Par Roger CADIERGUES le 04 Juillet 2019
En abordant, dans ma dernière lettre, les problèmes de ventilation je me suis volontairement limité aux espaces non-fumeurs, de plus en plus nombreux en France pour des raisons sur lesquelles nous allons revenir. Qu'en est-il en effet des locaux où il n'est pas interdit de fumer ? Et comment se situe, sur cet aspect, la réglementation française actuelle.
Comment se place t-elle finalement ?
Très mal. Alors, (voir ma dernière lettre), que nous disposons de règlements que je considère comme relativement solides lorsqu'il s'agit de locaux où il est interdit de fumer, la situation est toute différente lorsque le volume en cause peut accepter des fumeurs.
Est-ce si important ?
Absolument, et sans doute beaucoup plus que la majorité des spécialistes du génie climatique ne semblent le penser. La ventilation des locaux avec fumeurs est d'ailleurs un défi qui devient de plus en plus insurmontable. Pour l'illustrer je vais prendre l'exemple du standard américain 62-2001 consacré à la ventilation. Lors d'une décision relativement récente, il a été décidé que le titre de ce standard (Ventilation for Acceptable Indoor Air Quality) ne pouvait pas, ainsi que son titre l'indique (une qualité intérieure acceptable), s'appliquer aux locaux avec fumeurs. De sorte que les locaux avec fumeurs ont tout simplement été éliminés de la norme. C'était un moyen très clair, même si légèrement hypocrite, de refuser d'indiquer comment réaliser la ventilation de ces locaux, même s'il s'agit de ceux qui sont spécifiquement consacrés aux fumeurs (les "smoking rooms" américains). C'est aujourd'hui ma position. Voici pourquoi, mais pour cela il nous faut d'abord revenir un peu en arrière.
Sur quelles bases les prescriptions réglementaires françaises ont-elles donc été choisies ?
A l'époque de la rédaction du règlement sanitaire type
le problème des locaux avec fumeurs était déjà délicat.
D'une part le ministre de la Santé (Simone Veil) souhaitait que nous
agissions progressivement dans la lutte contre le tabac de façon à
ce que la loi puisse être appliquée. D'autre part nous manquions
d'expériences incontestables sur la "fumée passive",
c'est à dire l'action des fumées de tabac sur les non-fumeurs.
Le risque qui paraissait le plus clair semblait lié aux fumées
proprement dites (les aérosols).
Par contre nous disposions de données
claires mettant en évidence un dégagement de monoxyde de carbone
(CO) très appréciable, de l'ordre d'au moins 50 [mg] par cigarette.
C'est à partir du dégagement de CO par les fumeurs que j'ai proposé
de calculer les débits de ventilation dans les locaux où il n'était
pas interdit de fumer (comme nous l'avions fait avec le CO2 s'il s'agissait
de non-fumeurs).
Très vite, même au moment où elle fut adoptée
sur ma proposition, cette base m'est apparue très insuffisante. Depuis
lors, d'ailleurs, l'affaire n'a pas cessé d'évoluer. Avec, malheureusement,
une coupure un peu tragique entre la France (qui utilise des bases désuètes)
et beaucoup d'autres pays bien plus stricts, le cas le plus spectaculaire étant
celui des USA dont j'ai parlé plus haut.
Le fond du problème c'est
que le produit de la fumée le plus dangereux n'est pas le CO mais le
benzène, dont le dégagement par cigarette est assez limité
mais qui présente un danger extrême.
Le problème du benzène est-il vraiment si important ?
Oui, et vous allez voir pourquoi. Depuis plusieurs années le benzène est nettement classé comme "cancérigène". Mais le plus grave c'est que, de plus en plus, la concentration à partir de laquelle cette action cancérigène semble devenir significative décroît. La limite admissible est passée, en moins de 15 ans, de 100 millionièmes (ppm) à 1 ppm, et encore ? La recherche la plus récente, publiée par le journal Science du 3 décembre 2004, est à cet égard très préoccupante. Il s'agit d'une étude réalisée sur près de 400 travailleurs chinois exposés à des teneurs en benzène de très faible concentration, moins de 1 ppm. Avec la constatation suivante : une action non négligeable sur les cellules sanguines.
Ce résultat n'est-il pas isolé ou douteux ?
Je ne le pense pas, car les études inquiétantes, depuis plus de vingt ans, s'accumulent. Vous pouvez, par exemple, rapprocher l'étude précédente d'une étude également récente sur 109 ouvriers d'une usine de fabrication de chaussures utilisant des colles au benzène, avec des expositions inférieures à 1 ppm. Même avec ces faibles concentrations les taux de globules blancs et de plaquettes sanguines diminuent. Il n'y pas réellement, dans ces deux cas, de signe de maladie sanguine concomitante, mais les résultats restent néanmoins très préoccupants. Je vous laisse donc le soin de voir à quel point nous sommes en retard. Et pourquoi nous devons nous interdire de prétendre proposer des normes de ventilation lorsque certains occupants sont des fumeurs.
Dans ma prochaine lettre, nous abandonnerons la ventilation pour revenir à des thèmes plus généraux.
Roger CADIERGUES