Les gestions techniques de bâtiments vont s’améliorer

Par René CYSSAU - Consultant équipement du bâtiment, ex ingénieur en chef du COSTIC

Ce titre prémonitoire sacrifie à l'énergétiquement correct. De fait, l'affirmation «les gestions techniques de bâtiments sont défaillantes, elles ne peuvent que s'améliorer» serait moins positive mais elle conviendrait mieux à plusieurs constats que nous avons pu faire à l'occasion d'audits de GTB. Pour améliorer, il faut identifier les défauts afin de reconnaître les causes qui peuvent faire des dysfonctionnements.

1°/ Défaillances de GTB : préalable

Si les présentations des performances de telles ou telles solutions énergétiques sont bien mises au devant de la scène par les publicateurs, nous n'avons pas connaissance de la diffusion d'études récentes ou même de simples constats qui se soient attachés à regarder objectivement des gloires et des déboires.

Avant de présenter des constats, deux précautions préalables permettent de préciser les termes utilisés ici :

1 - Distinction formelle de ces deux termes :

  • La gestion technique, au sens de gestionnaire, à l'instar de la gestion administrative ou financière.
  • Le système de GTB, pour être précis il faudrait dire « système d'aide à la gestion technique du bâtiment ».

Autrement dit, séparons l'objet : la gestion technique - et le moyen : le système de GTB.

2 - Distinction des sous-systèmes régulation et GTB. Cette séparation est elle aussi formelle car, de fait, elle n'est pas de mise sur le plan pratique.

La distinction « régulation-automatisation des équipements » et « GTB » est conceptuelle, c'est-à-dire intellectuelle, (figure 1).

Sur le plan pratique, en particulier au plan des pratiques d'usage des systèmes de GTB, l'intégration de ces fournitures est naturellement très courante pour ces deux raisons :

  • Partager les mêmes ressources pour capter, transmettre et présenter des informations.
  • Dialoguer avec le technicien responsable des équipements et le gestionnaire technique (heureusement le même, le plus souvent) selon des mêmes modalités, un même langage.

Notons que les différentes modalités d'usage, trop souvent propres aux différents fournisseurs, obligent à autant d'apprentissages, c'est-à-dire à autant moins d'efficacité.


Ces précautions prises, il reste que lister des défaillances est un exercice critiquable, le risque est d'asséner des listes de situations navrantes pour promulguer ensuite des préconisations péremptoires « il eut fallu ... », ou d'aboutir à des conclusions sentencieuses, « il faut faire ainsi … » trop générales pour être pratiques. Ce n'est pas l'objet de cette chronique.

la gestion technique et les moyens du  système de GTB pour assurer cette gestion



Figure 1 : le sujet traité ici : la gestion technique et les moyens du système de GTB pour assurer cette gestion. Ces systèmes intègrent naturellement les automatismes, cette «couche» n'a pas fait l'objet des audits cités.

2°/ Constats de terrain par des audits de GTB

Technicien GTB


La plupart des constats cités ci-dessous viennent des audits de la GTB de quatre sites tertiaires sur l'île de la Réunion : un campus universitaire et trois immeubles de bureaux en location ou en copropriété, tous climatisés par eau glacée.


Ces audits ont été menés par le COSTIC, Mme Huze et René Cyssau, avec la collaboration d'un BET local : COTEL, à la demande de l'ADEME de la Réunion, une étude initiée et suivie par Fabien Picgirard.


Les constats de difficultés et les défaillances ont pu être rassemblés avec la participation des maîtres d'ouvrage, gestionnaire et techniciens. Ils nous ont informés ouvertement, sans réticences, des satisfactions et des difficultés qu'ils avaient rencontrées.


Quelques uns de ces constats viennent d'autres audits ou des relations de difficultés que nous avions pu entendre de professionnels qui assurent la gestion technique.

Sur le principe : c'est par la connaissance des défaillances que se font les progrès, nous n'avons listé ici que des insatisfactions ou des déboires relevés.

1 - PROGRAMMATION, CONCEPTION, REALISATION, RECEPTION, POST RECEPTION

Des fonctions opérationnelles choisies avec pragmatisme
Un système de GTB ambitieux a été installé (automatisations poussées, optimisations, intégrations de fonctions) sans connaître les besoins concrets en matière de surveillance, supervision, suivis de l'efficacité énergétique.
Beaucoup de fonctions implantées doivent être reprises, beaucoup d'entre elles ne seront jamais exploitées. Seules les fonctions de surveillance et celles de supervision le sont.


Des mises en services pas à pas des fonctions de la gestion technique, les unes après les autres
Selon les termes du marché, il semble que toutes les fonctions de la GTB devaient être en place à la réception. L'année de parfait achèvement n'a pas suffit pour les mettre en service, des difficultés contractuelles sont apparues.
De fait, les fonctions de base pour la surveillance et la maintenance sont nécessaires aux premières étapes de la réception et de l'entrée dans les lieux. D'un autre côté, les fonctions de la gestion proprement dite se mettent en service pas à pas, dans une période de « post réception » à prévoir. Cette post réception s'étend sur plus d'un an, 3 années peuvent même être nécessaires.


Les affectations des surfaces ne sont pas toutes déterminées à la conception
Pour individualiser les charges de climatisation aux locataires et aux copropriétaires, des compteurs divisionnaires ont été placés sur les réseaux d'eau glacée. Les occupations des espaces ne se sont pas faites selon les divisions prévues, loin s'en faut. Les compteurs n'ont pas pu être exploités.

2 - MAINTENANCE DU SYSTEME DE GTB

La disponibilité des documents pour la maintenance, les réparations palliatives
L'éclairage extérieur du parking ne fonctionne plus.
L'électricien appelé ne dispose pas des documents pour diagnostiquer la panne : un relais de signal du système de GTB. Une horloge électromécanique a été mise en place en remplacement.
Le système ne sera pas réparé, l'éclairage restera programmé à heures fixes, sa consommation d'électricité a donc inutilement augmenté.


La surveillance des fonctions du système de GTB, quelles que soient les criticités des fonctions
Un compteur d'énergie thermique utilisé pour mener un suivi énergétique tombe en panne. Comme il ne sert pas à établir des décomptes annuels de charges, sa fonction n'est pas considérée comme critique. En absence de surveillance, sa panne ne sera constatée que plusieurs mois après, la consommation de la zone restera inconnue.


La maintenance du système de GTB
Le système de GTB ne fait l'objet d'aucune maintenance, personne n'est chargé de la surveillance de son bon fonctionnement, des défaillances sont tolérées, des fonctions se dégradent.
Finalement, le système tombe en désuétude, la supervision n'est plus assurée, seules les fonctions de surveillance et d'alarme des équipements restent opérationnelles.

3 - TACHES DE LA GESTION TECHNIQUE

La circulation des copies des factures d'énergie
Les factures d'énergie reçues par le service comptabilité sont payées directement, les techniciens ne les visent pas, ils n'en reçoivent même pas systématiquement des copies, ils doivent les demander.
Suivre l'énergie commence par une procédure simple : transférer une copie des factures d'énergies au responsable de la gestion technique.


La présentation des informations aux techniciens
Selon les techniciens, les synoptiques sur écrans sont surchargés, plusieurs informations inutiles les encombrent.
Par contre, les réglages des consignes et les températures ambiantes dans les bureaux manquent, elles leurs seraient utiles.


Repérages par codes, des codes lisibles
Les programmes horaires des marche-arrêt sont codés par 4 caractères peu significatifs.
Comme ils ne sont pas modifiés fréquemment, il faut à chaque fois se reporter aux gros dossiers des documents techniques pour intervenir sur ces programmes.


Des repères sur les équipements et les réseaux, comme ceux à l'écran
Les repères qui se trouvent sur les synoptiques des écrans ne sont pas les mêmes que ceux qui étiquètent les équipements et les réseaux.
De plus, les équipements, les conduits d'air, les canalisations, les câbles ne sont pas tous repérés ou étiquetés. Les techniciens de maintenance doivent utiliser des dossiers techniques pour intervenir.


Les vérifications initiales des câblages pour déceler les erreurs avant la mise en service, pas durant l'exploitation
Des câblages inversés : le thermostat d'un local et son ventilo-convecteur sont repérés comme s'ils étaient ceux du local adjacent.
Ce défaut de câblage a été découvert fortuitement à l'occasion d'un dépannage, plusieurs années après la mise en service.


Les usages du système de GTB ouverts à plusieurs techniciens
Le responsable du système de GTB en est l'utilisateur expert, il est convaincu de l'efficacité de son système pour maîtriser les consommations d'énergie. Bien qu'il incite les autres techniciens à profiter des fonctionnalités, il en reste pratiquement le seul utilisateur.


Le gestionnaire technique fait les résultats énergétiques
Le responsable exploite efficacement son système de GTB, il est un expert convaincu, il a réussi à faire baisser les consommations année après année. Il quitte son poste… il est remplacé. Le changement a eu pour effet une remontée des consommations dans l'année qui a suivi.
Les résultats énergétiques dépendent principalement des interventions et des suivis des techniciens, c'est aussi une question de motivation.


Le déroulement des interventions en suivant des procédures
Un intervenant de maintenance a omis de remettre le régulateur en mode automatique après son intervention, il est resté en mode manuel, la vanne est restée ouverte durant plusieurs jours. C'est une visite fortuite dans la sous-station qui a permis de faire ce constat.

4 – L'INFORMATIQUE DU SYSTEME DE GTB

Le stockage des données
Le disque dur du poste central est saturé. Il ne s'y trouve pas de graveur de CD ni de réseau pour transférer des fichiers. Les historiques sont perdus, les suivis ne seront plus réalisés.


L'impression les documents
L'imprimante au fil de l'eau consommait beaucoup de papier, ses éditions n'étaient pas exploitées. Elle a été mise à l'arrêt après seulement quelques mois d'exploitation.


Des libellés, des messages pertinents
Sur les synoptiques, les libellés des équipements sont laconiques, ils ne correspondent pas tous aux désignations qui se trouvent dans les dossiers des ouvrages exécutés.
La rédaction des repères, des libellés et des messages est un travail conséquent, il n'a pas été évalué à la hauteur de son importance dans le marché. Faute d'une période de post-réception dûment prévue, les textes n'ont pas été ajustés.


La synchronisation des données de différentes origines
Plusieurs fichiers d'enregistrements horodatés sont rassemblés pour réaliser les suivis. Les périodes des enregistrements de plusieurs fichiers ne sont pas les mêmes, des horodatages ne sont pas synchrones.
Pour corréler les données, il faut faire plusieurs prétraitements afin de recaler les périodes, ils ne sont pas aisés.


Des formats d'enregistrements directement compatibles avec les standards
Les fichiers émis par le système de GTB ne sont pas directement compatibles avec Excel. Le logiciel de conversion prévu n'a pas été livré, la conversion se fait par une procédure qui réclame des interventions manuelles.

Ces constats ont été réellement observés, des techniciens qui assurent la gestion technique ont retrouvé dans cette liste certaines situations qu'ils ont pu auparavant constater.
Il ne faut pas considérer ces constats comme des cas endémiques, mais plutôt comme des observations qui peuvent être utiles.

3°/ Gestion Techniques du Bâtiment et déboires : 2 études anciennes

Pour le sujet en titre, deux études des gloires et déboires des gestions techniques du bâtiment ou de leurs outils viennent de l'étranger : Grande-Bretagne et Suède. Elles datent de la fin des années 80.
Malgré leur ancienneté, certaines conclusions de ces études sont encore de mise, les technologies ont beaucoup évolué depuis mais beaucoup de déconvenues ne proviennent pas des aspects technologiques des systèmes de GTB, beaucoup viennent des conceptions initiales ou des modalités de leurs implantations.

De Grande Bretagne : la GTC dans les bâtiments : un ensemble de chausse-trappes

« Le problème, avec les systèmes de gestion technique centralisée, c'est que les différents composants n'exécutent pas toujours ce qui leur est demandé. » Selon l'auteur, de 25 à 30 % des fonctions d'un système de gestion centralisé sont défaillantes. Aussi, avant la mise en route globale de l'installation, il faudrait que le fonctionnement de chaque composante soit testé. « En effet, estime-t-il, de tels systèmes nécessitent des interfaces détaillées liant chaque discipline (chauffage, ventilation, climatisation, éclairage...) » Enfin, répète-t-il, la conception de ces systèmes devrait toujours être prévue au moment de l'étude des bâtiments qu'ils auront à piloter. « C'est le moyen essentiel de s'assurer que tous les besoins seront pris en considération » conclut-il.

David Lush, Arup Research and Development

De Suède : régulation informatisée: un certain désenchantement

Sur le thème du contrôle sur ordinateur des systèmes de chauffage, ventilation et climatisation, un rapport de recherche suédois est bien peu enthousiaste sur les mérites de ces systèmes complexes. Consacrée essentiellement aux économies d'énergie dans les bâtiments industriels, la recherche a étudié les performances d'un système de commande informatisé capable de collecter les informations donnée par de nombreux capteurs de mesure, de traiter ces informations afin d'optimiser ensuite le chauffage et la climatisation. Un maillon essentiel de cette installation est une horloge pré-programmable et les chercheurs ont posé la question dans les économies dues à cette maîtrise de l'énergie, quelle part revient à l'ordinateur et quelle part à l'horloge ? L'étude a montré que la quantité d'énergie utilisée par le chauffage ne décroît pas forcément si l'horloge est remplacée par une commande informatisée, car la consommation d'énergie peut augmenter si la maintenance et l'installation du système sont réalisées sans prise de conscience de l'influence du système de contrôle lui-même sur l'utilisation de l'énergie.

Swedish Council for Building Research, Stockholm rapport R3 1987

4°/ En conclusion

Les professionnels de la gestion technique, qu'ils travaillent dans une organisation technique du propriétaire ou dans une entreprise de service connaissent déjà peu ou prou de tels dysfonctionnements ou défauts.
Certains pourront être déçus de ne pas lire en conclusion les causes probables en regard de chacun de ces constats. Il ne s'agit pas ici de mettre en cause tel ou tel comme un responsable unique.

Reprenons deux conclusions des audits menés avec l'ADEME de la Réunion :

  • Une maxime en forme de lapalissade : « l'efficacité de la gestion technique et la maîtrise des consommations dépendent en tout premier lieu du professionnalisme du technicien gestionnaire ».
  • Une seconde conclusion n'est pas propre au sujet de la gestion technique : en remontant les causes de dysfonctionnements on aboutit le plus souvent aux conditions contractuelles d'une fourniture ou d'un service, donc, ici, aux spécifications qui sont à l'origine de la réalisation des équipements, de leur automatisation et de leur gestion technique.

Les démarches qui relèvent du commissionnement viennent de ces constats, pour des propositions de nature organisationnelles afin d'anticiper, en vue d'une exploitation efficace des bâtiments.
Des renseignements de cette nature ont été rassemblés dans le recueil « Mémento du commissionnement », téléchargeable. Plusieurs sujets traités dans ce document sont illustrés par des exemples de la GTB.

→ Téléchargez le document de 49 pages : Memento commissionnement

Enfin, des éléments pour entrer dans des cahiers des charges types ont été rassemblés avec les partenaires de l'étude ADEME de la Réunion. Ces éléments sont utiles pour établir des cahiers des charges fonctionnels pour la gestion technique et pour rédiger des CCTP type pour mettre en place le système de GTB.
Ils devraient être développés pour être applicables aux besoins des maîtres d'ouvrage des immeubles de bureaux en métropole ou dans les DOM.

Des informations sur la disponibilité de ces documents seront données dans les pages du site XPAIR www.xpair.com durant l'année 2011.

Fait par René CYSSAU
Consultant équipement du bâtiment, ex ingénieur en chef du COSTIC, René CYSSAU est l'auteur d'ouvrages techniques dans la régulation et la gestion technique du bâtiment.

→ Conférences au Salon ENEO du 15 au 18 février 2011

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