Par Florence MOULINS, IFFI - INM
L'efficacité énergétique dans la rénovation privée – Comment atteindre les consommateurs habitants ?
L'amélioration de l'efficacité énergétique dans le logement est une nécessité maintenant connue de l'ensemble de la population. Pourtant, si les mesures prises jusqu'à présent donnent des résultats plutôt rassurants, ils ne sont pas pour autant totalement satisfaisantes.
Alors que le rapport remis par M. Philippe Pelletier, relatif à la dynamisation du processus a été présenté, l'association Cap Consommateur Habitant a fait le point le 28 juin dernier sur la manière dont les consommateurs abordent cet enjeu, en croisant les informations de plusieurs enquêtes, dont celle de l'Ademe, au travers du programme OPEN.
En voici les synthèses.
Programme OPEN de l'ADEME
Le programme OPEN Observatoire permanent pour l'amélioration énergétique du logement a été lancé par l'ADEME en 2006 afin de suivre l'évolution du marché de la rénovation thermique dans les logements; le but de l'étude étant de mettre en reflet l'offre et la demande, de déterminer quels travaux pour quels montants. Deux enquêtes de fond ont eu lieu, en 2007 pour les travaux de 2006 et en 2009 pour les travaux de 2008.
Les travaux ciblés sont le chauffage, les ouvertures, l'isolation intérieure et la toiture. Ces travaux représentent en 2006 le tiers des travaux de rénovation, mais 40% en 2008.
Le programme OPEN recherche les niveaux de performance par type de travaux en 3 catégories Basse – 1 étoile correspondant à 1 seul type d'action, Medium – 2 étoiles/2 actions, et Optimum – 3 étoiles/3 actions.
Parmi les résultats de ces enquêtes, on constate qu'en 2008 l'ensemble des travaux, toutes étoiles confondues, augmente. Pourtant, les travaux abordés de manière globale restent minoritaires, ce qui se traduit ainsi : en 2006 comme en 2008, les travaux 3 étoiles sont minoritaires, mais augmentent de 2%, les 2 étoiles restent largement prépondérants, et les 1 étoile représentent environ la moitié des précédents en 2006, mais près du tiers en 2008.
Ainsi, pour atteindre le but fixé par le Grenelle de l'environnement, l'efficacité énergétique de 90% des logements reste à améliorer ; si l'augmentation des travaux 3 étoiles permet d'envisager l'atteinte des résultats, la baisse proportionnelle des travaux 1 étoile reste un point de vigilance.
Sur les 4 postes étudiés, la part des travaux qu'ils représentent en regard de l'ensemble des travaux de rénovation, augmente légèrement, à l'exception du poste chauffage qui lui augmente de façon significative pour rejoindre quasiment le premier, celui des ouvertures. Au sein de ce poste, la motivation directement liée à la performance énergétique représente 45% des travaux, alors que plus de 25% sont la conséquence de la nécessité des travaux.
Le choix des solutions reste majoritairement établi sur le coût, et se trouve en conséquence énergétiquement inférieur à l'optimum. Les raisons invoquées sont les niveaux d'investissement, les autres dépenses prioritaires, le temps à y consacrer.
Depuis 2008, un développement sectoriel a été réalisé. Une segmentation de la demande en termes de revenus, de statuts, d'opportunité de travaux (pourquoi on fait les travaux, équilibre défaillant, rénovation complète, …) a été établie et mesurée au travers de différents critères : confort et sécurité, sensibilité aux nouvelles technologies, connaissance du secteur du bâtiment, environnement, valeur verte (pour la revente par exemple), attitude ostentatoire ou mimétique, inquiétude sur l'avenir (coût de l'énergie dans le futur impliquant la nécessité de minimiser le besoin). Toutefois, il n'y a pas actuellement de prise en compte de la qualité de l'installation et l'écart de consommation d'énergie avant et après travaux n'est pas mesuré.
Les motivations des habitants
« La performance énergétique ne fait pas rêver … »
En conséquence de cette étude, et s'appuyant sur différentes enquêtes, l'association Cap Consommateur Habitant – Habiter au futur, s'est penchée sur les motivations d'achats, ainsi synthétisées.
Pour le consommateur habitant, le secteur de la rénovation privée, tout type de travaux confondus, reste une dépense parmi d'autres ; en effet, avec plus de 10% de revenus en plus, les dépenses sont investies dans les travaux ou les voyages, l'éducation des enfants, les loisirs ou dans les biens d'équipement. Il s'agit donc d'une dépense qui fait plaisir, mais les travaux restent en général en première position chez les quadragénaires en particulier, les jeunes étant plutôt portés avant tout vers les loisirs et les seniors vers les voyages.
Le but premier déclaré du logement est de se retrouver en famille, être libre de ce que l'on y fait et se ressourcer. Ainsi, la traduction « Être bien chez soi », préalable à l'acte d'achat, se décline ainsi : Plaisir – loisirs, réceptions ; Confort – espace, lumière ; Tranquillité – silence, sécurité ; Agrément – Décoration, facilité d'usage.
Si l'on demande ce qui serait souhaité dans un prochain logement, ce sont du confort, de l'esthétique, de l'espace avec ou sans équipements supplémentaires qui sont cités. Précisé en termes de projet à concrétiser c'est le confort au travers de l'espace qui est le plus marquant, avec toutefois une notion indispensable de lumière. La performance énergétique, qui cette fois est citée, n'intervient pourtant qu'en 3° position.
Il en ressort que l'écart entre les attentes des habitants et les propositions d'évolution technologiques de l'habitat en termes d'utilisation d'énergie renouvelable, de domotique et de robotique sont considérables.
Enfin, les occasions de travaux sont relatives aux cycles de vie, et dépendent de la génération dont font partie les habitants et leur situation familiale. Ainsi, parmi les facteurs d'évolution doivent être pris en considération le vieillissement de la population, l'occupation du logement et la composition des familles, l'évolution des activités professionnelles et privées, la nécessité de plus d'espace liée au nombre d'objets possédés.
De même, l'évolution des réglementations dans leur ensemble joue aussi un rôle.
Cette multiplication des facteurs contribue à une complémentarité des services et des sols à rendre à l'occupant, et participe de l'évolutivité du logement.
Pourtant, l'urbanisation a créé une plus grande soif de nature. Cette conscience engendre elle-même la prise de conscience des problématiques écologiques, de ressources naturelles, des problèmes d'énergie et tout le monde est d'accord pour économiser l'énergie.
La maison innovante est conçue comme étant écologique, et l'abord de la diminution de la consommation d'énergie est une priorité pour 85% des propriétaires, sauf si un crédit est nécessaire ; dans ce cas, le taux baisse à 20%. Ceci est relevé également par les résultats de l'enquête OPEN qui montre que les intentions sont plus fortes que la réalité.
Pour répondre à ces comportements, il est donc nécessaire que les investissements soient plus faciles et moins coûteux ; les petits gestes sont perçus comme accessibles, mais l'économie d'énergie est considérée comme difficilement rentable. Le temps de retour sur investissement recherché est de 5 ans, et 80% des travaux concernent autre chose que l'économie d'énergie qui n'en représente que 20% seulement, 40% étant dédiés à la réparation.
Sur les 20% résultant à une économie d'énergie, il s'avère en outre que 55% étaient basés sur une autre priorité et que l'économie d'énergie réalisée n'en a été qu'une conséquence.
Ainsi, parmi les motivations citées, on constate que les travaux sont réalisés dans 46% des cas pour des raisons de confort, 19% pour l'entretien et la mise en conformité, 13% pour faire des économies, 12% pour valoriser son bien, et enfin dans seulement 10% de cas pour des raisons écologiques et environnementales. Alors que pour le chauffage, les travaux sont majoritairement réalisés pour une recherche d'économie d'énergie, les travaux d'isolation et sur les fenêtres sont réalisés pour des raisons de confort environ 2 fois plus que pour l'économie d'énergie.
Parmi les mesures existantes, on constate que la connaissance du DPE est très faible : seuls 27,4% des interrogés sont bien au courant, la domotique est bien perçue, mais uniquement pour la gestion depuis l'extérieur, et 40% ne connaissent pas les incitations financières et elles n'apparaissent pas séduisantes aux yeux des particuliers.
La performance énergétique et la conscience écologique ne font pas rêver, et les souhaits réels sont en contradiction avec elle : plus d'espace et plus d'équipements sont en opposition à plus de nature. Pour autant, l'écart se retrouve dans tous les domaines de la vie : les contraintes et les difficultés de mise en œuvre sont partout, et même un militant écologiste accorde qu'il n peut pas tout appliquer. La connaissance est nécessaire, mais il faut varier les approches pour le passage à l'action.
Enfin, le consommateur n'est pas le seul acteur, et il serait illusoire de s'appuyer sur sa seule volonté. Il faut également prendre en compte la position de l'ensemble des organismes intervenants.
La conséquence de tout cela est que pour faire passer le consommateur à l'acte d'achat, il faut passer de la prise de conscience écologique à l'accroissement du confort chez soi.
Les propositions du comité stratégique plan bâtiment Grenelle
Le constat
Sur les 32 millions de logements privés qui constituent le parc, 8,5 millions sont des résidences en co-propriétés et 17 millions sont des maisons individuelles.
Pour atteindre les 38% de réduction de consommation d'énergie d'ici 2020, il est nécessaire d'envisager la rénovation lourde de 400.000 logements par an entre 2013 et 2020, et la rénovation intermédiaire de 9 millions. Ceci signifie entre autres que la rénovation énergétique dans un mode d'approche global doit être encouragée.
Afin d'y parvenir, des mesures financièrement incitatives ont été mises en place, le crédit d'impôt développement durable (CIDD) et l'éco-prêt à taux zéro (Eco PTZ). Ces deux dispositifs n'ont pas totalement convaincu et ont été réétudiés.
Alors que le CIDD a acquis de la notoriété par son ancienneté, son instabilité rend les utilisateurs rétifs. Après un départ encourageant, l'Eco PTZ a subi un ralentissement essentiellement lié à la complexité de sa mise en œuvre. Par ailleurs, les niveaux d'aides ne prennent pas en compte le niveau d'amélioration de la performance énergétique.
Les propositions
Il a donc été proposé de lier le niveau de l'aide publique au niveau de performance énergétique du logement. Ainsi, en fonction des solutions mises en œuvre, les outils d'aide publique vont prendre en compte leur niveau de résultat. Ceci implique un changement d'approche assez radical en ce sens, ou au lieu de seulement participer, quel qu'en soit le moyen, à la mise en place d'une solution, on recherchera désormais à s'assurer de l'efficacité de la solution, soit savoir d'où l'on vient au travers d'un DPE et où l'on va par une étude réalisée par un professionnel du bâtiment. Ceci sera pris en compte dans le niveau de l'aide.
La proposition relative aux aides publiques se base sur un maintien des 2 procédés, en en modifiant le mode d'application. Le CIDD deviendrait progressif, et l'ECO PTZ aurait un plafond et une durée variables et pourrait être cumulé au CIDD. La condition qui soutiendrait ceci serait l'amplitude des travaux envisagés, en termes de postes concernés ou de performance résultante.
Ainsi, une seule action ferait l'objet d'un CIDD seul alors qu'un bouquet de plusieurs travaux ouvrirait la porte à la possibilité d'un cumul du CIDD et de l'ECO PTZ. Le niveau du CIDD et la durée ainsi que le plafond de l'ECO PTZ seraient fonction des travaux inclus dans le bouquet. Alors qu'un bouquet de 2 travaux conduirait à la possibilité d'un CIDD d'un niveau supérieur au précédent et d'un Eco PTZ d'un plafond de 20.000 euros sur une durée de 10 ans, un bouquet de 3 travaux prédéfinis ou l'amélioration de la performance globale pourraient ouvrir à un CIDD encore supérieur et un Eco PTZ plafonné à 30.000 euros et d'une durée de 15 ans. Toutefois, compte tenu de sa moindre efficacité, le choix d'une seule action donnera l'accès à un CIDD de niveau inférieur à l'actuel.
Par ailleurs, une distinction serait faite entre les logements individuels et les co-propriétés, de sorte à prendre en compte les spécificités de ces dernières.
Les bases d'éligibilité
Actuellement, alors que le CIDD est basé sur des matériels ou équipements mis en œuvre, l'Eco PTZ est étudié au travers d'actions entreprises. La proposition conséquente à leur mise en commun conduit donc à une fusion des critères d'élection, qui serait les actions menées à bien. Celles-ci seraient plus larges et au nombre de 8 ; ce sont l'isolation de la toiture, l'isolation des murs, l'isolation des planchers bas, le remplacement des fenêtres, la ventilation, le chauffage avec ou sans production d'énergie renouvelable, la production d'eau chaude sanitaire avec ou sans production d'énergie renouvelable, la fourniture d'électricité par énergie renouvelable.
Afin de s'assurer que le bouquet de 3 actions citées ci-dessus aboutisse réellement à une optimisation de la consommation énergétique, le choix des travaux qu'il comportera ne sera plus laissé au libre arbitre du consommateur mais prédéfini.
Quant à l'approche relative à l'amélioration de la performance, celle-ci impliquera l'intervention d'un bureau d'études. Le but est d'amener un logement dont la performance initiale est supérieure à 180 kWhep/m2.an à moins de 150, ou à moins de 80 si elle est inférieure.
Les mesures
Enfin une harmonisation des bases du CIDD et l'Eco PTZ permet également d'envisager sa correspondance avec les Certificats d'Economie d'Energie (CEE), et en favorisera l'estimation par les professionnels et en conséquence leur compréhension par les utilisateurs.
Concernant les ménages à revenu modeste, des propositions d'aide en lien avec celles de l'ANAH en particulier au travers du programme « Habiter mieux » ont également été émises.
Le cas particulier des co-propriétés souligné plus haut a également fait l'objet de propositions. Celles–ci sont relatives à l'accès par les co-propriétés à l'Eco PTZ pour les travaux relatifs à la performance énergétique, à l'accès par chacun co-propriétaires au CIDD. La plage d'utilisation de l'Eco PTZ serait liée au maintien de l'application de la règle Th-C-E ex, à l'atteinte des niveaux de performance précités, et géographiquement modulés. De même les audits énergétiques et études thermiques sont maintenus dans le cadre d'utilisation.
Enfin, si l'application en est prévue à partir de 2015, le choix de professionnels qualifiés serait une condition de l'obtention du prêt.
D'autres pistes pour faciliter l'entreprise de travaux de rénovation énergétiques par co-propriétés sont encore à travailler. Entre autres, restent à l'étude la possibilité d'y associer l'accès à un Eco PTZ par logement, de segmenter les travaux par tranches comme d'allonger la durée de l'Eco PTZ collectif afin d'espacer les décisions de travaux et les paiements.
Un plan de sensibilisation et d'information est prévu pour la mise en place de ces actions.
Les attentes
Le but de ces mesures – dont celles ci-dessus ne sont qu'un extrait, est d'aboutir qualitativement à progression franchement marquée de l'efficacité énergétique dans le logement afin atteindre les buts du Grenelle de l'environnement au travers d'une évolution dynamique, d'ajuster le plan d'aides publiques, et d'impliquer les parties prenantes plus amplement et plus simplement. D'un point de vue quantitatif, ce sont 1.400.000 logements qui devraient être concernés, représentant un montant de travaux estimés à 14,9 milliards d'euros pour un investissement d'aides de 2,06 milliards d'euros.
La loi de finance 2012, qui sera présentée en conseil des ministres le 28 septembre donnera le fin mot de la forme du projet.
Conclusion
La nécessité de l'efficacité énergétique dans le logement, enjeu essentiel du Grenelle de l'environnement se double d'un enjeu sous-jacent, celui du passage à l'acte. Certes, la situation est loin d'être stationnaire. Pourtant, même si la sensibilisation a progressé de façon notable, il n'en reste pas moins vrai que les efforts entrepris pour l'atteinte des résultats sont à remettre sans cesse en cause.
La conséquence des actions réalisées n'est pas forcément en résonance avec ceux-ci, elle peut même être intangible ; investir dans un meuble par exemple est visuel, et se mesure dans un plaisir au quotidien. Quid de l'investissement pour la performance énergétique ? Les efforts en ce sens ne sont pas fait dans un but de plaisir, mais parce qu'il le faut. Dans ces cas-là, et c'est humain, le fait de ne pas mesurer, de ne pas factualiser le résultat d'un investissement dès lors qu'il n'est pas lié à un plaisir ou un résultat rapidement visible conduit la volonté à s'émousser.
Ainsi, il est effectivement nécessaire à la fois d'aborder la problématique par le biais de ce qui est réellement un facteur déclenchant l'action, et par la relance systématique et régulière des moyens mis en œuvre pour y parvenir.
Par Florence MOULINS, IFFI - INM, qui intervient au travers de son expérience de plus de 20 ans dans les métiers du froid, du génie climatique et énergétique.
flomoulins(at)yahoo.fr
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LIENS ET SOURCES
Il est vrai qu'il y a parfois un écart entre les attentes des habitants et les possibilités actuelles de la domotique et de l'environnement. Mais les évolutions en cours sont plutôt positives, il faut continuer sur cette lancée! J'apprécie discuter sur ce type de sujet sur mon blog http://www.paca-entreprises.fr/ où j'échange avec les internautes.