Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 19 Mai 2020
Sortir très progressivement du confinement n’est pas synonyme du début de la fin de la crise sanitaire. Il reste à trouver des remèdes et des vaccins. Et tant que la science n’aura pas soulevé suffisamment de voiles sur ce coronavirus (1), nous allons subir une crise économique et sociale d’une ampleur telle que la crise écologique sera présentée comme secondaire par de nombreux décideurs publics et privés.
Il faut refuser ce schéma.
Crise sanitaire du Covid 19 et crise écologique, mêmes attitudes, même combat
La fin de l’« avant », le début de l’« après » ?
Entre l’avant et l’après se niche le « pendant », ce présent vécu à vue, comme on peut. Etrange moment dans cette période étrange où certains considèrent le 11 Mai 2020 comme la fin de la pandémie quand d’autres assument encore et toujours leurs tâches en courant tous les risques. Les uns se lâchent avec une certaine insouciance quand les autres continuent à serrer les dents.
Ce début de commencement de sortie posent des questions concrètes quotidiennes, dans l’entreprise, dans l’école, dans les transports, dans les soins, dans les commerces, dans le culturel et le ludique, … L’incertitude règne et régnera encore en maîtresse durant les semaines et les mois à venir. Elle règne autant dans le concret que dans le champ intellectuel. Comment organiser la reprise et éviter la paupérisation ? Comment vivre avec le virus ?
Certains décideurs économiques importants proposent de concilier la relance économique sans sacrifier l’environnement (2). On aimerait croire en leur bonne foi, mais on reste échaudé à l’aune des actes et des réels efforts consentis par ces grands groupes depuis 20 ans, ne serait-ce que pour répondre aux objectifs de Kyoto et aux grands principes du développement durable. Faire des affaires et générer des profits, parfois colossaux, en associant l’économie et l’environnement, c’est leur tasse de thé, a minima dans leur politique de communication. Mais le troisième domaine auquel s’attache le développement durable, le « social », reste absent. Ces grands décideurs restent enfermés dans la doxa de la croissance et d’un possible retour « à la normale » éventuellement plus vertueux, à condition qu’il ne rogne pas les marges (sinon, il faudra continuer à licencier ...).
A l’opposé, un nombre incalculable de propositions, d’écrits, d’articles, d’émissions sur un « après » durablement écologique a fleuri.
Citons le très médiatique Nicolas Hulot et ses 100 propositions (3), les 8 pistes pour une relance verte (4), l’appel à un nouveau partage du pouvoir dans les entreprises (5), et surtout Edgar Morin qui, du haut de la verdeur de ses très prochains 99 ans, nous rappelle que nous sommes condamnés à l’incertitude et qu’en apprenant à vivre avec, nous renforçons les idées humanistes (6). Toutes ces propositions sont qualifiées d’utopistes par les « réalistes ».
Pourtant, un simple virus est capable de confiner 4,5 milliards d’individus, de stopper du jour au lendemain des pans entiers de la production mondiale, de générer des centres villes beaucoup moins pollués et plus calmes, de réduire en conséquence une partie des émissions de gaz à effet de serre, de mettre en évidence dans la tête de certains premiers de cordée qu’il a fallu fabriquer cette corde et qu’elle doit être entretenue, ... L’impossible s’est brusquement concrétisé. Cette utopie- là s’est réalisée. Nous serait-il permis aussi de concrétiser volontairement des utopies en passant à l’acte ?
Covid 19 - Rue de Belleville - 75020 Paris - Samedi 9 Mai 2020 - 16h00 - (Photo : B. Sesolis)
Le réalisme économique comme dernier argument pour refaire n’importe quoi
Clairement, il tient à ceux qui tendent la corde en son milieu et à sa dernière extrémité de faire valoir aux premiers de cordée qu’ils ne peuvent plus décider selon des critères alimentant seulement leur désir de puissance, leur orgueil et leur vanité.
Covid 19 - Rue de Belleville - 10 Mai 2020 - (Photo : B. Sesolis)
L’argument financier se veut être le dernier (le seul ?) rempart de la raison pour remettre à leur place les rêveurs. Pourtant, quand il faut trouver des moyens, on les trouve « quel qu’en soit le coût ». Quand il faut financer, on finance. Terminé le plafond d’endettement à 3%. Terminé les raisonnements à courts termes. Il faut s’endetter. « Trop facile » s’écrieront les esclaves budgétaires. Partageons cette parabole :
Dans un beau village au fin fond du Péloponnèse, dans cette Grèce où tout le monde est endetté et vit à crédit, débarque un tourisme allemand dans sa grosse berline. Il pénètre dans l’unique hôtel et pose un billet de 500 € sur le comptoir en demandant à voir les chambres disponibles pour une nuitée. A ce prix, le directeur de l’hôtel lui donne toutes les clés afin qu’il choisisse. Dès que le visiteur a disparu dans l’escalier, l’hôtelier file chez le boucher et règle sa dette. Le boucher se précipite chez l’éleveur de porcs pour le rembourser. A son tour, l’éleveur s’empresse d’aller régler sa facture à la coopérative agricole. Le directeur de la coopérative se précipite au pub pour régler son ardoise. Le barman glisse immédiatement le billet à la péripatéticienne qui fournit ses services en faisant boire les clients du bar. La jeune femme qui occupe à crédit les chambres de l’hôtel avec ses clients y retourne pour s’acquitter de son dû en posant le billet sur le comptoir. Le touriste allemand redescend et annonce qu’il n’a pas trouvé de chambre à son goût. Il ramasse le billet et s’en va. Plus de dettes !!!
Les économistes réfuteront sans difficulté ce constat (exemple Cf. (7)). Mais certains d’entre eux rappellent ce fondamental : la monnaie est une dette (8).
Transformer la crise en opportunité
Envisager des changements profonds suppose de ne pas se refaire le monde à chaque fois. On connaît des solutions, pas LA solution pour améliorer le sort de la majorité des terriens. Il faut, sans naïveté et avec beaucoup de détermination politique, passer à l’acte.
Un des leviers bien connus est la rénovation des bâtiments. Ce moteur de la transition énergétique et écologique est affiché depuis le Grenelle de l’Environnement de 2007 avec un objectif de 500 000 logements rénovés par an ...13 ans plus tard, nous n’en sommes à peine qu’à la moitié. Cette inertie s’explique par de nombreux facteurs, en particulier celui du financement bien sûr.
Il faut oublier cette rengaine. Les pistes décrites sur le site d’XPair (9), (10) et (11) donnent la mesure des enjeux et des transformations nécessaires.
Il faut, quel qu’en soit le coût, comme pour la crise sanitaire, s’attaquer enfin et radicalement à cette question. Il en va des économies d’énergie, de la réduction des GES, de l’éradication de la précarité énergétique, de la santé des occupants, de la création massive d’emplois non délocalisables, de la création de filières industrielles locales.
Cela passe d’abord par la formation initiale et professionnelle parce qu’il faut suffisamment d’acteurs.
La rénovation, c’est du théorique mais aussi et surtout du manuel, du concret. Valoriser socialement les filières techniques, et en particulier dans ce domaine, est le seul moyen d’attirer les lycéens et étudiants à se projeter dans ces métiers. De même pour ceux qui, nombreux, auront perdu leur emploi suite à la crise sanitaire. La rénovation peut être un moyen de sortir du chômage la tête haute avec un métier passionnant. C’est une politique de moyen terme. Il faut compter au moins 2 ou 3 ans pour former des compagnons, artisans, techniciens. C’est une politique de valorisation territoriale avec un déploiement dans les régions, dans le monde de « Depardon », chez les gilets jaunes. Tous les aspects sociétaux s’en trouveront bénéficiaires.
Faut-il beaucoup d’argent ? Oui, beaucoup ! Et bien, que la volonté politique s’exprime … très rapidement.
- « Ce que la science ignore encore du coronavirus » - Le Monde - Dossier du 13 Mai 2020
- « Mettons l’environnement au cœur de la relance économique » - Le Monde - 5 Mai 2020 - Lettre d’appel de 90 grands patrons pour que la reprise économique accélère la transition écologique
- « 100 principes pour un nouveau monde » - Le Monde - 7 Mai 2020 - Nicolas Hulot
- « 8 pistes pour une relance verte » - Le Monde - 28 Avril 2020 - Louisa Benchabane - Audrey Garric - Perrine Mouterde et Nabil Wakim
- « Démocratiser l’entreprise pour dépolluer la planète » - Le Monde - 17 et 18 Mai 2020 (p. 29)
- « Un festival d’incertitudes » - tract de crise Gallimard n°54 - 21 Avril 2020 - Edgar Morin, Gallimard
- « Annuler la dette ? Une mystification » - Le Monde - 17 et 18 Mai 2020 – Jean Pisani-Ferry
- Pour tous ceux qui, comme moi, ne sont pas économistes, un conseil de lecture : « Economix » - Michaël Goodwin, Editions des Arènes, 2014. Il s’agit d’une BD où l’auteur explique, grâce aux excellents dessins de Dan Burr, l’histoire et les principaux mécanismes de cette « science »
- « Impact Covid-19 » - XPair - 14 Mai 2020 - Yann Dervyn
- « Imaginons ensemble les bâtiments de demain. Les facteurs clés, 1ère étape » - XPair - Allane Gaspard - Jean-Christophe Visier
- « Covid 19 : l’habitat, instrument de santé public » - XPair - 14 Mai 2020 - Dominique Bidou
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers