Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 02 Juillet 2020
Les récentes informations concernant l’énergie et le changement climatique donnent le tournis.
Ces dernières semaines, nous avons assisté à un véritable télescopage d’annonces et de décisions politiques qui ne s’encombrent pas des paradoxes qu’elles engendrent. Il fut une époque où les choses étaient dites et n’étaient pas réalisées. Il semblerait que nous entrons dans une nouvelle phase où tout ce qui est dit n’a même plus de sens.
1°) D’abord, les « bonnes » nouvelles !
Fin Octobre, les 28 pays de la Communauté Européenne ont fini par trouver, non pas un terrain d’entente, mais a minima l’affichage d’un objectif de réduction de 40% des émissions de CO2 en 2030 par rapport au niveau de 1990.
Le 12 Novembre 2014, les USA et la Chine annoncent en commun leur engagement dans un processus de décarbonatation de leur économie.
Les américains réduiront leurs émissions de CO2 autour de 27% en 2025 par rapport à 2005. Les chinois promettent que les énergies décarbonées (solaire, hydroélectricité) couvriront 20% de leur production totale en 2030 et que leur pic d’émissions pourrait être atteint dès 2025 sans freiner leur croissance économique.
Ces déclarations émanant des deux principaux émetteurs de la planète (42% des émissions mondiales à eux deux !), sont réjouissantes.
Des décisions politiques plutôt de bon augure pour la conférence à Paris fin 2015. Mais, il ne faut pas tomber dans un excès d’optimisme. Tempérons ces belles annonces ...
2°) Décryptages des bonnes nouvelles …
Pour l’Europe qui émet 11% du CO2 mondial, la difficulté majeure sera de dépasser les 28 stratégies nationales dont certaines divergent à 180°. La passe d’arme à Bruxelles aura mis en évidence, une fois de plus, le manque de volonté de définir une réelle politique commune sur la question. L’Europe veut donner des leçons environnementales au reste du Monde. Mais cet accord affiché cache mal la cacophonie. Ce n’est pas la facture globale de 400 milliards €/an (dont 140 pour la Russie) pour les importations de gaz et de pétrole qui fait réfléchir nos décideurs. Chacun des pays, indépendamment des autres, cherche comment en payer la plus faible part. Cela pourrait se traduire par une stratégie européenne drastique d’économie d’énergie. Des directives vont dans ce sens. Mais, pour l’instant, c’est le mode de production d’électricité et de chaleur qui priment. A l’ouest, les choix varient du nucléaire au gaz de schiste. A l’est (y compris l’Allemagne), le charbon est roi.
Pour l’accord sino-américain, la vraie surprise a été la date de l’annonce. Les chiffres annoncés sont très en deçà de ceux qui permettrait d’espérer un réchauffement d’au plus de 2° en 2100. Cependant, il s’agit d’un premier geste (pardon, d’un premier mot !). Le processus va dans le bon sens.
Des experts chinois affirment que le pic de consommation de charbon en Chine pourrait déjà être atteint en 2020. Difficile à imaginer. Quant aux américains, leur priorité est l’indépendance énergétique. A cela, rien à redire sauf que celle-ci passe par une production forcenée de pétrole de schiste !
Certes, il y a un début à tout. Mais il y urgence, et depuis longtemps …Pour l’instant, trop de questions essentielles restent posées :
- Comment concrétiser les objectifs annoncés ?
- Comment dépasser ces objectifs encore trop timides pour préserver suffisamment le climat ?
- Comment donner les moyens aux pays émergeants pour qu’ils puissent se développer malgré la contrainte climatique ?
- Comment venir en aide et trouver des solutions pour les populations déjà déplacées ou en passe de l’être ?
Il reste un an avant le rendez-vous mondial à Paris sur le changement climatique. Nul doute que d’autres annonces seront faites d’ici là et que cette conférence tentera, comme les précédentes, d’élaborer des accords sur ces questions.
Mais que se passe-t-il en parallèle ?
3°) Des mauvaises nouvelles !
Dans un article du Monde daté du 31/10/2014, « La City parie sur la fin du pétrole cher », Eric Albert rappelle que pour les analystes, la baisse des prix sera durable face à l’essor du pétrole de schiste et à la diminution de la demande de pétrole classique.
On aurait pu croire, grâce à la conjonction d’une augmentation de la demande et de l’augmentation des coûts d’extraction et de production, que les prix du pétrole finiraient par flamber et que les énergies alternatives attireraient les gros capitaux pour se développer massivement. Il n’en est rien !
Les Etats-Unis ont mis le paquet sur les gaz de schiste et ces nouvelles techniques se développent pour les hydrocarbures. Résultat : + 60% en trois ans qui contribuent à atteindre le pic de production américain des années 1970 ! Et leurs importations de pétrole ont été divisées par 3 depuis 2007.
Par ailleurs, les efforts d’économie d’énergie pour les voitures et les bâtiments ont porté leurs fruits et la demande américaine en pétrole baisse alors que la production de brut augmente ...
Par ailleurs, la demande mondiale baisse également, principalement du fait du ralentissement de la croissance chinoise.
A cela, s’ajoutent deux autres facteurs :
- Les technologies d’exploration et de production du pétrole classique en mer profonde progressent vite et les prix de revient de forage laissent suffisamment de marge aux pétroliers.
- L’OPEP s’est contrainte à réagir sans pouvoir réduire leur production pour maintenir haut les cours du pétrole. Face au pétrole schisteux et aux forages en mer, ils sont obligés de réduire les prix pour freiner le développement de leurs concurrents.
Toutes ces raisons expliquent que le pétrole sera durablement abondant et peu cher. Entre 60 et 80$ le baril.
L’Agence Internationale de l’Energie affirme qu’il n’y aura plus de pic pétrolier d’ici 2040. Avec 2 milliards d’habitants en plus et le développement des pays émergeants, la consommation mondiale d’énergie augmentera de 37% (ExxonMobil a calculé + 35%).
4°) Décryptages des mauvaises nouvelles …
Nous allons donc tout droit en 2100 vers +4° ou plus !
Pourquoi ceux qui ont forgé la géopolitique du XXème siècle et qui demeurent plus puissants que les politiques ne continueraient-ils pas ? Total qui n’est que le 5ème pétrolier mondial, s’offre des danseuses pour se peindre en vert : par exemple, ils détiennent 66% des parts de Sun Power, leader mondial du photovoltaïque. Tout en développant l’extraction des gaz de schiste ailleurs qu’en France. Il est vrai qu’entre entre pétroliers, la concurrence est rude …
Heureusement que nous les aidons collectivement. Six éminents économistes rappellent aux dirigeants du G20 réunis les 15 et 16 Novembre à Brisbane qu’il fallait arrêter de subventionner l’exploration de nouveaux gisements d’énergies fossiles (Le Monde du 14/11/2014). Kevin Watkins, directeur de l’Overseas Development Institute (ODI / UK), précise que nous disposons de 2795 gigatonnes de CO2 de réserves connues. En brûlant à peine plus du tiers, nous aurons dépassé le seuil des +2° en 2100. Alors, pourquoi les pays du G20 aident-ils les pétroliers à trouver de nouveaux gisements en leur donnant plus de 70 milliards d’euros par an de subventions par le biais d’allègements d’impôts et par la Banque Mondiale ?
Le rapport de l’ODI pose la question : « si vous tentez de sortir du trou, pourquoi continuez-vous à payer quelqu’un pour le creuser ? »
Imaginez tous les possibles avec cette manne … En taxant un peu le carbone, le marché de l’exploration d’énergie fossile s’écroulerait.
Les décideurs auront-ils un jour le courage de sortir de ces contradictions flagrantes et de passer à l’acte pour une réelle et urgente transition énergétique et économique ?
Bernard Sesolis
bernard.sesolis(at)gmail.com