Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
La RT 2012 en est à la moitié de son espérance de vie. Elle s’est banalisée sans cependant éviter, soit un ressenti d’obsolescence pour ceux qui rêvaient d’une réglementation plus ambitieuse et couvrant plus de domaines, soit un rejet pour d’autres, considérant cette RT trop exigeante, mal calée, trop complexe, sourde à l’innovation. Même des parlementaires se sont penchés sur la question !
Bref, la RT a tort … comme d’habitude. Les critiques sont parfois justifiées, parfois absurdes. La suite annoncée pour 2018 ou 2020 et dénommée pour l’instant « réglementation bâtiment responsable » ou RBR, devra tenir compte de toutes les expériences acquises par la RT 2012 car le risque est grand d’aboutir à une RBR encore plus complexe, donc difficilement gérable, mal appliquée et en conséquence, peu efficace.
Cette humeur tente d’expliquer pourquoi.
1/ De la difficulté à trouver les bons équilibres
Je me souviens du mot de Louis Bertolo, ingénieur au CSTB (1), que j’ai eu le plaisir de côtoyer dans les années 1980-90 : « une bonne réglementation est celle qui mécontente tout le monde de la même manière ».
Les pouvoirs publics, représentés par la DHUP, doivent en effet trouver un équilibre entre une ambition politique et l’intérêt équitable de tous les secteurs de la construction. Exercice de style de haute voltige. Comment satisfaire Jean sans mécontenter Jacques tout en faisant avancer tout le monde ? La RT s’appuie et se structure sur un compromis : trouver la bonne position du curseur entre la nécessité de créer un élan collectif vertueux et les contraintes technico-économiques court terme, autrement dit, le marché, ou plus prosaïquement, les rapports de force sur le terrain.
En France, le mot « compromis » est déjà culturellement vécu comme une tare. Et ce, quel que soit le domaine … On confond souvent compromis et compromission.
Laissons donc ceux qui pensent naïvement (?) qu’on peut, sans contrainte, construire naturellement autre chose que des passoires thermiques l’hiver ou des fours à pizzas l’été.
Faut-il rappeler que, par définition, le marché n’a pas de morale. La performance énergétique est économiquement contraignante dès qu’elle rogne sur les marges des acteurs et des filières.
La RT est un mal nécessaire qui traduit une suspicion : si elle n’existait pas, on construirait n’importe quoi, n’importe comment. Cette supposition n’est pas insensée au regard des attitudes des lobbies défendant leurs intérêts, attitudes qui, par ailleurs, n’ont rien de scandaleuses dans le système économique tel qu’il est.
Laissons également ceux qui pensent tout aussi naïvement que leur niveau d’excellence atteignant des sommets de performance est un modèle que les autres finiront par suivre spontanément. La démonstration est utile mais pas suffisante.
Située entre les croyants d’une RT trop contraignante et trop laxiste, une majorité silencieuse d’acteurs appliquent la RT sans trop de difficultés, même si quelques problèmes persistent. La période de rodage a mis en évidence des habituels manquements, des incertitudes et des complexités difficiles à maîtriser. Rien d’anormal.
2/ De la difficulté à faire simple
Durant la préparation de la RT 2012, pour satisfaire tous les acteurs et toutes les filières, un processus ambitieux a été mis en œuvre : actualiser le moteur de calcul avec une méthode la plus physique possible afin, d’une part, de tendre vers la neutralité entre les nombreux paramètres à prendre en compte et, d’autre part, d’être en capacité d’intégrer facilement des systèmes innovants. L’aboutissement de ce travail s’est traduit par une méthode à la fois équitable et actualisable qui est, finalement, au moins aussi précise et complexe que les outils d’aide à la conception disponibles.
Traiter en régime dynamique le bâti, les systèmes et des scénarios d’utilisation définis à chaque heure supposait un corpus de calcul très élaboré. Les règles Th-BCE 2012 comporte environ 1400 pages. Les algorithmes et le codage du moteur de calcul du CSTB auront été particulièrement délicats à maîtriser. Mais peu importe la complexité d’une méthode si, in fine, elle est simple à l’usage. Et c’est justement son talon d’Achille. La souplesse et les capacités de calcul nécessitent beaucoup d’hypothèses, beaucoup de données d’entrée dont certaines délicates à définir. Pour les praticiens, le temps de saisie a augmenté en moyenne de 10% par rapport à la RT précédente (2005) déjà assez lourde à appliquer.
J’avancerais déjà deux conclusions provisoires :
- le bon compromis entre précision et complétude d’une part, et simplicité d’utilisation d’autre part, est loin d’avoir été atteint.
- l’application de la RT 2012 qui ne traite que 5 postes de consommation énergétique est d’un tel niveau de complexité qu’il faut impérativement tendre vers la simplification pour envisager une future réglementation traitant plus de sujets.
3/ Bilan partial et partiel de la RT 2012 après 3 ans d’application
Sur les consommations réelles :
S’il existe des retours terrain encourageants et très instructifs sur les bâtiments labélisés BBC, il est en revanche trop tôt pour obtenir une image représentative de l’application et des effets de la RT 2012. Pour des premiers PC délivrés en 2013, la construction et la livraison se sont étalées sur 2014-2015. Les consommations constatées in situ durant le premier hiver 2014-2015, période de démarrage, ne sont pas exploitables du fait de la prise en mains des utilisateurs, des équipements, du séchage de la structure. Des premiers bilans solides sont attendus après l’hiver 2015-2016 exceptionnellement doux qui vient à peine de se terminer. Du coup, il sera encore difficile d’en tirer des premières conclusions fiables.
Le recul est donc insuffisant pour dégager les effets réels sur les consommations énergétiques à l‘échelle nationale.
Sur l’évolution des marchés :
Trois années d’application auront été suffisantes pour constater un infléchissement des prescriptions. La RT 2012 a banalisé ou fait émerger des systèmes, techniques et procédés restés jusqu’alors à la marge : isolation thermique rapportée par l’extérieur, traitement des ponts thermiques (déjà banalisés en maisons individuelles), chauffe-eau thermodynamique, pompes à chaleur, chaudières à condensation, … Elle aura également mis fin à l’hégémonie du chauffage électrique direct en logements (2), et laissé stagner le triple vitrage, la VMC double flux ou l’ECS solaire en logements. Elle n’aura pas bloqué l’innovation. La commission titre V a fonctionné et fonctionne bien au regard des nombreux systèmes émergeants ayant bénéficié du feu vert pour être, soit mis en œuvre à titre expérimental, soit intégrés dans les règles de calcul (3). En revanche, s’il faut protéger in fine le « consommateur » par des normes garantissant qu’un produit répond bien à différents critères, il serait très souhaitable de permettre aux PME-PMI d’obtenir à des coûts acceptables l’officialisation des caractéristiques de leurs produits innovants.
Sur les exigences :
En décembre 2014, deux arrêtés modificatifs (4) sont venus préciser ou changer quelques modes de calcul, certaines exigences (ex : surfaces vitrées minimales en logements, comptage,…) et actualiser des paramètres (ex : la notion de surface ; SRT au lieu de SHONRT). Ces modifications montrent que la RT 2012 n’est pas un texte figé. Sans remettre en cause la structure de la réglementation, les pouvoirs publics ont la capacité de corriger les textes initiaux. C’est à la fois rassurant et inquiétant. Rassurant, parce qu’il est reconnu que tout le monde peut se tromper et l’admettre. Inquiétant, parce que changer la règle du jeu est toujours une démarche perturbante pour les applicateurs et les décideurs.
Durant la phase préparatoire, les calages délicats des Bbio max et Cmax ont dû être réalisés à la hâte et quelques exigences présentent encore des scories qu’il faudra traiter…à terme. Par exemple, les maîtres d’œuvre doivent avoir recours systématiquement à la VMC DF en crèche, ou bien encore, le niveau d’isolation des grands bâtiments de logements (grande compacité) est très laxiste.
A ce sujet, des propositions de modulations du Bbio en fonction de la compacité ou de la taille du bâtiment circulent actuellement afin de retrouver un coefficient Ubat digne des années 2010-2020. Je reviendrai sur ce sujet plus loin.
Autre exemple de constat : les bureaux en zone H1/ Br1 sont en catégorie CE1, ce qui, de fait, interdit la climatisation car il est impossible de compenser les besoins de froid par une réduction des besoins de chaud et d’éclairage.
Le choix de l’administration sur cet exemple a donc été de rendre impossible l’emploi de la climatisation d’un bâtiment dans une zone peu bruyante, situation où les utilisateurs peuvent ouvrir les fenêtres en cas de surchauffes intérieures. On peut le regretter ou s’en féliciter.
Mais avec le changement climatique, les besoins de froid en été seront en fortes hausses (+50 à +75% en 2050) et la densification des sites urbains transformera de nombreuses zones calmes en zones bruyantes (catégories Br2 ou Br3).
De nombreux bâtiments non climatisés le deviendront après coup. Plaquer de la climatisation sur un bâtiment non conçu pour, n’est pas pertinent d’un point de vue de l’efficacité énergétique ou de la vertu environnementale.
Avec le recul, on pourrait politiquement choisir de rendre difficile l’emploi de la climatisation, mais pas impossible !
Quoiqu’il en soit, dans la future RBR, si on maintient le principe de différenciation à la carte (5) d’un équipement de production de froid, il faudra actualiser le tableau existant définissant les catégories des bâtiments climatisés.
Sur l’application :
La méthode Th-BCE 2012 est complexe car le sujet l’est ! L’essentiel est que les données d’entrée nécessaires pour décrire un projet soient en nombre raisonnable et assez simples à définir.
La RT 2012 répond mal à ces conditions. Même des BET rompus à l’exercice ont encore des difficultés à définir certains paramètres, ce qui est symptomatique après plusieurs années de pratique.
Parmi les causes à l’origine de ces incertitudes ou de ces difficultés, on trouve la disparition de valeurs par défaut pénalisantes, pourtant bien utiles au stade d’un APS ou d’un APD. Citons quelques sujets particulièrement fastidieux (6) pour illustrer ces difficultés : la gestion des occultations solaires automatiques nécessitant la définition précise d’une matrice, les distributions de chauffage, de froid ou de l’ECS pour lesquelles il faut définir des longueurs, des diamètres, les niveaux d’isolation, les puissances électriques des circulateurs ou de ventilateurs, tous les accessoires (pièges à son, filtres, ….).
Le calcul RT étant difficile, ce sont souvent des BET énergéticiens spécialisés qui assument cette mission sans connaître les caractéristiques définitives de nombreux équipements. Celles-ci sont définies par un BET « fluides », voire l’entreprise …entités différentes du BET énergie.
Un conflit de données peut alors faire capoter la conformité à la RT, notamment si les hypothèses choisies en amont du DCE s’avèrent trop optimistes.
Concrètement, il serait utile de revenir à une meilleure adéquation entre l’avancement d’un projet et le mode de vérification réglementaire.
Généralement, pour des opérations de taille courante (petits ou moyens bâtiments), le BE passe plus de temps à faire des calculs RT que de conception ou de dimensionnement. Etant donné le temps et les honoraires dévolus à ces différentes missions, le calcul RT reste prioritaire au détriment des autres. Dans le secteur habitat en particulier, cette situation nourrit la confusion entre la conception et le calcul RT qui n’est ou qui ne devrait être rien d’autre qu’une vérification administrative.
La conception est souvent réduite à néant, c'est-à-dire à la définition d’un bouquet de prescription permettant d’atteindre la conformité réglementaire ou, dans le meilleur des cas, le niveau de label visé. Après, on passe à un autre sujet …
Aussi, toute tentative d’affiner le Bbio ou le C afin de les rendre plus dimensionnant renforce cette confusion. L’exemple cité plus haut concernant une proposition de modulation du Bbio selon la compacité illustre bien cette culture technique consistant à croire qu’un nécessaire calcul RT est suffisant. Croire également que pour restreindre ou supprimer un niveau de prestation considéré comme impropre pour un bâtiment neuf digne des années 2010-2020, un justificatif par calcul est intellectuellement supérieur à une simple interdiction explicite.
La structure des arrêtés de la RT 2012 est pourtant très bien faite pour. Le titre III impose des prestations ou des valeurs correspondant à une performance minimale aussi bien pour le bâti que pour les équipements car justement,…le calcul ne peut pas tout faire ou le ferait mal !
4/ Faire simple nécessitera un travail de longue haleine
Les travaux préparatoires de la RBR sont en route avec toute une série de sujets pour lesquels seront définis des minima, des niveaux d’exigences quantitatives globalisées ou par thème et qualitatives. L’énergie ne sera qu’une des facettes de ce nouveau cadre d’exigences. Les analyses de cycle de vie (ACV), le bilan carbone, les usages autres que ceux actuellement traités par la RT (électroménagers, bureautique, éco-mobilité,….), le projet de l’étiquette environnementale, la question de la production et de la distribution d’énergies produites sur une parcelle (Bepos, Tepos), la nécessaire adéquation de forme et de fond entre les exigences des constructions et des bâtiments existants, … voilà quelques chantiers à terminer, à poursuivre ou à démarrer !
Ce n’est plus du pain sur la planche, c’est la boulangerie dans son intégralité qui déboule.
Le tout, d’ici 18 mois à 3 ans et demi.
Personne n’aura attendu cette humeur, j’espère, pour prendre conscience que la RBR, joyeusement multicritère pourrait atteindre des niveaux de complexité bien supérieurs à celui de la RT 2012.
Personne ne peut croire qu’en si peu de temps, il est possible de caler des niveaux d’exigence à partir d’une machine calculatoire apte à traiter la majorité des sujets cités, séparément ou mieux encore, de manière interactive.
Personne n’imagine donc un super moteur de calcul se prenant à la fois pour un outil de vérification globale et pour outil d’aide à la conception multi-facettes.
Oui, personne … mais ça me fait du bien de l’écrire.
La marche est haute pour être à la hauteur des années 2020 et après. L’occasion est belle de prendre le temps de repenser entièrement le corpus réglementaire, les expériences de la RT, de la réglementation acoustique, des exigences sur la qualité de l’air intérieur,…puis de simplifier au maximum, … voire « trop » les exigences, les livrables, les modes de contrôles.
Garder les bébés, oui, bien sûr, mais bien jeter l’eau du bain et se donner le temps de le faire plutôt que de rajouter de l’eau dans la baignoire.
Bernard SESOLIS
Expert Energie Environnement
(1) un des principaux contributeurs de la méthode de calcul RT 88 et des labels HPE, THPE et ayant œuvré aux RT 82, 88 et 2000
(2) mais pas du convecteur : 60 millions d’appareils devront être remplacés à terme. Mais par quoi et comment dans les bâtiments où il n’existe aucun réseau de distribution de chauffage ?
(3) liste consultable sur le site www.rt-batiment.fr
(4) arrêtés des 11 et 19 décembre 2014
(5) selon le type d’usage du bâtiment ou de la partie de bâtiment considéré, la zone climatique/altitude et la catégorie de bruit
(6) selon le bureau d’études Tribu Energie
Très très bon article!!!