Le bâtiment « passif », forcément vertueux ? Un modèle à suivre ?

Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019

Venu d’Allemagne, le label PassivHaus a eu au moins une vertu. Celle de nous réveiller, de nous sortir de notre appétence à la stagnation !


Nous nous prélassions à des niveaux de performance énergétique au ras des pâquerettes dixit la RT 2005, et nous nous apprêtions à la mise en œuvre de labels HPE et THPE à -10, -20, voire -30%. Entretemps et parallèlement, certains ont réagi face à l’avance allemande ou suisse (via leur label Minergie) en créant l’association Effinergie qui créa un label français se voulant à la hauteur de nos voisins.

En Mai 2007, les pouvoirs publics l’ont officialisé : le label BBC était né. Son succès aura dépassé les prévisions les plus optimistes. Ces expériences auront permis d’imaginer une RT 2012 beaucoup plus ambitieuse que celle prévue pour succéder à la RT 2005. Le « passif » est (re)devenu un concept d’où émergeraient inéluctablement la très haute performance énergétique et la vertu environnementale. Le Grenelle de l’Environnement fut explicite : les bâtiments de 2020 seront BEPOS, mais aussi BEPAS !

Autant le premier sigle est compréhensible et enthousiasmant (suivez mon « Maugard »), autant le second reste fumeux. Et pourtant, certains maîtres d’œuvre, architectes, ingénieurs ne jurent que par le « passif ». Certains vont même jusqu’à vouloir promouvoir le label allemand en le copiant/collant dans le contexte français. Un avatar de ce concept s’est même niché dans la RT 2012…


M. BIO

Qu’en penser ? Faut-il faire du « passif » ? Hors le « passif », point de salut ?

Après leurs discussions de comptoirs sur le bioclimatique (« humeurs » d’Avril et Mai 2013), nous retrouvons accoudés au bar du « café des thermiciens, ex vins-charbon », Messieurs BIO et THANATO qui semblent en pleine polémique sur ce nouveau sujet. Tendons l’oreille…..


M. THANATO

Extraits :

« Autant, je pouvais comprendre tes récriminations concernant les discours poussiéreux sur le bioclimatisme, autant je ne te suis pas sur le « passif ». Là, il ne s’agit pas d’un vieux concept mal actualisé. Concevoir un bâtiment sans chauffage ou presque, c’est génial ! Durable dans la performance, économe en énergie, pas cher puisque l’installation de chauffage est incluse dans la ventilation tellement les besoins sont faibles,…. ».

« Arrête ! Tout le monde a compris ! De la compacité + 20 à 50 cm d’isolant partout + des triples vitrages + une VMC double-flux, et hop là, c’est génial ! Mais enfin BIO, n’importe qui peut concevoir un cube hyper isolé, super étanche pour ne rien consommer en chauffage. Tiens, je viens d’inventer le super passif ! 1m d’isolant partout, des quadruples vitrages qui existent déjà, et une VMC triple-flux. Tu ne sais pas ce que c’est ? Moi non plus, mais ça l’air performant … ».

« Stop ! Restons un peu sérieux. Le passif, ce n’est pas seulement ce que tu décris. C’est aussi une démarche sur l’électroménager, sur l’ECS, sur l’éclairage. Tu feins d’oublier qu’un label PassivHaus, c’est moins de 120 kWhep/m².an, tout compris, soit 107 kWhep/m².an avec les conventions françaises. Enlève les 70 kWhep/m².an liés à l’électroménager (moyenne nationale selon l’Ademe), il reste pour un logement 37 kWhep/m².an pour les postes traités par la RT, le chauffage, l’ECS, l’éclairage et les auxiliaires….Tu trouves cela ridicule ? »

« Non bien sûr. Mais à quel coût ? Le paradoxe, c’est que les allemands font peu de PassivHaus vu que leurs coûts de construction ne sont pas éloignés des autres. Les autrichiens en font plus que leurs voisins et les suisses font beaucoup plus de bâtiments labélisés Minergie…simplement parce que dans ces deux pays, les coûts de construction sont beaucoup plus élevés ».

« Tu me parles de coûts parce que tu n’as plus d’arguments techniques ou environnementaux à faire valoir. La vertu, ça se paye. Surtout au début. Crois-tu que nous avons fait du BBC en France sans surcoûts ? Demande aux maîtres d’ouvrage ! Certains se plaignent encore, rien que sur le niveau RT 2012 ! Le passif, n’est pas encore la règle. Mais cela se banalisera vu que c’est la bonne démarche. En plus, cela n’empêche pas une approche bioclimatique à ta manière, c'est-à-dire bien pensée… ».

« Et obséquieux avec ça ! Arrête de me charrier. Si je t’ai parlé des coûts, cela ne voulait pas dire que je n’avais rien d’autre à reprocher à cette démarche si géniale. Je vais t’en mettre quelques couches ».

« Vas-y, ça m’intéresse… ».

« D’abord, un gros souci : le confort d’été. C’est bien joli de réduire les déperditions à presque rien. Mais que se passe-t-il en dehors des périodes de chauffe ? Puis-je te rappeler que pour 2050, les spécialistes des prévisions météo annoncent une baisse des besoins de chauffage située entre 15 à 20% et une augmentation des besoins de froid entre 35 et 70% ! Alors, quand on se targue de faire pérenne ou durable sans s’intéresser à ce qui risque de se passer dans 30 ans, c’est un peu léger pour du « passif », non ? »

« Tu sais ? Même une fenêtre équipée de triple vitrage peut s’ouvrir…Des espaces traversants permettent d’éliminer 90% des surchauffes ».

« Oui, aujourd’hui, et à condition qu’il n’y ait pas de bruits à l’extérieur. Alors, les occupants pourront ouvrir leurs fenêtres pour l’instant,…».

« Et dans le cas contraire, ils ont une VMC double-flux, capable en plus de faire du rafraîchissement via un puits climatique. Tout ira durablement bien ».

« a) faire un puits climatique suppose que le terrain s’y prête ; b) faire fonctionner sa VMC de plus en plus longtemps suppose encore plus de kWh électriques et plus d’entretien, et suppose donc que le portefeuille de l’occupant s’y prête ; c) mettre en avant un bâti proclamé très performant et rattraper ses mauvaises performances de mi-saisons et d’été par un équipement consommateurs d’énergie suppose qu’on ne craint pas les contradictions. Cela fait beaucoup de suppositions ».

« Pour polémiquer, tu te poses là ! Et ton bioclimatisme d’été ? Celui qui, d’après toi, devrait maintenant être prioritaire en conception ? Et les capacités architecturales ? Je maintiens qu’il faut d’abord un bâti intrinsèquement performant avant de penser aux systèmes. Un bâtiment passif, c’est exactement cela !»

« Pas du tout ! PassivHaus, c’est d’abord réduire les besoins de chauffage. Pas améliorer le confort d’été ou valoriser l’éclairage naturel. Et copier ce que font les allemands, c’est tout simplement aberrant. Ils n’ont pas le même climat, les mêmes façons de construire, la même attitude chez eux. Bref, c’est un autre monde. Quand on connait mal un sujet, on a tendance à chercher un modèle clé en main dont on vante ensuite la vertu pour se convaincre qu’on ne s’est pas trompé ».

« Comme si c’était des débutants qui défendaient le passif ! Tu es à court d’arguments pour être si agressif… ».

« Ah oui ? Et bien, je vais en remettre une autre couche : tu rappelais qu’un bâti passif est tellement performant qu’il pourrait presque se passer d’un système de chauffage. Vu ses faibles besoins, l’air est un vecteur de chauffage suffisant. Ce dernier est donc lié à la VMC double-flux. Comme les allemands ont été les pionniers du chauffe-eau thermodynamique, ils ont eu l’idée de créer le système 3 en 1 en couplant une pompe à chaleur air extrait/eau et la VMC double-flux. Une seule machine pour le chauffage, la ventilation et la production d’ECS. L’idée est a priori bonne. Mais, le talon d’Achille d’une telle concentration de fonctions, c’est qu’en cas de problème, plus de chauffage et d’ECS. Bon, d’accord, ce n’est pas pire qu’une chaudière double service. Mais également, plus de ventilation dans un bâtiment très étanche à l’air. A force de vouloir mettre au second rang les systèmes, « vilains » consommateurs d’énergie au profit du bâti passif supposé ne rien consommer, rend ce dernier bien dépendant de la robustesse des équipements ».

« Pourquoi voudrais-tu que le système 3 en 1 soit moins solide qu’une chaudière ? Ta remarque est gratuite ».

« Mais non ! Un système 3 en 1, c’est une PAC. On peut imaginer que son fonctionnement est dépendant d’un bon entretien. La VMC double-flux sans entretien, c’est exclu. Le couplage avec un puits climatique, c’est compliqué. Quand faut-il by-passer le puits, l’échangeur ? Ce n’est pas l’utilisateur qui va gérer ça ! C’est compliqué. La logique de fonctionnement, les réglages, tout ça est complexe, donc fragile dans le temps. On a beau jeu après d’affirmer que le bâti, c’est du costaud alors que les systèmes, c’est la galère…. et donc qu’il faut privilégier l’enveloppe… pour le chauffage ».

« Il ne semble pas que les autrichiens ou les allemands se plaignent de ce que tu décris. Et puis, la démarche du passif, c’est aussi le choix des matériaux, la qualité d’air intérieur. La VMC double-flux permet de ventiler à plus hauts débits sans toucher à la facture de chauffage. Comme d’habitude, tu caricatures ».

« Et toi, tu polémiques. D’abord, le choix de matériaux sains ou écologiques est indépendant de la démarche du passif. Et puis, le choix d’une la VMC double-flux en habitat demande une approche économique …et environnementale un peu sérieuse. Beaucoup de bureaux d’études en sont revenus. Le climat français se prête rarement de manière pertinente à cette technique ».

« Tu me soûles. Je vais prendre mon lait-fraise… ».

« Et moi, mon Bloody Mary ».

Eh bien ! Nos acolytes semblent en parfait désaccord. N’hésitez pas à mettre votre grain de sel dans cette discussion, à mon avis, trop rare dans notre beau pays …

Bernard Sesolis
bernard.sesolis(at)gmail.com

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