Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
Ce début d’année, j’ai quelques difficultés à me concentrer sur la question des bâtiments tant l’actualité m’interpelle sur des sujets très larges et très urgents. Oui, encore le changement climatique, toujours le changement climatique … et la pollution !
Ces sujets ont pris un biais nouveau parce que les générations montantes, celles qui vont avoir à gérer les conséquences de plusieurs décennies d’incurie de ma génération, commencent à demander des comptes aux décideurs. Et il y a de quoi ! Et puis, des initiatives multiformes convergent.
Cette humeur vise à évoquer cet air d’un temps qui s’apparente à un début de mouvement qui pourrait aboutir, si rien de probant ne se déclencherait rapidement, à une révolte …
1 - La pollution a transformé l’air en tueur de masse
Les questions environnementales s’intègrent dans les pensées quand les individus sont directement impliqués. L’actuel exemple des gilets jaunes suite à l’annonce du gouvernement sur les véhicules diesel le montre.
Un sujet très « impactant » devrait faire réagir, celui de la pollution de l’air. Et pourtant, les réactions ne sont pas la hauteur des enjeux.
C’est une raison pour revenir sur cette question maintes fois évoquée et pour laquelle, de nombreux chercheurs travaillent depuis plusieurs décennies, pour laquelle également des organismes de surveillance et d’alerte ont été mis en place partout sur la planète. Sujet rabattu donc. Néanmoins, les efforts réalisés restent bien en deçà du minimum vital comme le rappelle un article publié dans Le Monde (1).
Au total, près de 7 millions de morts prématurées par an n’émeuvent pas grand monde. Aucune convention internationale sur la pollution de l’air ne semble être envisagée alors qu’elle tue presque autant que le tabac et beaucoup plus que le sida (1,1 million), la tuberculose (1,4 million) ou le diabète (1,3 million).
Pollution de l’air = 7 millions de morts par an
L’Organisation Mondiale pour la Santé alerte à nouveau ceux qui veulent bien l’entendre : chaque année, 543 000 enfants de moins de 5 ans et 57 000 jeunes entre 6 ans et 15 ans meurent prématurément d’infections respiratoires dues aux particules fines. L’air extérieur est particulièrement actif dans ce massacre à cause de l’automobile, de l’industrie, des pratiques agricoles et de l’incinération des déchets (surtout en Inde). L’air intérieur des bâtiments est aussi un assassin efficace puisque encore 3 millions de personnes pauvres utilisent du kérosène ou du charbon pour le chauffage et pour cuisiner, surtout en Afrique.
A part les morts, … 650 000 millions d’enfants, représentant 93% des enfants de la planète respirent un air nocif pour leur santé ! Le seuil imposé par l’OMS de 10 microgramme/m3.an des particules fines les plus dangereuses, celles dont le diamètre est inférieur à 2,5 microns (PM 2,5), est dépassé pour la totalité des enfants des pays pauvres, Afrique, Orient, Asie du sud-est, et pour 52% des enfants dans les pays à hauts revenus. Pour ces derniers, la disparité est importante puisqu’on passe de moins de 10% en Amérique du Nord, dans les pays scandinaves ou en Nouvelle-Zélande, à plus de 75% en Allemagne, en Russie, au Japon et … en France.
Les enfants sont à la fois très vulnérables et très exposés. Si la mère vit près d’un axe routier durant la gestation, le risque de leucémies augmente. A terme, ce sont les naissances prématurées, les troubles psychomoteurs et de neuro-développement, puis, l’asthme ou des troubles respiratoires qui se développent à cause d’une trop grande exposition à la pollution en bas âge.
Une récente étude au Royaume Uni concernant 284 enfants vivant en ville ou à la campagne, suivis de leur naissance jusqu’à l’âge de 18 ans (2), montre que la pollution de l’air a également des effets sur la santé mentale. Les mesures effectuées à l’âge de 12 ans et à 18 ans indiquent que les enfants exposés à la pollution ont 4 fois plus de risques de dépression, et ce, en s’affranchissant des impacts liés au milieu social, au tabagisme ou aux antécédents familiaux.
Selon Helene Fischer (3), la responsable de cette étude, il est probable que les particules PM2,5 sont capables de franchir la barrière hémato-encéphalique et de provoquer des inflammations dans un cerveau en plein développement.
En incluant les adultes, les chiffres sont encore plus spectaculaires. Selon un rapport de l’Agence Européenne pour l’Environnement (AEE) sur la qualité de l’air publié en 2018, la concentration en PM2,5 a déclenché 422 000 décès prématurés selon l’espérance de vie dans les 40 pays européens. Rien qu’en France, le chiffre atteint 35800 personnes, mais loin derrière l’Allemagne (62300), la Pologne (60600) ou l’Italie (44500). L’Europe est très laxiste puisque ce résultat morbide est atteint avec seulement 6% de la population exposée à une pollution supérieure aux limites imposées par Bruxelles, alors que selon les limites de l’OMS, ce taux atteint 74 %. Il est précisé que ce sont d’abord les transports qui sont en cause. Quand on songe que l’air à l’intérieur des bâtiments est très souvent plus pollué que l’air extérieur ! Filtre–t-on suffisamment les PM2,5 dans les lieux à risque ?
Il sera très intéressant de savoir comment, en France, la procédure de surveillance de la qualité de l’air mise en œuvre et imposée depuis le 1er Janvier 2018 dans les bâtiments de la petite enfance aura été appliquée, et surtout, selon les résultats, quelles seront les actions envisagées et menées.
A un tel constat sur la qualité de l’air s’ajoutent ceux sur le changement climatique et la dégradation accélérée de la biodiversité. On peut comprendre que certains envisagent un futur catastrophique.
2 - Faut-il être adepte de la collapsologie ?
Collapsus : Ah le joli mot ! Très tendance en plus. Ou si vous préférez : l’effondrement brutal ou la Catastrophe. Pour les adeptes de cette grande fracture, notre civilisation fondée sur les énergies fossiles va disparaître dans les années 2030. L’effondrement serait déjà en cours. Les adeptes de cette théorie sont de plus en plus nombreux, quoiqu’encore marginaux (4). Les plus radicaux agissent dès aujourd’hui en changeant complètement leur mode de vie. L’alimentation, les transports, les lieux de vie, le travail, … tout ce qui touche leur quotidien est remis en cause et profondément modifié. Ils espèrent ainsi montrer l’exemple et prouver que l’adaptation à la Catastrophe est possible et nécessaire. En cela, ils sont rejoints par ceux qui raillent l’idée de l’anthropocène consistant à affirmer que les activités de l’Homme, en dégradant la planète de manière irréversible à l’échelle de temps humaine, ont créé une nouvelle grande ère.
Ces détracteurs considèrent que l’idée de l’anthropocène est un concept qui manque singulièrement d’humilité et ils dénoncent ceux qui croient que l’Homme peut détruire la Terre, ou qu’il peut la sauver. Ils se placent, comme les collapsologues, dans une stratégie d’adaptation.
Faire ce qu’on peut à notre d’échelle d’individu. Ne pas croire à une action collective capable de sauver quoique que ce soit à l’échelle de la planète. L’essayiste Pascal Bruckner en est un exemple frappant (5). Sa méconnaissance patente sur certains sujets (par exemple, le nucléaire serait la seule source énergétique n’émettant pas de CO2 …), ne l’empêche pas d’écrire : « il est avisé de décarboner l’économie, de diversifier nos sources d’énergie, mais n’est-il pas présomptueux de croire qu’il suffit de vouloir pour pouvoir et que seuls les lobbys puissants, la paresse ou la lâcheté des politiques nous empêchent de renverser le dérèglement climatique ? ».
En cela, il est rejoint en partie par un chercheur et psychiatre norvégien, militant écologiste, Per Espen Stocknes, qui a étudié les phénomènes qui nous empêcheraient de passer de la prise de conscience à l’action collective sur les questions environnementales (6). Il explique d’abord que la menace n’est pas ressentie personnellement, contrairement à l’emploi, la santé, l’immigration, le crime, l’éducation, les inégalités sociales, …
En outre, il constate que, plus le dérèglement climatique est prouvé, moins la préoccupation de chacun est forte. Il distingue 5 barrières mentales :
Selon ce chercheur, 80% des articles et informations sur le changement climatique adoptent l’angle de la catastrophe. Nous nous délecterions d’une certaine fascination pour l’Apocalypse et notre esprit s’habituerait à l’idée de la destruction de la société. Et ce, jusqu’au point où notre culpabilité et notre peur diminueraient et que nous ne prêterions plus attention à la fin du Monde annoncée. Finalement, les marchands de malheurs, les Cassandre seraient perçus comme des hystériques.
Considérant les collapsologistes comme des fondamentalistes, Per Espen Stocknes prône néanmoins des démarches s’inspirant de leurs actions au quotidien mais avec une approche positive, meilleure antidote, selon lui, contre l’obsession du collapsus. Il pense qu’il ne faut pas se reposer sur le politique qui, lui, est obsédé par sa réélection. Et de conclure que seules les expériences locales et personnelles sont les véritables moteurs du changement politique.
On en revient un peu à l’attitude des « Colibris » qui ont négligé un temps la question des rapports de force.
Il semblerait que des initiatives, provenant surtout de la génération montante (les ados, les « Y »), visent justement à modifier ces rapports, à demander des comptes aux générations exerçant les pouvoirs politiques, économiques et sociaux.
3 - Un mouvement de fond qui se rajeunit
La pétition « l’Affaire du siècle », qui a recueilli plus de 2 millions de signataires contre l’État français pour inaction climatique, est devenue la plus importante revendication populaire pour réclamer des décisions et leurs mises en œuvre.
On constate que face à l’urgence environnementale, des actions directes et non violentes commencent à gagner les esprits et de plus en plus de citoyens se forment au passage à l’acte (8). Près de 150000 personnes en France et en Belgique (dont 70000 à Bruxelles) sont descendus dans la rue pour réclamer des mesures à la hauteur de la crise écologique (9).
L’Institut néerlandais Burat et l’Université de Gand ont réalisé une enquête montrant que la question environnementale en Belgique n’est qu’à la 7ème place des préoccupations des plus de 50 ans, mais à la première place des 18-25 ans.
La calamiteuse COP 24 à Katowice a quand même été l’occasion de découvrir Gréta Thunberg, suédoise âgée de 16ans, qui a fait un spitch à la tribune très remarqué et médiatisé au point que, cet évènement a déclenché une sympathie bienveillante des adultes, mais surtout, une mobilisation des adolescents dans tout le nord de l’Europe. Une grève scolaire est prévue le 15 Mars. Une première dans le genre ! Nous verrons si cette génération montante, celle qui assiste aux premières loges et qui subit de plein fouet les conséquences de la dégradation générale de l’environnement, sera assez forte pour induire des changements radicaux dans la manière de gérer la cité, le pays, la planète.
C’est une chance pour les générations précédentes, d’aider, d’accompagner, sans aucune condescendance, les mouvements revendicatifs des jeunes pousses.
La transition écologique, nous la leur devons.
Bernard SESOLIS
Expert Energie Environnement
- « La pollution de l’air tue 600 000 enfants par an » - Le Monde - 30 Octobre 2018 - Stéphane Mandard
- Etude menée par Helene Fischer (UK) ; citée sur France Culture, journal de 8h - 16 Février 2019
- Hélene Fischer fait partie du groupe « Lancet », un regroupement de 27 grandes institutions universitaires et agences intergouvernementales et onusiennes de tous les continents qui a publié son dernier rapport le 28 Novembre 2018, consultable sur : http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(18)32594-7 « Compte à rebours sur la santé et le changement climatique : une influence sur la santé des populations pour les siècles à venir »
- « Le succès inattendu des théories de l’effondrement » - Le Monde - 6 Février 2019, Cécile Bouanchaud
- « Ne nous faisons pas croire que nous allons sauver la planète » - Le Monde - 10 Octobre 2018 - Pascal Bruckner
- « A force de voir des catastrophes, l’esprit s’habitue » - Le Monde - 21 et 22 Octobre 2018 - propos recueillis par Nicolas Santolaria
- « J’y pense et puis j’oublie, petite histoire de l’apathie » - Le Monde - 21 et 22 Octobre 2018 - Stéphane Foucart
- « La désobéissance civile gagne du terrain en France » - Le Monde - 27 et 28 Janvier 2019 - Audrey Garric
- « Climat : la mobilisation citoyenne s’enracine » - Le Monde - 29 Janvier 2019 - Audrey Garric, Richard Schittly et Jean-Pierre Stroobants
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers