Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 03 Mai 2020
Une crise sanitaire aux impacts sans précédents
La crise mondiale que nous traversons est inédite et diffère du passé : guerres (14-18, 39-45), conflits socio-culturels (68), turpitudes de la finance mondialisée (2008), terrorisme (principalement 2011-2015 …). Les crises issues d’une pandémie étaient et sont habituellement circonscrites aux pays pauvres, lointains (exemple : le paludisme = 400 000 morts/an depuis longtemps !).
Covid 19 et crise mondiale
Il faut remonter à 1919 où la pandémie de la grippe espagnole a touché aussi et directement les pays riches. A cette époque, et malgré un nombre de victimes d’une toute autre ampleur, on a pu recommencer « comme avant » alors même que le monde sortait d’une guerre. Chaque pays riche était presque auto-suffisant. La France fabriquait de tout, on spoliait les colonies et on exportait ce qu’on pouvait.
Un siècle plus tard, la financiarisation de l’économie a imposé la règle du moins-disant social et les pays riches sont devenus, pour beaucoup, dépendants des pays où on fabrique des rails, des masques chirurgicaux (sic), des médicaments, des vêtements, des appareils électro-ménagers, des voitures, du matériel informatique, des capteurs solaires, des pompes à chaleur,… L’interdépendance économique entre pays est telle que, si un des pays dominants tousse, toute la planète éternue. La crise du Covid 19 touchant les pays dominants (Chine, Europe, Etats-Unis, …), la conséquence est une crise économique mondiale. Ses impacts laisseront des traces plus profondes et plus durables que celles des crises précédentes.
S’interroger sur la nature de ces traces revient à se questionner sur le futur proche et lointain. Sera-t-il à l’image des leçons que nous saurons collectivement tirées pour que l’« après » soit plus acceptable, soutenable, désirable que l’« avant » ?
La décision présidentielle de la date du début du déconfinement le 11 Mai et les mesures annoncées par le Premier Ministre le 28 Avril précipitent le calendrier et certains s’empressent de poser la seule équation à résoudre à leurs yeux : sécurité prioritaire + relance économique prioritaire = transition écologique secondaire.
Cette trivialité désarmante est défendue par des acteurs qui se targuent d’être des responsables. A croire que Trump ou Bolsonaro font de plus en plus d’émules. A croire que des cerveaux humains ne surpassent pas celui d’un varan de Komodo. Les adeptes du retour à l’« avant » le plus rapide se trompent au moins deux fois.
Première erreur
Covid 19 et décroissance de l’économie d’avant
Est-il encore réaliste de poser le sujet de la croissance comme ultra-prioritaire pour remettre tout le monde au travail sans s’interroger quelque peu sur la nature de cette croissance ? Celle qui pousse à surexploiter les ressources et les individus ? Celle qui pousse à faire n’importe quoi pour augmenter des marges partagées entre une extrême minorité ? Celle qui continue à dégrader le climat et la biodiversité ? Celle dont le principal indicateur économique est le PIB ? Celle qui, finalement, propose de régler les problèmes qu’elle engendre par la technologie, permettant ainsi de s’auto-justifier ?
Il semble pourtant que ces questions soient dépassées et qu’un lent mais large consensus est à l’œuvre pour la transition écologique.
Revenir en arrière le plus vite possible pour remettre tout le monde au travail est la continuité d’une fuite en avant sans autre but réel que le profit le plus inéquitable possible. C’est un fantasme auquel le MEDEF et certains « responsables » ne veulent pas décrocher. Ils ne veulent pas admettre que de toutes manières, nous allons devoir vivre durablement avec le Covid 19 (et d’autres virus à venir !), avec la distanciation, avec des masques. Quand tout sera reparti avec ces nouvelles conditions, les pertes économiques seront de l’ordre du 1/3 de la production mondiale. Peut-être que ce chiffre sera revu à la baisse avec l’adaptation des entreprises, du marché, … des nouvelles pratiques. Mais clairement, cela va faire très mal ! Les PIB sont en chute libre. Il va falloir se recentrer sur l’essentiel et oublier le PIB. Il va falloir supprimer le gâchis, les futilités qui ne font même pas plaisir (1).
Il va falloir que certaines instances patronales oublient de confondre le 19ème siècle et le présent ! Tenter de retarder ou de faire supprimer des normes environnementales sous prétexte que c’est l’emploi qui est en jeu est tout simplement ignoble et indigne (2). Un pas en avant, deux pas en arrière. Heureusement, beaucoup d’entreprises ne suivent pas les états d’âmes de ceux qui représentent quand même 78% du CAC 40 et de quelques têtes pensantes, climatosceptiques ou pas, qui leur emboîtent le pas (3).
Première erreur donc : impossibilité d’un retour comme « avant » et une reprise très progressive. Pas le choix ! La précipitation serait criminelle.
Seconde erreur
Covid 19 et pauvreté de la population
La pandémie a exacerbé les inégalités sociales. Elle a mis en évidence trois grandes catégories de citoyens : ceux qui peuvent en télé-travaillant, vivre ou survivre en restant confinés, ceux qui devraient se déplacer et produire ou servir sur place et qui sont, en grande partie, en chômage partiel (le bâtiment est aux premières loges !), et ceux qui se déplacent pour servir les deux premières catégories (alimentation, services publics et, bien entendu, tous les services liés à la santé) en prenant des risques sanitaires d’autant plus importants que la prévention et la préparation à une pandémie ont été la dernière roue du carrosse de toute la classe politique depuis plusieurs années.
Le covid-19 a mis en exergue la question du logement, des services territoriaux, les différences culturelles très corrélées aux différences sociales qui accentuent encore les écarts scolaires.
A l’aune de ces épreuves, les citoyens auront changé. Certes, perdureront des réflexes d’incivilités heureusement rares mais bien ancrés, comme par exemple des personnes soignantes qui rentrant chez elles trouvent des menaces écrites et anonymes, bien sûr, parce qu’elles causeraient par leur présence un risque de contamination pour tous les voisins. Ces ignominies sont heureusement et largement contrebalancées par des élans de solidarité et de bénévolats innombrables et multiformes qui font chaud au cœur.
Deuxième erreur donc : même si on pouvait revenir à l’état initial, la plupart des individus auront changé leurs points de vue sur la société. Presque tous auront compris qu’il faut mieux corréler les revenus au bienfait social apporté par la force de travail. Cela pourrait modifier sensiblement le bulletin de vote ...
Les menaces
Coronavirus et prix de l’énergie pétrole
Le monde change et va prendre des directions qui auront des conséquences pour des décennies.
Il faut urgemment penser moyen-long terme et agir en conséquence. Et ne pas laisser le champ des décisions à quelques patrons des GAFA d’un côté et à quelques dictateurs, de l’autre.
D’ores et déjà, la dictature numérique nous guette pour soi-disant permettre et augmenter notre efficacité contre les pandémies. Et si on s’attaquait plutôt aux causes profondes de leurs apparitions (4) plutôt que d’offrir des technologies potentiellement liberticides ?
D’ores et déjà, les climatosceptiques reviennent à la charge avec un baril à bas prix et le plein emploi comme argument pour faire « social ». La transition énergétique est remise en cause en affichant hypocritement un œcuménisme de façade sur le bas carbone. Le modèle économique engendre une crise de l’offre et une crise de la demande (réduction des consommations liées aux confinements). Résultat : premier recul des installations solaires depuis 40 ans ! (5)
Trajectoire
La sociologue Dominique Méda synthétise très bien les leçons à tirer de cet évènement majeur (6). Elle rejoint l’avis du Haut Conseil pour le Climat (7) qui prône 18 recommandations pour sortir de la crise (8). Il est rappelé que les choix politiques depuis les années 80 ont engendré des transformations sociales, économiques et écologiques qui ont accru notre vulnérabilité et réduit la prévention.
Les coups de boutoirs des lobbies, que je considère profondément réactionnaires, peuvent provoquer un effet rebond par rapport aux efforts réalisés et empêcher une relance « verte » socialement acceptable. Il faut profiter de cette rupture virale pour supprimer enfin les subventions et exonérations fiscales aux énergies fossiles et il faut que les aides publiques soient conditionnées aux trajectoires bas-carbone. Il faut passer aux véhicules électriques (un moindre mal) tout en développant les mobilités douces et les transports en commun (avec masques !). Il faut aider la reconversion profonde mais quand même rapide des secteurs très émetteurs.
En attendant le 11 Mai …. portez-vous bien.
- Je suis pour la futilité désirable. Nous pourrons revenir sur ce sujet. La liste est longue des futilités socialement et éthiquement discutables quand elles ne sont pas ridicules ou mortifères pour les autres, et sans effet sur le bien-être.
- « Climat : le patronat s’active pour infléchir les normes » - Le Monde, 22 Avril 2020 – R. Besse Demoulière -, J.M Bezat - C. Piétralunga - N. Wakim.
- « Il n’y aura pas de transition énergétique et écologique sur un champ de ruines » - Le Monde -, 29 Avril 2020 - Marc Fontenave. Ce chimiste, membre de l’Académie des Sciences, fustige ceux qui, par idéologie, feraient le lien entre la pandémie actuelle et le changement climatique. Sa condescendance confine le personnage au ridicule. Il n’en est pas à son premier coup de gueule, pour le coup réellement idéologique, sur ces sujets dont il n’est aucunement spécialiste. Dans le déni de reconnaître qu’il y a un lien réel et direct entre la pandémie et la dégradation rapide et massive de la biodiversité, ce professeur au Collège de France n’arrive pas à comprendre que le changement climatique n’arrangera pas les choses. La relance, pourquoi pas, mais vers un modèle qui arrête la déforestation, qui modifie profondément l’agriculture et qui atténue le changement climatique. Le champ de ruines est déjà là, mais Monsieur Fontecave détourne les yeux.
- « Les maladies émergentes favorisées par la dégradation de la biodiversité » - Le Monde - 8 Avril 2020 - Perrine Mouterde.
- « La transition énergétique mise à mal » - Le Monde - 1er Avril 2020 - Nabil Wakim.
- « Tirer vraiment les leçons de la crise sanitaire » - Libération - 18 Mars 2020 - Dominique Méda.
- 13 experts sollicités par E. Macron en 2017.
- « L’urgence écologique au cœur du projet de relance » - Le Monde - 23 Avril 2020 - Audrey Garric.
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers