Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 16 Avril 2020
Du quotidien à « l’après Covid »
Ma cousine est décédée le 9 Avril du Covid-19. L’enterrement était pour le lundi 13 Avril. J’avais rempli consciencieusement mon attestation de déplacement dérogatoire en cochant la rubrique « déplacements pour motif familial impérieux » et pris ma voiture pour me rendre au cimetière de Thiais (94). Mes pensées allèrent à ses proches, puis à quelques amis de longues dates touchés également par la pandémie, mais qui s’en étaient heureusement sortis. Comme beaucoup je suppose, je n’avais jamais ressenti de manière aussi palpable ce danger invisible. Des alentours déserts, un périphérique et la D7 vides en plein après-midi me rappelaient l’étrangeté de certaines toiles de De Chirico et prolongeaient la tristesse du moment. Arrivé au cimetière, proche de l’aéroport d’Orly, je levais les yeux vers un ciel azur sans zébrure, silencieux. Un environnement paisible, sain, joyeux même, grâce aux oiseaux !
La fin de cette pandémie permettra-t-elle de préserver au moins cette qualité retrouvée ? Qu'en sera-t-il de l’« après » ? La question s’est rapidement posée dans les médias. Quel sera le calendrier et le processus ?
Beaucoup s’expriment sur l’avant, le pendant et l’après. Il est difficile d’imaginer globalement l’instant et la suite tant les questions sont nombreuses et ouvertes. Aussi, une lecture est à conseiller concernant une vue d’ensemble et des pistes pour sortir de la crise en corrigeant quelques turpitudes de nos sociétés. Il s’agit d’un certain DSK qui pense et écrit avec talent quand il reste concentré sur des questions politiques. Son article paru dans « Politique internationale » intitulé « L’être, l’avoir et le pouvoir dans la crise » offre une synthèse remarquable de la situation et des axes de réflexions à méditer (1).
Certitude ou incertitude de l’homme politique « le plus (im)puissant »
De la difficulté à décider et à communiquer
Le soir de ce 13 Avril, nous avons eu droit à l’allocution d’Emmanuel Macron. Aucun chiffre, aucune précision hormis la date du début du déconfinement, le 11 Mai. On sentait bien que c’était encore loin « et en même temps », que c’était prématuré. Une sorte de compromis entre l’insupportable et le réalisme. Il fallait à la fois rassurer la population confinée et les entreprises et le marché impatients. Ce ne serait plus très long et à la fois, très progressif. Ne pas trop mentir, pour ne pas trop se tromper. Difficile en pleine « guerre » d’annoncer l’armistice !
Un autre conseil de lecture à ce propos : la très éclairante interview de l’historien spécialiste du conflit 14-18, Stéphane Audoin-Rouzeau « Nous ne reverrons jamais le monde que nous avons quitté il y a un mois » (2). L’analogie guerrière avec la « der des ders » est très bien évitée tout en précisant les difficultés engendrées pour sortir d’un évènement majeur.
Toute annonce dans cet océan d’incertitudes est vouée à l’erreur, à la critique a postériori, à la condamnation. Cela dit, la communication en Février et début Mars concernant d’abord, le potentiel hospitalier, puis les masques et leur utilité, et les tests à venir, fut calamiteuse. On ne manipule pas un virus comme l’opinion publique ! La confiance en nos édiles en a pris un sacré coup.
Par ailleurs, rappeler ou découvrir que les premiers de cordée ne peuvent rien sans les derniers de cordée, qu’un trader a moins d’utilité qu’une femme de ménage, une infirmière, ou un éboueur, que la rémunération ne devrait rien à voir avec l’offre et la demande et devrait être a minima corrélée au bien public fourni, ... c’est bien, bravo ! Il n’est jamais trop tard.
Faudrait-t-il encore que cette leçon soit suivie d’effets dans l’« après ».
Prendre des décisions au quotidien avec des hypothèses changeantes tous les jours doit être un exercice épuisant. La peur de l’erreur est paralysante. La communication est risquée. Cependant, il ne faut pas confondre « erreur » et « biais » comme l’explique si bien Olivier Sibony dans une vidéo accessible sur Youtube (3). Le biais est une erreur inconsciente au moment où elle est faite, souvent d’origine universelle, cognitive. Pour le surmonter, l’auteur prône des méthodes de décisions collégiales, l’évitement d’analogies faciles, l’acceptation de l’incertitude, un constat frontal de la réalité. Dans l’action, il est difficile de prendre en compte les biais, faute de temps, de recul, d’humilité réelle et pas seulement affichée.
Une certitude au moins : nos décideurs publics, loin de satisfaire la majorité, restent moins pires que d’autres élus comme ceux du Brésil, des USA, de la Pologne, de la Hongrie, de l’Australie, …
Le bâtiment « d’après Covid » ….
Nous travaillons dans un secteur non délocalisable mais avec beaucoup d’acteurs délocalisés.
Nous travaillons à construire et rénover des objets dans lesquels les individus sont et seront de plus en plus confinés en temps normal : le nombre d’heures d’occupation augmente. Nous vivons de moins en moins souvent à l’air libre, de plus en plus en site urbain.
Nous travaillons à créer de l’espace urbain, à aménager des territoires avec moins de ressources, moins d’énergie, moins de pollution, ... avec pas plus de contrôle ?
Nous travaillons à ce que les bâtiments dits « durables » respectent ou réparent la biodiversité.
Nous devons travailler à modifier nos modes de vie en priorisant la qualité et non la quantité ou la performance. Ceci, afin de montrer aux hommes et femmes qui aspirent à vivre comme nous qu’ils pourront le faire en sautant l’étape de la gabegie où les pays dits développés se sont fourvoyés en toute inconscience ou insouciance.
Nous devrons travailler à transformer l’incertitude en objectifs, à déconfiner nos biais.
Vaste programme !
- Sur la plateforme - Slate - 7 Avril 2020 - Cliquez ici
- Interviews de Stéphane Audoin-Rouzeau – Médiapart – 12 Avril 2020 - Joseph Confraveux et sur France Culture 15 Avril 2020
- « Prise de décision et biais cognitifs ; l’exemple du Covid 19 » - HEC Webinair Series - Olivier Sibony - Cliquez ici
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers