Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 22 Avril 2021
La récente sortie du nouveau DPE (les 3 arrêtés du 31 Mars 2021, parus dans le J.O du 13 Avril 2021), mérite une explication de texte que XPair ne manque sûrement pas d’assurer.
Cette chronique sous forme d’humeur humoristique, quant à elle, propose quelques commentaires évidemment subjectifs par la voix des deux acolytes masqués Bio et Tanatho buvant leur café sur le trottoir, faute de mieux.
Enfin le nouveau DPE ! Dans moins de trois mois, nous disposerons d’une étiquette opposable, plus juste et surtout, les DPE vierges, c’est terminé !
Sur ce dernier point, je vous rejoins. On se demande encore après 15 ans d’application, comment l’administration a élaboré un « DPE logement » basé sur des factures !
Les experts de l’époque ont tenté d’expliquer que comparer une facture et un calcul conventionnel n’avait aucun sens. Et en plus, sans obligation de fournir des factures, pas de DPE !
Mais pourquoi ?
Une facture est plus proche de la réalité qu’un calcul approximatif, non ?
OK. Mais maintenant que ce problème est réglé, on ne peut que se réjouir de cette actualisation. La nouvelle méthode prend en compte les 5 postes de consommations réglementaires de la RT ou de la RE en intégrant aux 3 postes habituels, chauffage, ECS et auxiliaires, celles liées à l’éclairage et la climatisation. On a enfin une cohérence entre les DPE habitat et non résidentiel. Par ailleurs, les hypothèses ont été nécessairement actualisées comme les données climatiques et les rendements des systèmes qui ont évolué depuis 20 ans. On peut aussi saluer l’abandon de l’idée fantaisiste qui circulait en 2020 d’étiquettes exprimées en énergie finale.
L’étiquette a aussi changé. Elle intègre enfin le carbone et les seuils ont été modifiés. Je ne pensais pas que nous allions rentrer dans ces détails !
Des détails alors que l’essentiel est là ? Faut-il vous rappeler qu’avec les changements des seuils et, pour l’électricité, les modifications importantes de l’équivalence énergie/émissions de GES et de la conversion énergie finale/énergie primaire de 2,58 à 2,3, on obtient une bascule impressionnante : selon le ministère, avec ce nouveau DPE, le nombre de passoires thermiques (classes F et G) sera toujours égal à 4.8 millions de logements. Mais parmi ceux-ci, 600 000 logements chauffés à l’électricité et 200 000 au bois se retrouveront en classe E, et ces ex-passoires seront remplacées par 600 000 logements chauffés au fioul et 200 000 au gaz qui passeront de la classe E aux classes F ou G.
D’accord. Le nouveau DPE est beaucoup plus favorable pour l’électricité. Mais, est-ce choquant compte-tenu de notre mix électrique peu carboné ? Et puis, vous avez vu que la filière gaz critique les niveaux des classes, notamment A et B qui, selon elle, deviennent plus laxistes et ne vont pas dans le bon sens (par exemple, pour la classe A, on passe de < 50 kWhep/m².an à < 70) en omettant de préciser que dorénavant, on comptabilise aussi l’éclairage et la climatisation. J’espère que votre pointillisme a bien repéré ce subterfuge.
Attendez, là je ne vous suis plus.
Eh bien, avec ces coefficients très favorables à l’électricité, il pourrait être envisagé des situations ubuesques. Par exemple, par la voix d’un représentant d’EDF (1), « abaisser le coefficient d’énergie primaire va permettre de réduire le niveau d’isolation des bâtiments chauffés à l’électricité ». En extrapolant ce curieux raisonnement, cela aboutirait au maintien, voire au développement du chauffage électrique dans les rénovations, autant avec des convecteurs (pas chers) qu’avec des PAC réversibles (la clim en « cadeau ») avec des besoins de chauffage bien trop importants. Compte-tenu du développement des usages de l’électricité (mobilités, équipements, communications), ces logements contribueront à amplifier les pointes d’hiver et même à créer des pointes d’été !
Vous êtes en train de dire que EDF pousse au chauffage électrique pour justifier la construction des EPR et ainsi de bloquer la sortie progressive du nucléaire prévue dans le PPE de 2018 ?
C’est un peu schématique.
Quoiqu’il en soit, avec le nouveau DPE, nous aurons une image énergétique plus complète du parc de logements et un bon outil pour faire disparaître progressivement les passoires thermiques.
On connait la chanson. Croyez-vous vraiment que cette confusion existe encore et serait même cultivée ?
Quand même, la méthode a été actualisée, affinée et en plus, le DPE renseigne le futur acquéreur ou locataire sur les effets de son comportement sur la facture finale. En quoi le DPE ne serait pas suffisant pour prescrire des bouquets de travaux pertinents ? En outre, l’opposabilité augmentera la responsabilité des diagnostiqueurs car elle peut les exposer à d’éventuels litiges au cas où le DPE serait contesté.
Certes (pour ne pas encore dire « oui »). Mais il faut le répéter : le DPE détermine conventionnellement la performance énergétique et en émission de GES des logements sur une échelle commune, permettant ainsi d’effectuer des comparaisons selon un mode d’habiter identique. Passer d’un niveau à l’autre après travaux traduit l’effort réalisé sur cette échelle.
Un audit consiste à analyser un bâtiment pour trouver les voies les plus pertinentes pour le rénover. Cela suppose une connaissance poussée de la thermique du bâtiment, une relative maîtrise des échanges hygrothermiques dans les parois, notamment au sein des anciens systèmes constructifs, la capacité d’établir les conséquences des travaux sur la qualité de l’air, sur l’acoustique, sur le confort d’été, sur la pérennité du bâtiment, …
N’en jetez plus ! Je comprends bien que la compétence d’un diagnostiqueur en thermique n’est pas celle d’un bureau d’études. Cependant, comment imaginer faire appel à chaque fois à un bureau d’études, voire un architecte pour des rénovations de petites maisons individuelles, le secteur le plus important à rénover ? Les conditions financières correspondent mal à ces situations. Et puis, les BET seraient-ils suffisamment nombreux et disponibles pour cette multitude de petites missions ?
Il semblerait que l’Ordre des Architectes soit assez critique.
Peut-être que les architectes n’ont pas été consultés ...
Affaire à suivre de près. Tiens ! Nos cafés sont froids.
Laissons là nos deux amis. Effectivement, il faudra revenir sur le sujet au regard de ses très importants enjeux.
Références …
- Olivier Grignon-Massé, chef de mission au département Solutions innovantes et usages bas carbone – EDF, lors d’une conférence de presse le 5 Février 2020 - Citation de Olivier Sidler dans sa note « La réforme cachée du DPE et ses conséquences » - 30 Octobre 2010.
- FIDI : Fédération Interprofessionnelle du Diagnostic Immobilier.
- « Rapport pour une réhabilitation énergétique massive, simple et inclusive des logements privés » - Olivier Sichel - directeur général délégué de la Caisse des Dépôts et Consignations - document préparé à la demande du Logement - Emmanuelle Wargon - Mars 2021.
- Ou, selon Barbara Pompili, ministre de la Transition Ecologique dans une interview dans Le Parisien, fin Mars 2021, l’« accompagnateur Rénov ».
Pour info, les textes réglementaires du nouveau DPE
Le nouveau DPE, dossier du Ministère de la Transition écologique - Février 2021
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers
J'ai deux maisons strictement identiques que j'ai fait construire sur le même plan: l'une à Nice et l'autre dans les Yvelines. Elles sont toutes deux chauffées par une chaudière à gaz à condensation ; même isolation, même surface, etc. Dans les Yvelines elle est classée C (énergie) et D (GES). A Nice, elle est classée A (énergie) et B (GES). Ce sont les MÊMES maisons.
Pour améliorer le score de la maison des Yvelines, j'ai décidé de remplacer ma chaudière a gaz à condensation (pourtant toute neuve!) par une pompe à chaleur.
Désormais chauffée à l'électricité, la maison est classée B (énergie) et A (GES). Mais il m'en a coûté la modeste somme de 20000 euros (ma maison est grande).
Conclusion : il y a une grande injustice dans tout cela. Un tel diagnostic essentiellement inégalitaire (le DPE dépend d'abord de la zone géographique et de la nature de l'énergie consommée, très accessoirement des modes de construction et de l'isolation) ne peut assurément pas servir de base à une politique publique équitable (conséquences inégalitaires sur les bailleurs, notamment). Et le nouveau DPE exacerbe ces inégalités en reposant désormais quasi exclusivement sur la nature de l'énergie consommée.