Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 25 Novembre 2024
Une nouvelle version de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) et de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) est soumise depuis le 4 novembre à la consultation publique. D’ici la fin de l’année, la SNBC fixera une voie actualisée pour réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990 et la PPE cadrera le développement des énergies non carbonées (renouvelables... et nucléaire !).
Dans le monde du bâtiment, la construction est aux avant-postes pour atteindre ces objectifs avec l’avènement de la RE2020. Entrée en application en 2022, cette « nouvelle » réglementation ne couvre encore qu’une partie des constructions. Après bientôt trois années d’application pour l’habitat et deux ans et demi pour les bureaux et l’enseignement primaire et secondaire, la RE2020 a encore l’allure d’un vaste chantier inachevé.
Inachevé parce que de nombreux secteurs ne sont pas encore concernés (santé, hôtellerie, sport, commerce, industrie, petite enfance, universités,…).
Inachevé parce que de nouveaux calages s’avèrent nécessaires en habitat et bureaux-écoles afin de corriger d’inévitables bugs générés par une sortie quelque peu précipitée de la RE2020. Le temps n’a pas été suffisant pour tirer des leçons du label E+C- lancé en 2017, incitation censée préparer les acteurs à travailler dans un nouveau contexte réglementaire incluant le carbone.
La DHUP [1] a présenté le 3 septembre dernier dans le cadre de la concertation RET Ex RE2020 des propositions de modifications qui feront l’objet d’un décret peut-être applicable dès le 1er janvier 2025. Ainsi l’année qui vient verra sans doute une RE2020 corrigée, mieux adaptée au marché et à l’avènement des nouveaux seuils carbone 2025 pour l’habitat, les bureaux et les écoles, collèges et lycées, et étendue aux secteurs pour l’instant encore soumis à la RT 2012.
Nos habituels acolytes Bio et Thanato se retrouvent devant leur bar préféré pour discuter sur ce point d’étape à mi-chemin entre 2020 et 2030. Tendons l’« oreille »…
Nous entrons maintenant dans le vrai « bas carbone » !
Effectivement, les niveaux de 2022 pour LC énergie et LC construction semblent bien avoir été calés de manière à ne pas changer les habitudes de construction dans l’immédiat. Les deux principales nouveautés en phase de conception étaient et sont toujours réaliser un bilan des émissions de GES et d’intégrer le confort d’été dans le projet avant l’APS.
Les niveaux 2025 arrivant au galop, pour l’habitat et les bureaux et écoles, les dents vont commencer à grincer avec la baisse programmée de l’ordre de 15 à 20% sur le LC construction et une chute brutale du LC énergie pour éliminer le gaz naturel, le combustible fossile encore très présent en construction. Et pour les autres secteurs, il faudra attendre les décrets et arrêtés les concernant qui iront a priori dans le même esprit.
On attend aussi un décret qui viendra corriger celui de juillet 2021 après avoir constaté quelques difficultés de calage. Par exemple, pour les petits logements dont les Ic construction sont parfois trop exigeants à cause des sanitaires et des ascenseurs, ou encore, un assouplissement de l’emploi des données environnementales par défaut (DED), etc…
Par ailleurs, certains réseaux de chaleur urbain classés, donc avec obligation de raccordement pour une construction, ont une équivalence kg CO2/kWh (>145 kg CO2/kWh) trop importante pour le niveau 2025.
Et c’est fréquent ?
Une large enquête concernant 923 réseaux des 946 existants actuellement, montre que 27 sont dans cette situation.
Dans ces cas, il faudra pouvoir déroger avec la procédure du Titre V prévue à cet effet.
Plus problématique est un sujet qui me tracasse toujours. C’est celui du Bbio, ou du moins, le rôle qu’on lui prête. Ce coefficient baptisé pompeusement « besoins bioclimatiques » depuis la RT 2012 est censé représenter une efficience globale purement architecturale sur 3 volets, le chauffage, l’éclairage et le refroidissement, et par là même traduire le caractère bioclimatique d’un projet. Pour additionner des calories (chauffage), des frigories (refroidissement) et des lux (éclairage), une convention d’addition a consisté à affubler aux deux premiers un coefficient « 2 » et au dernier, un coefficient « 5 », soit 2.5 fois plus élevé. Ce choix conventionnel rappelle le coefficient 2,58 permettant d’additionner des kWh électriques aux autres kWh (gaz, fioul, bois, réseaux urbains) pour exprimer un total en kWh d’énergie primaire. L’éclairage est fatalement électrique. Les besoins de chauffage peuvent être couverts par un combustible (coefficient 1 pour l’énergie primaire) ou par de l’électricité avec le coefficient 2,58. Mais dans ce cas, la volonté de faire disparaitre les convecteurs électriques avec leur efficience de l’ordre de 1 au profit des pompes à chaleur avec des COP au moins égaux à 2,5, compense le « 2.58 ». De même pour le refroidissement, les EER atteignent sans difficulté 2.6 ou 2.7.
Où voulez-vous en venir ?
Pourquoi donc ?
La RE 2020 vise avant tout la baisse des émissions de GES même si des exigences énergétiques sont encore présentes : CEP pour caler des niveaux empêchant le retour en fanfare du convecteur électrique et CEP,nr pour promouvoir les énergies renouvelables. Le Bbio devrait d’abord être cohérent avec LC énergie. L’objectif affiché dès 2025 est la quasi-disparition des énergies fossiles en construction, en fait, du gaz puisque dans ce secteur, le charbon et le fioul ont déjà disparu. Il ne restera que le bois, les réseaux urbains vertueux et l’électricité avec des systèmes thermodynamiques.
Ainsi la règle de pondération avec 2 et 5 risque d’amener des distorsions importantes. La RE 2020 n’est pas un outil de conception pour des raisons évidentes. Mais là, elle pourrait même devenir un outil contre-productif ! En plus, le « 2,58 » s’est miraculeusement transformé en « 2,3 ».
Qu’aurait-il fallu faire ?
Il aurait fallu prendre le temps de revoir la définition d’un nouveau Bbio avec par exemple, des coefficients pondérateurs de « 2 » et « 4.5 » pour se rapprocher du rapport « 2.3 » pour maintenir la cohérence avec Cep, voire choisir carrément « 1 » et « 2,3 ». Par ailleurs, sachant que des COP de 3 et des EER de 4 sont facilement atteignables avec les équipements du marché, on aurait alors plus que compenser la pondération « 2.3 ».
Une simple idée aurait été de choisir « 1 » pour l’éclairage, « 0.3 » pour le chauffage et « 0.25 » pour le froid. La cohérence avec CEP aurait été bien meilleure. Mais quand serait-il avec LC énergie me direz-vous ?
Vous faites les réponses… et les questions !
Oui, c’est plus facile. Le principal problème de cohérence avec LC énergie est le cas du bois. Comme les rendements de combustion sont inférieurs à 1 mais que le kWh bois est grosso modo 3 fois moins carboné que le kWh chauffage électrique, en termes d’émissions de GES, cela aurait compensé le rapport des rendements. On aurait ainsi abouti à une convention assurant la cohérence entre Bbio, CEP et LC énergie.
Oui, mais le coup est parti et il est inimaginable de remettre en question les règles et conventions de calcul réglementaire maintenant.
Franchement, c’est un combat d’arrière-garde. Avoir raison trop tard, c’est avoir tort. J’ai du mal à comprendre ce pinaillage.
Ce pinaillage est nécessaire pour comprendre les bidouillages réglementaires. J’entends et je lis que certains acteurs visent et atteignent des niveaux 2028, voire 2031 grâce à des choix constructifs très bas carbone pour le LC construction et grâce à une démarche bioclimatique pour l’énergie ! Mais de quel bioclimatisme parle-t-on ? S’il s’agit d’une performance sur le Bbio réglementaire, c’est de la pure fantaisie.
Le Bbio n’est pas un facteur dimensionnant. Entre autres, les résultats sur l’habitat montrent à l’évidence que les besoins de froid sont largement sous dimensionnés. Je n’en comprends pas les raisons. Mais ce que je comprends et que je répète à qui veut l’entendre : la RE 2020 n’est pas un outil de conception.
Oui, je sais. N’empêche que calculer un Bbio pour le PC pousse les architectes et les BET à réfléchir en amont sur l’énergie, et par cette voie, au carbone.
Toujours plus, Thanato ! Pensez quand même aux surcoûts. Les acteurs sont inquiets pour les niveaux à atteindre dès 2025 mais surtout pour ceux de 2028 et 2031. Le temps passe vite et certains promoteurs militent pour un report … Et c’est principalement le LC construction qui pose les principaux problèmes. Pas assez de FDES pour certaines filières liées au bâti et surtout trop peu de PEP pour les équipements pour lesquels les recours aux données environnementales par défaut (DED) sont encore trop fréquents, plombant ainsi LC construction qui ne peut être « sauvé » que par un bâti très bas carbone, donc plus coûteux.
Cela dit, la RE2020 entre dans les mœurs. Le niveau 2025 pour l’habitat n’apparait pas comme un obstacle important à franchir. Pour les bureaux et écoles, l’échantillon est encore faible pour dégager des tendances lourdes. Finalement et globalement, nous pouvons constater que les acteurs s’habituent progressivement aux calculs et aux exigences liés aux émissions de GES et que cela reste une première mondiale !
Effectivement, un petit cocorico ne fait pas de mal. Et il ne faut rien lâcher au regard de la situation : une COP 16 sur la biodiversité affligeante, une COP 29 à Bakou qui va continuer à laisser sur leurs faims les habitants de la planète les plus exposés au changement climatique, le retour de Trump qui va venir grossir la longue liste des despotes nationalistes, la plupart étant tout aussi climatosceptiques que lui.
Vous avez raison Bio, il ne faut pas avoir raison trop tard. Nous devons tout faire pour qu’il ne soit pas trop tard.
Il est temps de boire ! A la vôtre.
[1] DHUP : Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages, au sein du Ministère de la Transition écologique, de l'Énergie, du Climat et de la Prévention des risques, chargée de la mise en œuvre de la RE 2020.
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers