Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
La fin 2015 approchant, les médias audiovisuels se sont emparés du sujet de la conférence sur le climat à Paris. Jamais cette question n’a autant envahi l’information. L’actualité est brûlante avec un mois de Juillet caniculaire ou encore le vote de la loi sur la transition énergétique ce 22/07.
Dès fin Juin, 45 pays avaient déjà rendu leur copie sur leurs engagements pour le COP 21, dont la Chine, les Etats-Unis, le Japon, la Corée du Sud, l’Islande, et bien sûr, l’Europe, représentant ensemble les 2/3 des émissions de gaz à effet de serre planétaires.
De quoi être confiant ? La conférence de Paris est bien partie pour afficher un succès et il faut certes s’en réjouir. Mais ne pas s’en contenter car les à-côtés évoqués dans la presse écrite laissent à penser que le chemin à parcourir est encore incompatible avec l’urgence.
1/ Comment passer de l’intention politique à l’action réelle
Le moteur de l’action est la finance. Cette évidence dite, reste à savoir comment la pratiquer.
Dans un récent article1, Dominique Finon, économiste au Cired, fait référence à un manifeste « pour un accord ambitieux et crédible à Paris » en rappelant que, pour parvenir à faire des choix rationnels, il faudrait théoriquement un prix du carbone mondial qui se base sur un système d’engagements contraignants et de quotas d’émissions échangeables entre tous les pays. Mais selon lui, aucun accord n’est possible sur cette base car le Congrès américain ne l’accepterait pas et les grands pays émergeants pourraient alors justifier leur défausse ... Une idée qui avance est celle d’un mécanisme de politiques volontaristes sans contraintes mais avec la mise en place de contrôles. A l’origine de cette démarche, les deux poids lourds, américains et chinois, qui se sont rencontrés en Novembre 2014. In fine, non seulement rien ne peut se décider sans eux, mais ce sont ces deux grands empires du XXIème siècle qui font et défont pour les besoins de leur très grande alliance 2.
Et Dominique Finon, conclut qu’une politique pays par pays d’adhésion progressive et de renforcement des engagements volontaires se fondant sur une solide coopération financière nord-sud est préférable à un accord ne reposant que sur des engagements contraignants. Ce point de vue semble déjà se concrétiser par des affichages de calendriers proposés par certains pays, bien timides par rapport aux urgences.
La France, pays d’accueil de la COP 21, se devait de montrer l’exemple.
La loi de transition énergétique exprime une volonté. Elle provoque pour certains, une gêne provisoire qu’ils espèrent voir disparaître avec le possible changement de majorité en 2017…, pour d’autres, un agacement devant tant de laxisme écologique.
Nous y reviendrons, surtout que le bâtiment est très sollicité (en particulier sur la rénovation énergétique obligatoire dans les logements avant 2025 …). En outre, le gouvernement est revenu sur la taxe carbone en fixant des objectifs ambitieux : la tonne passerait progressivement de 22 € à 56 € de 2016 à 2022 pour atteindre 100 € en 2030. Cette évolution serait gérée chaque année dans le cadre du budget 3.
2/ Et sous le « terrain » …
Certains faits viennent un peu plomber l’effervescence politique du moment.
Parlons du charbon par exemple. Il a reçu déjà trois gifles 4 :
- l’essor du gaz de schiste. Aux Etats-Unis, le charbon a été détrôné dans les centrales électriques en perdant 14% de sa part en 2014
- la baisse des consommations en Chine (pour les 5 premiers mois 2015, -38% par rapport à 2014). La pollution des villes est devenue une obsession pour le PC chinois.
- des politiques de désengagement vis-à-vis du combustible le plus carboné.
La troisième gifle devrait théoriquement être la plus douloureuse. L’Allemagne commence à revenir sur sa position charbonnière suite à sa sortie du nucléaire; la Californie projette une loi obligeant les énormes fonds de pension à vendre leurs parts de sociétés charbonnières. Le parlement norvégien a entériné le 5 Juin 2015, la décision de retirer son fonds souverain du charbon. Ce fonds, le plus gros au monde (793 milliards d'euros), contrôle 1,3 % de la capitalisation boursière mondiale et va se désengager des entreprises minières ou des groupes d'énergie pour lesquels le charbon représente plus de 30% de l'activité ou du chiffre d'affaires 5.
La campagne mondiale de désinvestissement des compagnies charbonnières, mais également pétrolières et gazières, a débuté dans les grandes universités américaines. L’argument est simple : les énergies fossiles sont responsables de 67% des émissions de gaz à effet de serre et selon une étude de l’University Collège de Londres, ne pas dépasser les 2° de réchauffement en 2100 obligera à renoncer au 1/3 des réserves de pétrole, à la moitié des réserves de gaz et à 82% de celles du charbon 6.
Mais tous ces chiffres sont à relativiser. Cette troisième gifle est encore une pichenette sur un brontosaure ! 220 institutions se sont désengagées du charbon, soit une perte de 50 milliards € pour ce secteur … qui représente encore 5 000 milliards € en bourse ! Néanmoins, le charbon n’a plus la cote. La crise de surproduction et son recul semblent durables et les financements pour obtenir un charbon plus propres se raréfieront à terme.
Quant aux pétroles et aux gaz, ils se donnent en spectacle avec des prix qui jouent au yoyo, plutôt à la hausse ces derniers mois malgré une surproduction 7. L’OPEP n’a pas gagné la bataille des parts de marché - pétrole conventionnel / pétrole de schiste -. La spéculation brouille le jeu comme d’habitude. Les cours restent aussi très dépendants du marché américain d’une grande volatilité, surtout depuis l’avènement du schiste, véritable fausse solution à tout développement viable. A ce propos, la langue de bois des producteurs est édifiante. Ecoutez par exemple l’interview matinal de Gérard Mestrallet, PDG d’Engie sur France Inter le 23 Juillet, ardent défenseur des énergies renouvelables et d’un tarif mondial du carbone mais qui botte en touche la question posée sur le gaz de schiste ...
3/ Et sur le « terrain » …
Les énergies renouvelables souffrent du ratio « espoir / déluge » 8 qui exprime qu’elles ne bénéficient que du ¼ des investissements de ceux dédiées aux énergies fossiles.
Mais de nombreuses initiatives viennent éclairer un peu ce paysage. Par exemple, les chinois ont réaffirmé fin Juin leurs engagements de Novembre 2014 9 : 20% d’énergies « propres » en 2030 (y compris les barrages controversés et le nucléaire) et une forte incitation au photovoltaïque : les compagnies rachètent au triple du tarif consommateur l’électricité solaire, et l’Etat subventionne la différence. Au cours du seul 1er trimestre 2015, la Chine a installé plus de capteurs photovoltaïques que le parc français ! Avec un rythme moyen annuel de 14 GW supplémentaires, la Chine s’affichera avant le COP21 comme n°1 mondial (45 GW installés) devant l’Allemagne. Par exemple, au beau milieu du désert du Tenggar, au nord-ouest de leur territoire, une centrale photovoltaïque vient d’être installée sur 390 ha et pourra générer 150 MW de puissance électrique.
Mais, derrière ces chiffres impressionnants se cachent à la fois le syndrome « espoir / déluge » et un surprenant amateurisme de planification et de déploiement industriel qu’on n’observerait pas dans les filières énergétiques classiques. Songez ! Les usines produisant les capteurs sont en surcapacité (le n°1 mondial Suntech a été racheté après son dépôt de bilan), les infrastructures et en particulier les réseaux n’arrivent pas à suivre le rythme, les coûts de raccordements sont exorbitants car les installations solaires et éoliennes sont majoritairement à l’ouest et la population principalement à l’est ... et en plus, le lobby du charbon veille aux grains au sein du PC chinois.
Résultat : une production non connectée aux consommateurs. Bienvenue chez les shadocks dont une des devises est : « s’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème » !
Peut-être serait-il utile de citer un proverbe chinois : « gouverne-toi bien pour gouverner le monde ».
Oui. Quels que soient les accords pris au COP 21, le chemin sera encore long. Seulement 35 ans nous séparent de l’objectif pour diviser a minima par 2 les émissions de gaz à effet de serre. Il suffit d’aller vite …
Bonnes vacances aux aoûtiens !
Bernard Sesolis
bernard.sesolis@gmail.com
- (1) « Un accord sur le prix du carbone est impossible », Le Monde, 10 Juillet 2015
- (2) « Economiquement incorrect », Eric Le Boucher, Edition Grasset, 2005, pp.37-41
- (3) « Ségolène Royal se résout à une vraie taxe carbone », Le Monde, Pierre Le Hir, 24 Juillet 2015
- (4) « Charbon : noir, c’est noir », Le Monde, Denis Cosnard, 2 Juillet 2015
- (5) www.lemonde.fr/energies/article/2015/06/05/le-fonds-souverain-norvegien-se-desengage-du-charbon
- (6) « Energies fossiles : stop ou encore ? », Le Monde, Simon Roger, 19 Mai 2015
- (7) « Malgré une offre abondante, le prix du pétrole remonte », Le Monde, Jean-Michel Bezat, 21 Mai 2015
- (8) « Humeur » de Mars 2015
- (9) « La Chine tapisse son désert de panneaux solaires », Le Monde, Harold Thibaud, 3 Juillet 2015