant un double discours, toujours présent, comme une ... addiction à  la « com ».

Comment comprendre qu’EDF veuille maintenir son parc indéfiniment à un niveau de puissance constant et en même temps, signer des contrats d’importation de pétrole de schiste avec le Canada en Août 2015 (au moment de la sortie de la loi de transition énergétique !). Tout en se payant des publicités pleines pages dans la presse sur sa « Smartflower », une « fleur qui produit de l’électricité » grâce au photovoltaïque (10)? Ce n’est plus une stratégie multi-sources pour pérenniser la production d’électricité. La ficelle est grosse et donne une désagréable impression de cynisme, malheureusement bien partagée dans le monde des producteurs d’énergie. Total qui se vante d’être le n°1 des énergies renouvelables, a également signé un contrat d’importation avec le Canada. Les premiers bateaux seraient attendus au Havre prochainement …

Non décidemment, leur addiction aux énergies fossiles et leur résilience dans un contexte aussi évolutif empêchent toute empathie à leur égard ...

Bernard SESOLIS

Expert Energie Environnement

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    (1) « Ne mélangeons pas protection du climat et transition énergétique », Le Monde – 7 mai 2016, Cl. Mandil
    (2) Voir l’humeur de mars 2016 « Sortir ou non du nucléaire : épiphénomène ou enjeu crucial ? »
    (3) « Chez EDF, pro et anti-Hinkley s’affrontent », Le Monde, 8 avril 2016,  Jean-Michel Bezat
    (4) « EPR : nouveau revers pour Areva et EDF », Le Monde, 15 avril 2016, Denis Cosnard
    (5) « Hinkley Point : les cinq risques qui pèsent sur EDF », Le Monde, 20 avril 2016, Denis Cosnard
    (6) « L’Etat vole à la rescousse d’EDF », Le Monde, 24 avril 2016, Denis Cosnard
    (7) « Un accident nucléaire majeur ne peut être exclu », Le Monde, 26 avril 2016, Interview par Pierre Le Hir
    (8) « EDF : Le « désespoir de l’ex-directeur financier », Le Monde, 6 mai 2016, Denis Cosnard
    (9) « Pour EDF, les réacteurs français sont fiables », Le Monde, 14 mai 2016, Jean-Michel Bezat
    (10) Exemple d’une page entière de publicité, Le Monde 19 avril 2016, page 22

     



    Commentaires

    • David Petitjean
      0
      26/05/2016

      Bernard,

      Je comprends ce regret face au nucleaire. Les Emirats viennent d'ailleurs d'obtenir un prix au kWh entre 2.6 and 4 fois moins cher qu'Hinkley Point
      sur leur appel d'offre (auquel Engie et EDF ont repondu sans etre les moins disants)de ferme de panneau solaire, chose impensable il y a encore deux ans.
      Si il parait saugrenue de vouloir appliquer la meme chose en France (ensoleillement bien plus faible, densite demographique rendant plus difficile la mise en place de solaire extremement gourmand en metre carres), la vitesse du progres est extremement encourageante sans tous les inconvenients de l'eolien.
      Toutefois, il me parait important de parler de 3 points:
      - le stockage d'energie: il est fundamental, car necessaire au fonctionnement du solaire et de l'eolien sans energie fossile adosse, et les prix pratiques sont encore trop eleves. Investisseur dans le graphite/ graphene je constate de gros obstacles technologiques ( les super capacitors au graphene ne sont pas pour tout de suite car la capacite n'est pas la) et geopolitique (la Chine capte la tres grande majorite des ressources de graphite mondiales pour en assurer le monopole et la production de"coated spherical graphite" est encore trop cher, polluante alors que la batterie d'une voiture electrique en compte une quarantaine de kilos). D'ou le fait que le besoin en energie transportables facilement (petrole, LNG) est encore la pour quelques années, malheureusement).
      - la consommation de ressources. Les centrales nucléaires utilisent quelques grammes d'uranium dans leurs centrales deja amortiees (les tonnes de béton sont déja la) tandis que le solaire comme l'éolien utilisent des quantites de terres rares polluantes a extraire et, elles aussi, largement sous monopole chinois. En France, il serait intelligent de promouvoir l'approche batiment positive bois avec une vraie prise en compte du confort d'été, plus qu'elle ne l'est actuellement plutot que bruler la majorite de ce bois pour chauffer l'existant (avec les probèmes de Nox qui sont trop passes sous silence).
      - La diversification du mix energetique se fait au niveau européen, pas francais. Les allemands ont investi des centaines de milliards dans leur renouvelable ( 250 milliards pour 20% intermittent, pas forcement le plus rentable). La stratégie francaise de rester sur le nucleaire deja amorti et d'etre leader dans la recherché solaire (cf l'entreprise Soitec) et financierement tres intéressante, en tout cas pour le moment. Et oui, ce nucleaire deja amorti qui offer a la France une électricite pas chere et hyper competitive malgre la gourmandise de l'actionnaire majoritaire en dividendes (l'état Francais) et aura compenser la tres faible compétitivité de la France et evite la remise en question du modele économique pendant quelques années.

      L'heure est donc encore, pour moi, a la diversification nucléaire/renouvelable pour tuer le charbon, l'adversaire prioritaire et commencer a brancher les transports sur le réseau. Avec un peu de chance (et je l'espere), dans 10 ans, le nucléaire aura lui aussi sa place au musee. Mais ce n'est, économiquement, écologiquement et stratégiquement pas encore le cas.


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