Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
Je ne citerai plus la COP21 jusqu’à la fin de l’année. Les médias abreuvent ceux qui s’intéressent au changement climatique jusqu’à saturation. Il y aura lieu d’en faire un bilan en temps voulu.
Pour l’instant, mon humeur de rentrée revient sur la question du « tout connecté ». Très prochainement, la connexion tout azimut va revenir en vitrine, Noël oblige. Et tous les fantasmes de l’«intelligence» généralisée et permanente au service du citoyen, la « smartitude » à toutes les sauces vont reprendre de la vigueur. Le futur proposé par quelques très grosses multinationales, trop connues pour être citées, mérite toujours réflexion et doit être examiné à l’aune d’autres démarches, d’autres initiatives totalement à l’opposé de celles attachées à une vision techniciste mondialisée et au business à court terme.
Du bâtiment connecté à la ville connectée, de l’objet connecté à l’individu connecté, tous ces sujets interagissent avec les questions liées aux conforts, à la santé, au bien-être, et au futur de la gestion de l’énergie et des matières premières.
La "smartitude" ou le tout connecté
1/ Le bâtiment à l’heure de l’internet des objets
C’est le titre d’un dossier de la revue Cahiers Techniques du Bâtiment (1) dont je vous recommande la lecture. Il s’agit d’une synthèse de l’offre actuelle en la matière vue sous 4 angles : les technologies, les stratégies, les risques et l’exploitation. Ce sommaire vise à nourrir notre réflexion sur une question centrale posée dans l’introduction du dossier, à savoir : comment réduire les risques liés à la multiplication des services ? Ces risques sont au moins de trois natures : d’abord, un usage abusif des données concernant les occupants d’un bâtiment ; ensuite, les problèmes liés à la pérennité et à la fiabilité d’objets en nombre croissant ; enfin, la profusion d’ondes diffusées par des systèmes sans fil.
La construction et la réhabilitation des bâtiments inscrites dans le développement durable doivent à minima intégrer la maîtrise de ces risques. Mais cela suppose que les acteurs ont ou devront observer de manière distanciée l’offre industrielle foisonnante, florissante, donc envahissante qui, déjà, modifie les comportements des usagers de façon troublante.
2/ Retour sur soi comme sujet normé
Pardonnez-moi ce sous-titre un peu pédant qui tente de résumer un article sur le « quantified self », la mesure de soi (2). Ce mouvement né en Californie en 2007 dans le monde du fitness consiste d’abord à se contrôler en permanence via des objets connectés embarqués sur soi, - montre, vêtements, casque, ... - aptes à mesurer ou à chiffrer en continu les calories brûlées ou absorbées, la tension artérielle, le taux de glucose dans le sang, différents cycles (sommeil, menstruels), voire les ébats sexuels ... Pourquoi pas ?
Certaines de ces informations peuvent être très utiles pour des individus souffrant de certaines pathologies nécessitant une surveillance permanente (diabète, problèmes cardiaques, …). Mais ce mouvement vise d’abord à remplir un contrat avec soi-même selon une démarche ludique : désir de gagner (maigrir, arrêter de fumer, augmenter ses performances, etc ...) et de communiquer via Facebook, Tweeter.
Les adeptes dépassent le stade de l’addiction pour atteindre celui de l’usage compulsif pour se rassurer à tout moment. Les psychologues observent que ce mécanisme intrusif à vouloir reprendre le pouvoir sur soi, à se fixer des objectifs de performance sur des détails et à en rendre compte aux autres par les réseaux sociaux pousse à l’obsession de la norme ... et augmente le stress !
Ceci ne concerne pas qu’une partie marginale de la population. Il faut rappeler que 23% des français ont déjà au moins un objet connecté dont les 2/3 sont liés au fitness. Aux Etats-Unis, le chiffre atteint déjà 50%. Et même si 52% des français sont sceptiques sur ces objets (enquête IFOP/Harris Interactive – 06/2014), les projections pour 2020 annoncent quand même que chaque foyer pourrait posséder en moyenne 30 objets connectés.
3/ Toujours plus !
Si l’inflation ne se résumait qu’au nombre d’objets qui nous entourent et aux risques encourus déjà cités, tout tiendrait dans une sphère où le bien-être actuel et futur appliqué à tous les habitants de la planète se résumerait à des rapports de force entre des intérêts contradictoires : les multinationales et leur offres tentaculaires face aux individus/consommateurs souhaitant préserver leur libre arbitre.
Il faut pourtant encore élargir le champ de nos réflexions vers … l’éthique.
Dans une tribune intitulée « l’humain « augmenté » ad vitam aeternam », le philosophe Jean-Michel Besnier (3) nous interpelle sur ce que le progrès peut offrir pour doter les hommes d’atouts et de qualités dépassant ceux donnés par la nature. Il rappelle que la médecine a évolué, passant du soin à la réparation, de l’absence de maladie à l’obtention du bien-être, de la prévention et de l’explication à la réponse statistique. C’est le triomphe d’une conception mécaniste de l’individu considéré comme un ensemble de « pièces » pouvant être réparées, voire remplacées.
Cette technologisation de la médecine est pour l’instant réservée à certains malades …. et au militaires. Mais selon lui, une transgression s’opère : cette tendance à la fois réelle et forte pousse certains à rêver au surhomme, au « post-homme ». Il ne s’agit plus d’accéder au confort, à la santé, au bonheur, mais se donner des pouvoirs surnaturels : voir la nuit, mémoriser et calculer sans limite, porter des charges inouïes, courir comme un cheval, devenir immortel ou, au moins, vivre très longtemps. Google en parle, investit et travaille sur ce dernier sujet …. Equiper d’exosquelette, modifier par des implants cérébraux, bourrer de psychostimulants, voire intervenir sur le génome (travaux actuels à l’université Sun Yat Sen à Canton, en Chine), voilà quelques voies technologiques concrètes pour accéder à ces superpouvoirs.
Pour conclure cette tribune, J.M Besnier oppose l’«augmentation » à l’amélioration en écrivant : « … D’un côté, les technologies appliquées à l’humain …. mises au service d’une société du « toujours plus », de la longévité sans autre finalité qu’elle-même, de la compétition et de la concurrence. De l’autre, la résolution de ne pas borner la vie à la seule survie, l’existence à l’instinct de conservation, et celle d’inscrire l’inventivité technique dans l’espace d’une humanisation tournée vers la dimension symbolique et culturelle qui traduit depuis toujours le privilège des humains sur les animaux et les dieux ».
Très séduisante conclusion que je résumerais maladroitement par « toujours mieux opposé à toujours plus »
4/ Viser le « toujours mieux »
Comment accepter positivement les évolutions techniques qui, même si on souhaitait les rejeter, s’imposeront.
Cette question est posée dans les réflexions sur les bâtiments et les villes durables. Pourquoi ne pas accepter le « smart » tout azimut si cela privilégie nos libres choix, contribue à améliorer la quotidien, préserve la planète ? C’est aux individus de réagir et d’infléchir le progrès dans ce sens. Comment s’articule cette incantation et nos sujets de prédilection, l’énergie et le confort dans le bâtiment et la ville ?
Les concepts, les expérimentations, les retours terrains sur des projets construits montrent à l’évidence que ce questionnement a déjà eu lieu et qu’il faut l’amplifier. Un exemple probant : l’avènement du Bepos a posé inéluctablement la question de la mutualisation, de l’individu au collectif, de la parcelle à la ville.
Une tendance se fait jour à travers des projets en construction qui seront livrés en 2017 avec des espaces et des moyens de partage (4) : immeuble de bureaux en ilot ou « coworking » pour faire franglais (Ile de Nantes – Unik/Realites/Vinci Immobilier/ Bremond, Paris 19ème – Nexity), conciergerie + séchoir + terrasse collective, rien de nouveau mais un réel renouveau (Paris 17ème- Ogic), salle polyvalente, laverie, chambres d’hôtes , terrasse pour agriculture urbaine (Ile Saint-Denis – Bremond), parkings mutualisés pour résidents et actifs avec gestion des places (réservations, disponibilités) par applications sur mobile = 30% de places en moins, économies sur le foncier et la construction.
Par ailleurs, des habitants aussi prennent les choses en main pour tendre vers ce toujours mieux. Ces actions citoyennes reproductibles sans technologie devraient inspirer les maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre pour que leurs projets induisent, facilitent et pérennisent ces actions. Une simple prise en charge des parties communes par les occupants peut engendrer des économies substantielles, améliorer le cadre de vie et renforcer la convivialité comme cet exemple en HLM cité dans un article du Monde paru cet été (5) et qui peut donner des (bonnes) idées ….
Bernard Sesolis
bernard.sesolis@gmail.com
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(1) « Dossier Bâtiment connecté » Cahiers Techniques du bâtiment n°343, Juin / Juillet 2015, pp. 37-55
(2) « Des chiffres et des êtres », Le Monde, Marlène Duretz, 12 Septembre 2015
(3) professeur de philosophie à Paris-Sorbonne, article du Monde, 2 Septembre 2015
(4) « Logement neuf : la mode des espaces partagés », Le Monde, Laurence Boccara, 15 et 16 Mars 2015
(5) « Les Platanes, résidence HLM et cité radieuse de Lyon », Le Monde, Isabelle Rey-Lefebvre, 8 Août 2015