Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
Mon humeur de Mai 2015 s’était attardée sur l’échelle urbaine de la transition énergétique, celle qui peut profondément changer le contexte et répondre aux critères du développement durable.
Des projets à énergie positive à caractère urbain, ilots, quartiers, voire à l’échelle du territoire, fleurissent. Ou du moins, on en parle. L’idée qu’il faille sortir de la parcelle et imaginer construire ou réhabiliter de la « ville » plutôt que des bâtiments un par un, semble faire son chemin.
En quelque sorte, un retour aux années 1960-1980 des villes nouvelles, crées ex-nihilo selon un urbanisme bardé de fonctionnalités, de modernité et de bien-pensance. Mais un demi-siècle plus tard, les critères urbanistiques tournent autour de l’écologie et de l’«intelligence »… dans le meilleur des cas. Les autres questions moins porteuses de fantasmes pour la ville de demain, celle où les 2/3 de l’humanité vivront d’ici quelques décennies, sont réduites à quelques icônes comme par exemple, la mixité, réponse bien schématique pour traiter la question sociale.
Si le développement durable n’était pas devenu un moteur de la création ou de la transformation de la ville, les mécanismes de décisions et de financements seraient motivés exclusivement par le banal intérêt financier à court-terme.
Cependant, cette motivation reste trop imprégnée chez les décideurs. Ils se doivent d’aller dans le sens de l’histoire mais, leur inertie transparait à travers des projets qualifiés de « smart-cities », « écocités » ou « villes écologiques », pensés exclusivement par le haut. Les résultats sont souvent à la hauteur…
1/ L’Asie, un monstrueux laboratoire
Là où vivent déjà près de la moitié de la population mondiale, la Chine et l’Inde, là où l’urbanisation est forcenée, c’est là qu’il faut à minima se pencher sur ce qui se passe. Le développement urbain y est particulièrement inquiétant.
En Inde, en 2015, les températures très élevées dans les villes ont provoqué la mort de 2500 personnes supplémentaires en un seul mois (1). A Naypur, la température a atteint 48°C, A Bombay et à Delhi : 2 à 3°C de plus sont constatés en moyenne en 15 ans avec un écart récurrent avec la périphérie atteignant 5 à 7°C.
Quelques villes ont dû mettre en place des plans anti-canicule (bulletin d’alerte 5 jours avant via sms, peinture blanche, végétation, aménagement des vacances scolaires, abris « fraîcheur » dans les bidonvilles où vit un tiers de la population sans eau courante, …).
Ces évènements laissent de glace les décideurs. En périphérie de New Dehli, 128 villages ont été rasés et, au beau milieu de 38 000 hectares, une route dessert « Greater Noïda », une ville réservée à des clients aisés, sortie de terre pour décongestionner la capitale et ses 17 millions d’habitants. Un urbanisme déprimant et une clientèle potentielle devenue trop rare expliquent que 150 000 logements restent vacants. Ceux qui ont acheté tentent de revendre (4 000 transactions par mois). Que deviendra « Greater Noïda » ?
Quant à la Chine, selon la revue « Nature », 800 millions de chinois vivront dans les villes dès 2020. La surface urbaine a augmenté de 78% en 10 ans. Les villes chinoises émettent 60% du total national des gaz à effet de serre. L’élite, consciente de cette situation et contrainte à terme de régler le problème de la pollution urbaine, est donc plus éclairée sur l’écologie que ses homologues indiens. Pourtant, le développement durable y est appliqué selon les vieux préceptes du Comité Central du Parti. L’exemple de l’écocité de Tianjin (2), le plus grand quartier vert de la planète est significatif. Prévu pour 200 000 habitants en 2007, l’écocité n’en compte que 30 000 en 2015. Qu’importe ! En 2014, un projet de mégapole est lancé, regroupant Pekin, Tianji (le port de la capitale) et la province du Hebei, le tout pour ...100 millions d’habitants. Il paraît que le remplissage est très loin d’être celui prévu.
Sur le golfe de Bohai, à 80 km de là, l’écocité de Caofeidian lancée en 2003, prévue pour un million d’habitants, construite en partie en 2006, est restée à l’abandon. A 20 km au sud, on peut visiter le centre d’affaires de Yujiapu, sorte de quartier de la Défense à l’échelle chinoise, avec ses belles tours … vides et ses chantiers à l’abandon.
Heureusement, les exceptions existent. Mais par définition, elles ne sont pas la règle. L’exemple du travail de l’architecte Wang Shu pour la ville de Hangzhou montre à l’évidence que le talent chinois existe mais presque clandestinement.
L’Asie reste encore le royaume du prêt à porter où les compétences et les attentes de la population n’ont pas le droit au chapitre. Près de 600 quartiers se sont autoproclamés « éco » juste pour verdir la course au PIB des autorités locales, alimenter des comptes en banque à l’étranger et corrompre tout ce qui peut l’être.
2/ Peut-on, doit-on organiser la croissance urbaine ?
Ce qui se passe en Asie est caricatural. La France et l’Europe semblent plus vertueuses car à la question posée, les réponses proposées reposent sur un énorme travail qui intègre les aspects financiers et économiques sans que ces derniers ne viennent écraser tous les autres critères, en particulier, celui de la séduction.
Vivre quelque part devrait être, au moins en partie, lié à un libre-choix. Ceci est théorique, voire utopique. Pourtant, il s’agit là d’un enjeu sociétal qui interroge nos réflexions sur les acteurs de l’organisation de la ville durable.
Comme le disent les urbanistes et les sociologues, qu’il faut décidemment se décider à écouter et à lire, nous sommes passés de l’urbanisme fonctionnel (types de bâtiments, transports, emplois,…) à l’urbanisme environnemental, verdissant le précédent essentiellement par la technique : éco-bâtiments, moyens de transports propres, gestion des flux plus performante, moins polluante (énergie, eau, déchets « verts »), préservation de la biodiversité (zones et espaces verts).
Cette offre est bien adaptée au nouveau prêt à porter. C’est ainsi que les grands groupes du CAC 40 et les autres traitent le sujet comme un nouveau marché. Tenter de conjuguer l’économique et l’environnement fait preuve de réalisme et de modernité.
Cependant, le social, la troisième composante du développement durable, est laissée pour compte. Les gens finiront bien par se débrouiller, par s’accaparer les lieux, par s’adapter, n’est-ce pas ? Et la séduction passe par le « tout connecté », par la smart attitude. A cet égard, un récent article du Monde (3) donne un éclairage intéressant sur cette technisation de l’offre qui propose du quartier intelligent, BEPOS, sain et confortable. Que demande le peuple ?
Eh bien, il se pourrait qu’il en demande encore plus ! Ou bien autre chose … Dans ce même article qui rend compte des projets lauréats du concours « Le Monde - Smart Cities », certaines propositions traitent la mise en place de procédures dans lesquelles les habitants in situ participent aux décisions de l’évolution de leur quartier ou de leur ville.
Passer de l’urbanisme environnemental à l’urbanisme durable pose déjà la question du devenir des villes actuelles, de leur extension. Cette situation est beaucoup plus courante que celle consistant à créer un quartier Ovni très vertueux et de le greffer tant bien que mal dans un tissu urbain existant.
Il faut préserver, voire développer les espaces publics, réassocier des zones inexploitées, respecter les identités urbaines, utiliser tous les potentiels urbains existants. Ya ka … C’est complexe. Cela suppose du temps, la participation des habitants, des équipes pluridisciplinaires dans lesquelles l’énergéticien, doit se fondre.
Bref, c’est très artisanal, un travail à la carte, … du sur mesure.
3/ Autres nouvelles …
La création de l’Institut de la Ville Durable est un évènement qui mérite un détour. Son objectif est la mise en place d’un réseau d’acteurs pour promouvoir le savoir-faire français en matière de développement urbain (4) et de le concrétiser par la création de sites pilotes.
Un premier appel à projets lancé en Octobre 2015 a abouti à 16 projets lauréats traitant de moyens industriels pour la ville durable (voir le site web : vivapolis-ivd.com).
Pour ceux qui ont le temps et les moyens, l’« Eco-city World Summit » a lieu à Melbourne du 12 au 14 Juillet 2016.
Voici la réflexion qui vous est soumise pour la commenter ou la partager, toujours dans le but d’ouvrir les esprits critiques et la conscience de chacun. En attendant de vous retrouver après l’été dès Septembre, …
Bernard SESOLIS
Expert Energie Environnement
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- « En Inde, les ratés d’une urbanisation débridée », Le Monde 4 Mai 2016 - Julien Bouissou
- « En Chine, le mirage des écocités », Le Monde 27 et 28 Septembre 2015 - Harold Thibault
- « Dossier –villes intelligentes- », Le Monde 20 Mai 2016.
- « L’Etat bâtit un Institut de la Ville Durable », Le Monde 25 Décembre 2015 - Laetitia Van Eeckhout