Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Novembre 2022
En tant qu’acteurs du bâtiment et de l’urbain, nous avons suivi deux évènements marquants durant ce mois d’Octobre : Le Mondial du Bâtiment (Bâtimat) + Interclima du 3 au 6 et le Mondial de l’auto du 17 au 23.
L’actualité a aussi été très dense sur les questions énergétiques : l’assèchement des pompes à essence causé par des grèves, le coût du litre, les restrictions électriques annoncées pour cet hiver, l’annonce gouvernementale d’une large concertation et un débat public sur le futur du nucléaire (1) … Les sujets se bousculent. Mes interrogations aussi.
Bernard Reinteau a bien résumé Bâtimat (2). Interclima aura été l’occasion de consacrer un système qui va se banaliser probablement : la PAC électrique propane.
Le Mondial de l’auto, quant à lui, aura permis de constater la déferlante chinoise dans le domaine de la voiture électrique.
Depuis la ratification par le Parlement Européen le 8 Juin 2022 de l’interdiction des ventes de voitures thermiques à partir de 2035, nous allons tout droit vers un virage de l’industrie automobile. Il doit être examiné à l’aune du développement durable, c’est-à-dire a minima selon des critères environnementaux, écologiques et sociaux.
En voiture pour cette nouvelle « humeur ».
La voiture électrique émet en moyenne en Europe 90g/km contre 55g/km en France
D’abord, il y a voiture élec et voiture élec
Beaucoup d’idées reçues circulent sur la voiture électrique. Le journaliste Jean-Michel Normand a rédigé un article évoquant les idées reçues sur le sujet (3) qui peut se résumer ainsi :
1 - « L’hybride, c’est un pis-aller » : il est rappelé d’abord qu’il faut distinguer 3 hybridations :
A – Les micro-hybrides qui consistent à utiliser une petite batterie qui se charge durant les phases de freinage et de ralentissement ; l’énergie stockée est transmise à l’alterno-démarreur durant la phase d’accélération. Ceci permet une économie de carburant de l’ordre du litre pour 100 km.
B – Les hybrides « classiques » ou « auto-rechargeables » qui utilisent un groupe électrique associé au moteur thermique et capable d’entraîner directement l’arbre de transmission. Il en découle des économies de 1 à 2 litres/100 km en ville. D’où leur succès auprès des taxis.
C – Les hybrides rechargeables, ou « plug-in hybrid electric vehicle » (PHEV) ou la voiture a finalement 2 moteurs fonctionnant alternativement selon le mode de déplacement. Selon certains constructeurs, ce concept de véhicule « bi-moteur » pourrait être délaissé. D’ailleurs, depuis le 1er Juillet 2022, le bonus est passé de 2 000 € à 1 000 €.
2 - Le PHEV, le meilleur des deux mondes ?
Ce système est surtout utilisé dans la voiture de fonction. La rentabilité n’est acceptable que si le véhicule fait des allers/retours quotidiens et courts, et rarement de longs trajets qui nécessitent une discipline pour les recharges. Sinon, le moteur thermique doit assurer le déplacement de 200 kg de poids mort.
3 - Passer à l’élec : trop compliqué
Même si certains modèles dépassent les 400 km d’autonomie en mode électrique, les bornes sont encore en nombre insuffisant (43 000 bornes publiques à ce jour). Outre un prix d’achat nettement plus élevé, il faut y rajouter le coût de la borne à domicile (1 000 à 1 500 €). Cela dit, le km électrique est bien moins cher que le km essence et il existe des plates-formes permettant d’organiser des trajets « électriques » : emplacements des bornes, leurs puissances, lieux et restaurants disposants de bornes, …
4 - C’est toujours écologique ?
Pour ce qui est du CO2, une voiture électrique émet en moyenne en Europe 90g/km (55g en France) contre 233g/km pour l’essence et 253g/km pour le diésel et elle produit moins de particules fines.
Restent deux questions : quels impacts écologiques et géopolitiques pour le cycle de vie des batteries ? Quelle énergie primaire pour distribuer le kWh électrique à la borne ? Pour l‘instant, la voiture électrique est majoritairement une voiture fonctionnant au charbon ! La Chine qui produit une voiture sur deux de la planète a un mix électrique assuré aux 2/3 par le charbon (4). Les voitures d’Elon Musk produites aux USA et en Allemagne ne sont pas mieux loties.
La voiture individuelle électrique obligatoire ?
En France, le transport représente 31% des émissions de gaz à effet de serre (Eges), dont 59% pour la voiture individuelle, soit 18% du total des Eges. Des raisons purement capitalistiques poussent à ce qu’un maximum de clients continue à utiliser leurs voitures individuelles. Des raisons politiques poussent au développement de l’usage de la voiture électrique individuelle avec comme arguments principaux, la fin des énergies fossiles, les limitations de polluants et d’Eges.
Ces motifs sont largement discutables. Cela n’empêche pas le marché d’évoluer à coup de rouleaux compresseurs publicitaires et d’aides financières pour le changement.
En France, déjà 12% des immatriculions de véhicules neufs sont 100% électriques, 20% sont hybrides et 9% sont hybrides rechargeables (5). La mutation s’accélère. Toyota, Stellantis, Ford investissent chacun près de 30 milliards €. Cependant, la voiture électrique reste chère et on observe à la fois un envol du marché de la location longue durée et un développement de services avec des locations très courtes durées.
La voiture électrique sera peut-être la « norme » en 2035 avec 1,8 million de bornes de recharge. En attendant, l’« électromobiliste » doit gérer la rareté de ces lieux de recharge (6) en planifiant tout déplacement : puissances disponibles (pour l’instant, 10% des bornes disposent d’une puissance de 22 kW permettant une charge accélérée), limitations de vitesse, étapes équipées de bornes, cartes de paiement ad hoc ...).
La déraison de maintenir la voiture individuelle en site urbain
Les études sur les habitudes de la mobilité montrent que la moitié des déplacements de moins de 1 km sont effectués en voitures individuelles (7) !
André Gorz disait en 1973 : « si la voiture doit prévaloir, il reste une solution : supprimer les villes, c’est-à-dire, les étaler sur des centaines de km, le long de voies monumentales, de banlieues autoroutières ».
Cette prémonition s’est avérée largement vérifiée partout. En France, la fin des centres de villes a été déclenchée et généralisée par la grande distribution avec la bénédiction intéressée des politiques malgré les lois Royer (1973), Sapin (1993), Galland (1996) Raffarin (1996). Le cadrage des extensions urbaines a été piétiné par la corruption, les offres de ventes à pertes. Dès 1991, une enquête parlementaire concluait à un large dévoiement des commissions par les politiques locaux de tous bords (8).
La voiture a défiguré l’urbain. Un nombre croissant de villes importantes tentent, parfois avec succès, de libérer le centre aux mobilités non motorisées. Les piétons et les cyclistes sont plus nombreux dans les commerces de proximité ; ils achètent moins mais sont plus fidèles et dépensent davantage (étude pour l’Ademe – 2003). Un rapport de la Fédération Européenne des Cyclistes de 2016 concluait : « moins de voitures = plus de cyclistes en centre-ville » en estimant qu’un simple doublement de l’usage des vélos génèrerait une augmentation de 27 milliards € du chiffre d’affaire des commerces en Europe.
La déraison de sous employer la voiture individuelle
Il n’est pas nécessaire de rappeler que la crise des gilets jaunes n’était pas une question urbaine. Imposer des contraintes et déployer des solutions identiques en site rural et en site urbain concernant la mobilité tient de la réflexion d’un Shadock.
Rappelons que 81% des km parcourus en France le sont en voitures individuelles avec un taux d’occupation de 1,3 personne par véhicule.
Un collectif de 11 experts se sont penchés sur la manière de sortir du système « voiture individuelle » (9), même en site rural.
Le levier structurant pour parvenir à ce qui s’apparente encore à une utopie est le taux d’occupation (TO). Transporter une personne de 70 kg dans un objet qui frise les 2 tonnes a quelque chose d’ubuesque. Répondre à la Stratégie Nationale Bas Carbone pour 2030, c’est déjà augmenter TO. Les conséquences positives seront la hausse du pouvoir d’achat à court terme pour ceux qui vivent hors centre-ville et un gain de productivité économique et une réduction des déficits commerciaux : plus de TO = moins de pétrole, moins de lithium, moins de dépendances.
Mais comment faire ? Comment construire un système de trajets partagés ?
Les solutions techniques existent. Les freins sont principalement politiques. Un travail sur les infrastructures est nécessaire (exemple : voies dynamiques réservées), connecter des véhicules et développer des applications permettant de partager de manière optimale un véhicule. L’exemple de la plateforme francilienne de covoiturage Karos est encourageant : + 30% en un an. A propos de la fausse bonne idée de la voiture autonome, le Mondial de l’auto semble l’avoir oublié. Ce serait une bonne nouvelle.
Par ailleurs, des nouveaux services territoriaux pourraient être envisagés avec la mise en place de services pour « le dernier km » dans les déplacements collectifs en réinstaurant des lignes de trains et de bus avec des hubs proposant des mobilités individuelles ou partagées.
A l’époque du smartphone, les possibles sont nombreux et déjà réalistes.
En guise de conclusion
Il n’est que temps de relever la tête des décideurs sur la question du tout électrique dans la mobilité. Certes, il faut sortir des énergies fossiles le plus vite possible. Mais si la réponse à cette contrainte se résumait à la fabrication de voitures électriques 100% françaises ou européennes, nous passerions encore une fois à côté de la plaque.
L’annonce récente par Imerys de créer une usine d’extraction de lithium à Beauvoir dans l’Allier à partir de 2027 semble tout régler ! Les médias ont abondamment insisté sur la possibilité d’équiper 700 000 véhicules par an en batteries lithium-ion. De là à croire que nous serons indépendants et vertueux …
Il ne faut pas croire que des possibilités et des solutions purement techniques suffiraient pour réussir la transition écologique. Forger la frugalité acceptée, donc heureuse, sera beaucoup plus efficace.
- « Consommation, nucléaire, sobriété … les citoyens appelés à donner leur avis sur la politique énergétique » - 26 Octobre 2022 - Perrine Mouterde - Lemonde.fr
- « Mondial du Bâtiment : l’enveloppe basse consommation, bas carbone … Et plus encore » - Site Web XPair - 20 Octobre 2022 - Bernard Reinteau
- « Cinq idées reçues sur l’électromobilité » - Le Monde - 22 Septembre 2021- Jean-Michel Normand
- « La voiture électrique a renforcé le poids du charbon » - Le Monde - 5 Mai 2022 - Jean-Baptiste Fressoz
- « La Watture, de l’alternative à la norme » - Le Monde - 23 Juin 2022 - Jean-Michel Normand
- « Rouler en électrique relève encore de l’acte de foi » - Le Monde - 23 Juin 2022 - Jean-Michel Normand
- Exemple : « La voiture reste majoritaire pour les déplacements domicile-travail, même pour les courtes distances » - Insee Première N°1835 - Janvier 2021 - Chantal Brutel - Jeanne Page
- « La ville défigurée. Ravages de l’automobilisme » - Le Monde diplomatique, Juin 2021 - Philippe Descamps
- « La transition écologique impose de révolutionner le modèle obsolète de la voiture individuelle » - Le Monde.fr - 30 Avril 2022.
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers