Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 23 Septembre 2024
Après cet été particulièrement chaud et très chargé d’actualités, certains sujets souvent évoqués ici vont reprendre vigueur et urgence. Selon le Petit Robert, méli-mélo est synonyme de Confusion, Fouillis, Gâchis, Capharnaüm. D’où ce titre vague mais bien représentatif de l’ambiance générale.
Dans cette humeur introductive pour l’année à venir, il faut déjà se recentrer sur trois sujets pivots qui connaîtront un développement rapide avec des conséquences directes sur l’activité du monde du bâtiment, de la ville et de l’aménagement.
D’abord, la RE2020 qui devrait être généralisée d’ici quelques mois dans un contexte économique problématique. Ensuite, l’inévitable Intelligence Artificielle qui mérite d’être examinée sous tous ses aspects tant sa place est grandissante dans notre quotidien professionnel et privé. Enfin, la scabreuse question du financement de la transition écologique, notamment pour les pays en développement.
Bien entendu, d’autres thèmes seront abordés comme la biodiversité, la mobilité, la question des ressources (eau, matériaux, …), les usages et comportements.
La lente généralisation de la RE2020
Après plus de deux années d’application, la RE2020 entre très doucement dans les mœurs. Selon l’Observatoire mis en place par le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, les retours d’expérience restent globalement peu nombreux et sont essentiellement concentrés sur le secteur résidentiel et principalement sur la maison individuelle. De Janvier 2022 à Juillet 2024, le total des Permis de Construire s’élève à 330 949 et le total de déclarations attestant de l’achèvement et de la conformité des travaux (DAACT) culmine à 38 480 !
Au regard des 350 000 à 500 000 logements et quelques millions de m² de bâtiments non résidentiels construits chaque année entre 2012 et 2023, c’est un effondrement.
Deux raisons principales expliquent cette situation. D’une part, une raison conjoncturelle liée au marasme actuel du secteur de la construction. D’autre part, l’angoisse du passage de la RT2012 à la RE2020 en habitat qui a créé, comme le veut la « tradition », un grand nombre de dépôts de PC avant le 31/12/2021 et un effet trou d’air début 2022. En outre, à part l’habitat, seuls les bureaux, écoles primaires et secondaires sont pour l’instant soumis aux exigences de la RE2020, et ce, depuis le 1er Juillet 2022. Tous les autres secteurs restent encore sous la férule de la RT2012 jusqu’à la fin de l’année. Le Ministère n’envisage une application généralisée de la RE2020 qu’à partir du 1er Janvier 2025.
Les retours d’expérience, bien qu’en nombre restreint, ont mis en évidence d’inévitables bugs de jeunesse qui devraient être corrigés également pour le début de l’année prochaine.
Les concertations entre le Ministère et les acteurs de la construction vont bon train. Les principales modifications proposées concernent les modulations des coefficients « Ic construction », paramètres nouveaux et délicats à caler compte tenu du peu d’expérience sur l’exigence « carbone ». Rappelons que la phase préparatoire à la nouvelle réglementation (les labels E+C-), aura été bien trop courte et finalement peu appliquée.
Si on s’efforce à regarder le verre à moitié plein, force est de constater que le monde industriel a vraiment bougé. De nombreuses filières entament ou poursuivent la décarbonation de leurs produits et le font savoir. C’est un des principaux effets positifs de la RE2020.
Bien entendu, elle est critiquable sur de nombreux aspects, mais la démarche est à défendre bec et ongles. Elle mérite des critiques constructives afin d’améliorer réellement et rapidement l’acte de construire.
L’IA : tenter de prendre de la distance
Négliger un tel sujet aujourd’hui s’apparenterait au déni d’un nouveau tournant de l’ère numérique, aussi crucial que l’apparition du transistor, de l’ordinateur personnel, d’internet et des smartphones.
Il est cependant difficile d’être « up to date » comme on dit à l’Académie, tant son évolution est rapide et tous azimuts, générant beaucoup d’espoirs ou de craintes, de questions éthiques ou bien, un enthousiasme béat et fasciné face à ce soi-disant « progrès ». Vient à point nommé un article du Monde Diplomatique d’Evgeny Morosov, chercheur, enseignant et écrivain dans le domaine du numérique et de ses implications sociales et politiques [1]. Un rappel historique montre d’abord que l’IA n’est pas une idée récente, qu’elle a suscité des interrogations philosophiques et politiques durant une bonne partie de 20ème siècle et qu’elle émane de la cybernétique dès les années 1950. La cybernétique est une démarche multidisciplinaire permettant d’appréhender des processus où il est difficile de distinguer les causes et les effets, comme par exemple les sociétés humaines ou le cerveau. Quand l’IA fit son apparition au milieu des années 50, elle marqua une régression. Si la cybernétique voulait s’inspirer des machines pour mieux comprendre l’intelligence humaine et les mystères de la cognition, l’IA se contenta de la reproduire pour satisfaire les exigences de l’armée.
Morozov explique comment chaque problème humain (politique, social, sociétal) est systématiquement transformé en question technique, puis discuté par les acteurs du numérique qui proposent des solutions forcément numériques pour traiter les effets des problèmes sans jamais s’intéresser à leurs causes. [2]
Et selon lui, il faudrait amorcer une transition de l’humain augmenté à l’humain amélioré, passer de l’efficience et du quantitatif imposés par l’économie de marché à un contexte favorisant le qualitatif et l’autonomie créatrice. Poursuivre cette démarche en tentant de s’imprégner de l’analyse de E.Morosov sur l’IA permettra de se doter de la nécessaire distanciation sur ce sujet à la fois invasif et biaisé.
Comment financer la transition écologique ?
Esther Duflo, prix Nobel d’économie a développé un intéressant point de vue sur France Culture le 22 Avril 2024 sur le financement pour aider les plus pauvres sur la planète, ceux les plus exposés au changement climatique engendré durant deux siècles par le développement des pays riches.
Elle a proposé au G20 avec l’accord du Brésil et le soutien de la France la taxation des 3 000 personnes les plus riches de la planète à un niveau minimum de 2% de leur fortune et permettrait de récupérer 250 milliards $.
Une autre proposition, originellement soutenue par la France … et les Etats-Unis, serait de faire passer la taxe des multinationales de 15% à 21% générant une somme identique. Soit un total de 500 milliards $ à effet homéopathique.
- « Une autre intelligence artificielle est possible » - Le Monde Diplomatique - Août 2024 - Evgeny Morosov
- Article de Wikipédia sur E. Morosov
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers