Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
Cette année 2017 millésime qui va connaître probablement de nombreux chamboulements, marque le début de l’expérimentation du label E+C- [voir (1) et (2) sur le site Xpair] qui risque à terme de modifier profondément nos métiers et de révolutionner la manière de programmer, concevoir, construire et exploiter un bâtiment. Il s’agit ni plus ni moins d’expliciter directement les impacts du bâtiment sur l’effet de serre.
Jusqu’à présent, les exigences réglementaires ne s’appuyaient que sur la question énergétique pour aborder le sujet. Demain, il en sera autrement.
En attendant ce futur radieux, mon « humeur » est allée épier nos deux compères habituels, Bio et Thanato, qui, derrière le bar « Plus de vin, moins de charbon », discutent ferme sur ce nouveau label et sa mise en œuvre.
Extraits :
« Alors, Thanato ! Tu devrais être enfin satisfait de la sortie du label E+C-. Les émissions de gaz à effet de serre seront explicitées. Les bâtiments construits vont répondre sans détour à l’objectif Facteur 4 pour 2050 »
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« Comme d’habitude, Bio, tu t’enthousiasmes un peu vite. On ne peut qu’être d’accord sur le principe »
« Ouais. Mais je vois à ta mine que tu vas bouder le plaisir »
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« Il ne s’agit, ni de cracher dans la soupe, ni de bouder. Mais permets-moi de te dire qu’on va au-devant de pas mal de difficultés d’application et que cette étape reste encore timide face aux problèmes à surmonter et à l’urgence de s’y atteler »
« Mais enfin. Le label n’a pas vraiment démarré que déjà tu le critiques a priori ?… »
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« Comment ça « a priori ». Le cadre, la méthode, les exigences sont maintenant définis. On dispose maintenant de suffisamment d’informations pour se faire une idée de la suite concrète de ce label et des questions qui se poseront inéluctablement. Si je ne saute pas de joie, ce n’est pas par pessimisme, mais par réalisme »
« Il n’y a que ceux qui avancent qui sont critiqués. Les Pouvoirs Publics lancent un truc ambitieux, qui va dans le sens de l’Histoire. Déjà Effinergie vient d’adapter son label en intégrant la démarche E+C-. Les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre vont intégrer le carbone dans leurs projets. Cela va engendrer de nouvelles grilles de décision, faire revisiter le savoir-faire des architectes et des ingénieurs, intégrer plus sérieusement l’exploitation, mais également la santé des occupants, et d’autres critères seront pris en compte, je l’espère, de manière différente que dans des procédures de certifications environnementales, souvent lourdes, coûteuses, et dont l’efficacité reste à prouver »
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« Encore une fois, je ne peux pas être contre ce que tu dis, mais …»
« Mais quoi ? Wait and see ! Quels seraient tes reproches ? »
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« Ce ne sont pas des reproches. Plutôt, des interrogations. Tu le dis toi-même. Il faut attendre, faire et voir. Mais, selon le cadre imposé, -cibles, calculs, exigences-, on peut déjà commencer à en parler, ... si tu le permets. ».
« Comment pourrais-je t’en empêcher ? »
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« Bien. Avant d’entrer dans les détails, la première chose qui me chagrine, c’est le périmètre de ce label. Il reste très calculatoire et très restreint, même s’il parvient à terme à élargir le champ d’action de la réglementation. Des sujets à mes yeux cruciaux ne sont pas traités, ni explicitement, ni implicitement. Par exemple et en vrac : la question du fonctionnement réel du bâtiment, la question des usages et des comportements des occupants, des exploitants, l’impact de la mobilité des usagers liés à l’emplacement du projet et à son environnement, son obsolescence sur plusieurs décennies, sa modularité de fonction dans le futur, ses réactions au changement climatique, ... »
« Stop ! Arrête ! Tu ne parles pas sérieusement ? Comment veux-tu qu’un label, quel qu’il soit, aborde toutes ces questions ? Es-tu capable d’imaginer une méthodologie claire, simple, efficace capable de répondre à toutes ces attentes ? Cela ne m’étonne pas de ton insatisfaction chronique »
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« D’accord. Revenons sur Terre et évoquons l’application du label. Il faut réaliser un bilan Energie, un bilan Carbone et quantifier d’autres critères. Même si ces derniers ne font pas l’objet d’exigences, il faudra quand même se coltiner leurs évaluations »
« Il n’y a rien de mal à demander à un ingénieur ou un technicien de faire des calculs quand même ! Il n’y a rien de mal à leur demander de monter en compétence. Au contraire, il n’est pas imaginable dans un proche avenir de concevoir, dimensionner des bâtiments sans traiter proprement les critères du nouveau label »
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« Oui. C’est indéniable. Mais si ces calculs réglementaires grossissent en volume et en complexité, combien de temps restera-t-il aux maîtres d’œuvre pour concevoir ? Les honoraires vont-ils suivre ? N’est-on pas déjà près du plafond avec la RT 2012 ? Pour l’instant, ceux qui voudront essuyer les plâtres en se lançant dès cette année, ne disposeront que d’outils encore bruts de décoffrage. Aujourd’hui, il n’existe pas d’outil opérationnel permettant de traiter en une seule saisie, l’énergie et le carbone. Pour l’instant, les outils « énergie » et « ACV » sont indépendants et la double saisie est obligatoire. D’où, du temps perdu et des risques d’erreurs plus importants »
« D’accord. Mais il s’agit d’un label. Ce n’est pas une obligation comme un calcul réglementaire. Seuls les volontaires vont s’y coller. Ce n’est pas ce que tu décris qui va les décourager »
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« Certes, on trouvera toujours des « militants ». Mais quel dommage qu’un nouveau label ne sort pas quand tout est vraiment prêt : modules de formation, logiciels opérationnels et testés, cadre d’incitations financières clair et pérenne,…Toujours cette exécrable habitude franco-française de proposer une charrue toute neuve avec un vieux bœuf fatigué. Et puis, le virus du mille-feuille réglementaire a encore frappé. On aurait pu imaginer a minima dans un label qui exige des résultats sur l’énergie et le carbone, que l’équivalence énergie/CO2 allait s’aligner sur la RT 2012 (encore que bien muette sur le sujet) ou sur le DPE (bien bavard, mais avec des conventions précises). Eh bien, non ! Nous voilà avec une troisième grille d’équivalence différente des deux premières. Normal dans le pays aux 300 fromages… »
« Tu pinailles et tu es le premier à dire qu’on ne va pas assez vite, qu’on est trop timide dans les objectifs et le calendrier… »
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« Ah le calendrier ! Parlons-en ! Il est annoncé que ce label préfigurera la future réglementation 2018 (?), 2020 (?). Là encore, il faut revenir sur Terre. Les premiers projets vont être conçus courant 2017, sortiront de terre en 2019, donneront des résultats de terrain (premiers bilans réels exploitables) à partir de 2021. Pour obtenir des résultats un peu représentatifs et sérieux, il faudra attendre 2023-2024. Il suffit d’observer ce qui s’est passé pour le label BBC. Nous sommes dans le monde du bâtiment, pas celui de la com ou de la mode ! L’expérimentation dans le secteur de la construction est un processus qui s’accorde mal avec la précipitation ou les exigences d’un calendrier politique »
« Cela ne veut pas dire qu’il faut être attentiste. Patron, mon lait-fraise s’il vous plaît ! »
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« Et moi, mon bloody Mary ! »
Comme d’habitude, nos deux acolytes sont de parfaits adeptes du verre à moitié plein ou à moitié vide.
La seule chose qui paraît claire, c’est que les acteurs du bâtiment qui traîneront les pieds, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, risquent fort d’atteindre plus vite que prévu leur obsolescence.
En cela, cette évolution de l’architecture et de la climatique rappelle celle engendrée en France par le BIM. Pour l’instant, c’est le grand écart entre le discours et la pratique au quotidien. Il n’empêche que, de manière inéluctable, il faudra s’y mettre…et le plus tôt s’avérera souvent le mieux.
- « L’expérimentation Energie-Carbone ou le label E+C- » - article site Xpair, 1er Décembre 2016 - Nathalie Tchang
- « D’une réglementation thermique à une réglementation environnementale » - article site Xpair - 1er Décembre 2016, Anne-Sophie Seguis
Bernard SESOLIS
Expert Energie Environnement