Par Alain MAUGARD, président de QUALIBAT le 04 Juillet 2019
Au cours des chapitres précédents, nous avons fait le tour des conforts et des usages y compris ceux que procure le bâtiment augmenté avec la connectivité des objets dans le bâtiment et hors bâtiment. Avec la réserve de rester libre, sans devenir esclave ou asservi de cette « intelligence » des objets, c’est-à-dire de rester maître de son confort et de son bien-être.
Nouveaux modes de vie et de travail connecté
1 - Prise en compte de la diversité des modes de vie
La réflexion sur le bâtiment responsable 2020 nous amène donc à nous pencher sur la diversité de nos modes de vie, qui doit être inévitablement respectée. Alors que nous avions peur d’être emprisonné avec les contraintes énergétiques et écologiques, la nouvelle génération de bâtiment devrait s’ouvrir vers la demande, vers l’individu avant tout et les conforts nouveaux que peut apporter le bâtiment 2020. Au fond, cette nouvelle génération de bâtiment, certes liée à des modes de vie responsables, doit être source d’une plus grande liberté et diversité de choix. C’est un raisonnement inverse de la supposée contrainte énergétique et écologique qui ne s’attache à normer les usages que dans un seul carcan pour un individu identique. Il s’agit ainsi de partir de la demande de l’individu dans la société afin qu’il puisse jouir d’un bien-être personnel (et non être contraint) avec le plaisir d’un confort holistique en profitant librement de la multiplicité des usages.
Nous l’avons vu avec l’exemple des bureaux. Derrière l’aspect du confort, ce qui était important pour les usagers, c’était le bien-être au travail avec une grande liberté d’action et l’adéquation avec une organisation nouvelle du travail. Et bien pour le secteur du logement, l’appréciation est la même. Avec la réglementation RT 2012, ou même avec le label expérimental actuel E+C-, nous continuons à nous baser sur des consommations conventionnelles comme si nous avions comme référence un ménage moyen sur tout la France. Telle quantité d’eau chaude sanitaire, telle quantité de chauffage, telle température de chauffage à 19°C, …, soit une idée de base, normée et sans doute erronée.
Et si la solution vertueuse était de partir de l’usager et des besoins aussi pluriels qu’il y a d’individus ? C’est-à-dire concevoir un bâtiment pour ceux qui veulent vivre à 21°C ou 22°C avec leur liberté de descendre eux-mêmes à 19°C, ceux qui veulent disposer à leur guise - selon leur sensibilité ou leur âge - d’un confort d’été avec la climatisation, de profiter allègrement de l’eau chaude de leur douche, … Cela revient à construire des bâtiments en les équipant de façon globale, de sorte qu’ils soient capables d’être performants avec des usages et des modes de vie très variés. Soit, une souplesse et une adaptabilité à des comportements différents. Et cela ne veut pas dire que nous reculons sur les objectifs de sobriété et de performance !
Cela pousse la réflexion plus loin certes, car cette pluralité prise en compte, les concepteurs devront s’attacher à imaginer plusieurs scénarios d’usages du bâtiment. Nous devrions étudier alors, par exemple, comment le bâtiment se comporte énergétiquement avec tel ou tel autre mode de vie, tout en veillant qu’en fonction de différentes configurations de modes de vie ; il présente une capacité de performances élevées en énergie et en carbone ; phase construction comprise.
En résumé, nous ne devrions pas étudier le bâtiment de demain comme s’il devait être destiné qu’à un seul mode de vie, fixé immuablement dans le temps et valable durant toute sa durée de vie ! Cela reviendrait à vouloir normer avec une seule référence les modes de vie actuels et à venir. C’est bien l’inverse qui parait pertinent, responsable et désirable. Ainsi, nous pourrions imaginer à l’extrême qu’en tenant compte de la grande variété de modes de vie, autant de « variantes de bâtiments » puissent se concevoir réunis en un seul ouvrage flexible et sobre sur le plan de l’énergie et du carbone. Ainsi, au lieu d’accepter une seule performance réglementaire, nous aurions un éventail de 4, 5 ou 6 performances, selon l’occupation, les usages et les comportements. Nous le savons déjà, pour le logement, la consommation d’énergie n’est manifestement pas la même pour un couple de retraités qui passe toute la journée dans son logement ou si c’est un couple d’actifs qui part le matin au travail et qui rentre le soir, ou si c’est une famille où les occupants prennent douche sur douche !
Ainsi, il n’est pas possible de dire pour un bâtiment livré, voilà sa seule performance ! Usages et performances du bâtiment ne sont donc pas à figer, cela serait une erreur de conception face à la grande liberté de modes de vie dont nous faisons preuve.
2 - Attention à l’ascétisme induit par des bâtiments trop étroitement performants
Nous pourrions penser que la réglementation actuelle, certes uniforme, nous laissait aussi des formes de liberté : nous chauffer à + de 19°C si nous le voulions, installer ensuite une climatisation, etc, … Mais dérives et conséquences sont alors à signaler. En premier lieu, afficher un standard erroné de consommation, le fameux 50 kWh/m² et par an et les plaintes consécutives que cela peut engendrer. Bénéficier de la très basse consommation comme pour le bâtiment Passivhaus par exemple, implique que l’on accepte de rester à 19°C. Une conséquence dommageable si l’individu ne veut ou ne peut se conformer à une telle référence normée. Par exemple, que fait une personne âgée qui ne peut pas supporter les 19°C ? Elle n’a pas assez chaud et à ce moment-là elle va s’acheter un radiateur électrique et sans doute « le pire des pires », c’est-à-dire le moins cher, va puiser pendant les heures de pointes et engendre de ce fait un gaspillage énergétique en totale incohérence avec la lutte contre l’effet de serre. Prenons aussi l’exemple de logements très performants hiver et si peu confortables en été. L’usager finit par installer sa propre climatisation, avec des unités extérieures dispersées en façades avec les effets inesthétiques que l’on connait. Les contre-références sont là pour en témoigner. Chaque fois que nous avons conçu des bâtiments trop étroitement performants, trop d’entre eux étaient liés à des contraintes pour les usagers, et la réaction de sortir de cette forme d’inconfort s’est naturellement manifestée avec des solutions individuelles énergivores. Au regard de ces contre-performances, ont été dénoncés les mauvais usages des occupants. C’était l’usager qui ne s’adaptait pas, …, au bâtiment ! Ainsi, un bâtiment multi-usages, et multi-consommations peut se concevoir avec des solutions pensées à l’avance et donc un résultat énergie-carbone bien plus vertueux et maîtrisé.
3 - Vers un bâtiment désirable à plusieurs performances réglementaires
Prenons l’exemple des constructeurs automobiles, même si cela porte à discussion. N’y a-t-il pas plusieurs consommations indiquées ? à 90, 110, ou 130 km/h… désormais appelées consommations urbaines, mixtes, extra-urbaines. Il est intéressant de constater que le véhicule est plutôt optimisé lorsque celui-ci roule à 90 km/h. Cela n’empêche pas d’aller plus vite. Avec également la possibilité de consommer le moins possible avec une 6ème vitesse, voire une 7ème vitesse. De plus, cela ne m’empêche pas de temps à autre de mettre les gaz, pour doubler ou se faire plaisir. Imaginons un seul instant un véhicule bloqué à une vitesse maximum de 90 km/h, quelle appréciation aurions-nous? L’exemple automobile est intéressant et la comparaison avec le bâtiment doit nous inspirer : plusieurs consommations affichées, indications visuelles de la consommation instantanée et du style de conduite et en même temps maîtrise et liberté d’utilisation (avec les limites du code de la route !), possibilité de multi-conforts (confort visuel avec toit vitré, climatisation à disposition), confort esthétique (variété d’aspects intérieurs), et connectivité avec l’environnement !
En conclusion, il faut s’engager dès à présent pour concevoir le bâtiment de demain « agréable et désirable », loin de l’ascétisme du confort minimal. Soit un bâtiment multi-conforts et multi-usages pour que les usagers se l’approprient. L’aspect énergétique et écologique restant l’affaire des concepteurs pour que le bâtiment s’adapte lui-même aux multi-usages et aux multi-utilisations. La réglementation 2020 devant être ainsi construite pour permettre la liberté des modes de vie !
Le bâtiment se met ainsi au service de l’homme, soit une nouvelle façon de l’humaniser ! Placer l’individu au centre de la vision du bâtiment, tel est l’objectif de la réflexion bâtiment responsable (RBR 2020 - 2030).
Soit un bâtiment désirable et créateur de nouvelles valeurs et dans tous les cas, « responsable ». Responsable pour les concepteurs et responsable pour les usagers. Le comportement des usagers est responsabilisé avec plus d’implication et sans doute plus de sens. Nous pouvons disposer d’eau chaude à volonté, ce n’est pas pour cela qu’il faut la gaspiller, mais nous avons la liberté d’en user. Nous pourrions alors parler de gaspillage responsable voire de plaisir responsable, d’autant plus si cette eau chaude est produite par l’énergie solaire et avec une eau provenant d’une récupération d’eau de pluie. De même, si l’énergie de la maison est produite par un toit solaire PV, alors le mot gaspillage n’a même plus son sens premier, car l’énergie solaire en excès utilisée pour la climatisation par exemple, ne prive personne. Sans doute même pas le réseau collectif qui n’en pas besoin en cette période et qui ne l’achètera pas. L’autoconsommation PV démontre ainsi son intérêt et sa responsabilisation à bien des niveaux.
4 - La notion bas carbone est moins palpable et pourtant si utile à plusieurs échelles
Autant l’aspect énergie positive interpelle l’individu aujourd’hui, autant la notion « carbone moins » est beaucoup moins évocatrice, sauf bien entendu pour les spécialistes du bâtiment qui pour le moment se focalisent essentiellement sur l’acte de construire (matériaux, recyclage, …). Les acteurs du tertiaire, notamment dans les bureaux, arguent de leur construction bas carbone pour une communication dite « écologique ». Mais pour tout un chacun, le « carbone moins » de son habitat ne lui parle pas, sinon très peu. Alors comment l’impliquer ?
La réponse est sans doute de considérer le carbone dans sa globalité c'est-à-dire avec les transports et l’alimentation incluse.
Disons que le bâtiment une fois construit, la consommation de carbone se trouve ensuite pratiquement liée aux modes de vie. Est-ce moins vertueux de me chauffer à 21°C que d’acheter des fraises qui viennent d’un lointain pays ? Et de rouler en 4x4 consommant 20 litres au 100 ? La question carbone est en train de se déplacer ou plutôt de s’étendre. Nous ne pouvons pas la traiter que par la réglementation dans le bâtiment.
Il s’agit de changer de paradigme et d’intégrer que l’unité n’est plus le m² du bâtiment mais la personne et son mode de vie. Ce n’est pas le nombre de m² de la salle de bains qui est important mais le nombre de douches qui sont prises. Même remarque pour une cuisine où la consommation dépend du type de restauration adaptée par l’usager. C’est dans cet esprit que nous avions basculé sur la société 2 000 watts, ce concept qui se rapporte à la personne et non à la surface habitable. Ainsi, il serait limitatif de contraindre la personne sur le « carbone moins » du bâtiment, le C-, sans voir les arbitrages avec l’alimentation, les transports, etc, … Soit une prise en compte étendue des modes de vie de la personne.
Sans oublier des cas et usages spécifiques comme les individus qui ont une résidence secondaire, où ils passent le week-end voire plus, et des cas plus restreints d’individus qui prennent fréquemment l’avion, etc, … Mais actons d’ores et déjà que le véhicule électrique est en passe de devenir un mode de transport de plus en plus étendu. Et imaginons que l’avion pourra devenir solaire dans 30 ans ou du moins hybride.
Alors, il n’y pas de limite à construire le cahier des charges de la prochaine réglementation bâtiment 2020-2030 en envisageant une articulation autour de la réglementation urbaine.
En conclusion, la difficulté de la prochaine réglementation sera la prise en compte globale de l’individu et des modes de vie. C’est une difficulté, mais aussi un challenge extraordinaire.
Nous l’avons vu sur le plan de l’énergie positive ou le Bepos, l’intérêt économique est de créer un Bepos à plusieurs avec un îlot, quartier, ville, territoire, et ce pour bénéficier du foisonnement des usages. A partir de là, l’échelle d’analyse devient le territoire que parcourt et utilise l’individu. Plus que de Bâtiment Responsable « augmenté », alors n’avons-nous pas intérêt de parler de Quartier Responsable augmenté ou même de Ville Responsable augmentée ? Du côté des « objets », nous passons donc de l’objet bâtiment au quartier puis au territoire, et de là vient la question des modes de vie sous tous les aspects : transport, alimentation, commerce, travail, loisir, logement, …
Alain Maugard