Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 25 Septembre 2023
Nous avons vécu une période estivale comme celle que vivrons habituellement nos enfants et leurs enfants. Un partage intergénérationnel dont ils se seraient bien passés. Les records sont faits pour être battus. Nous avons encore été gâtés cette année.
Tout le monde s’accorde maintenant sur les faits. Quant à trouver des solutions et des actions efficaces pour atténuer le changement climatique, il y a bien une instance internationale politiquement la plus neutre possible rassemblant toutes les compétences en la matière, le GIEC, pour dresser un état des lieux et pour proposer des recommandations à tous les décideurs de la planète. Nous savons ce qu’il faut faire en priorité et ce qu’il faut arrêter de faire au plus vite.
Le GIEC, c’est un peu comme Wikipédia, une connaissance collective partagée et contrôlée, un savoir d’accès gratuit, un bien commun unique. Les décideurs devraient s’appuyer sur ce consensuel. Mais certains font la moue comme les dictateurs (dont le nombre augmente !) qui se permettent tout, en particulier d’être dans le déni, et ceux vraiment élus, à peu près convaincus, mais qui traînent les pieds de peur de ne pas se faire réélire.
Comment ne pas sombrer dans l’éco-anxiété ?
2023, un été du milieu du 21ème siècle
Allez ! Quelques chiffres pour nous faire peur.
53,3° aux USA dans la Vallée de la Mort (normal diriez-vous), 52,2° à Sanbao (Chine), plus de 43° durant 31 jours consécutifs à Phoenix (USA), 50° en Iran, 38° en Argentine un 1er Août (c’est l’hiver là-bas). Et puis, de nombreux phénomènes extrêmes sur toute la planète, comme par exemple au Canada où les mégafeux ont démarré dès le mois de Mars : 1 000 foyers actifs ont ravagé 150 000 km² et les 600 foyers encore hors contrôle ont tendance à s’autoalimenter … Un milliard de tonnes d’équivalent CO2 ont déjà émis, soit 2 fois plus que le total annuel des émissions canadiennes.
Par ailleurs, des précipitations record dans des zones très peuplées (Inde : 884 morts le 27 Juillet, Pékin : les chutes de pluie les plus denses depuis 140 ans, le tout récent drame en Lybie). Selon Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’ONU, « L’ère du réchauffement climatique est terminée, place à l’ère de l’ébullition mondiale ». [1]. Glaçant !
Quant au bassin méditerranéen, c’est l’une des zones très peuplées qui se réchauffe plus vite que la moyenne mondiale. Cet été aura été le siège d’évènements pas attendus avant 2050. Les canicules auront été observées dans les airs avec des températures de 47 à 49° dans de nombreuses villes, mais aussi dans les eaux (température médiane record à 28,7° le 24 Juillet, voire 30 à 32° autour de l’Italie et à l’Est de la Tunisie, soit 6° au-dessus des « normales ». Résultats : une mortalité massive d’espèces marines [2]. En Grèce, aux épisodes caniculaires s’est ajoutée le 5 Septembre une précipitation de 750 mm en 18h.
Selon l’Institut Européen Copernicus, la période de Juin-Août est la plus chaude jamais enregistrée. Il se pourrait que 2023 soit une année record.
On décide quoi dans la vie réelle ?
Le 29 Août, une rencontre a été organisée par le Medef entre le climatologue Jean Jouzel du GIEC, et Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies. Un compte-rendu a été rédigé par un collectif de 8 responsables du PS (qui, malheureusement n’a pas de leçons écologiques à donner au reste de la classe politique). Ce compte-rendu a au moins le mérite de résumer la situation et les états d’esprit [3]. Quand Jean Jouzel a avancé que « pour limiter le réchauffement à 1,5°, nous n’avons plus que 5 ans d’émissions au rythme actuel », Patrick Pouyanné lui a rétorqué « Cette transition … prendra du temps. J’assume de poursuivre mes investissements pétro-gaziers car la demande croît. Je respecte l’avis des scientifiques, mais il y a la vie réelle ».
Cette vie réelle, ils la connaissent tous les deux. D’un côté, le changement climatique et ses conséquences déjà désastreuses et de l’autre, le train plus cher que l’avion, la forte dépendance à la voiture individuelle, les rénovations énergétiques trop lentes des bâtiments, les banques françaises championnes du financement des énergies fossiles, la pub massive pour les SUV électriques, etc, etc, …
Cette même vie, Jouzel la déplore et Pouyanné s’en contente ! Pour ce dernier, les dividendes des actionnaires, un buisines-plan générant des profits considérables pour une toute petite minorité de la population, voilà la vraie vie !
La justification de la position de TotalEnergies est d’affirmer que tout est lié à la demande, en poussant sous le tapis tout ce qui structure, organise, encadre, formate cette demande. Nous serions, toutes générations confondues, des gros beaufs, ou aspirerions à le devenir ?
P. Pouyanné est trop intelligent pour le croire mais trop cynique pour dire autre chose. Il est (énormément) payé pour. Il devra cependant s’inquiéter de la « vraie vie » car aux USA, l’État de Californie vient de lancer une action en justice contre cinq géants du pétrole pour leur rôle dans le réchauffement climatique. Il les accuse d’être à l’origine de milliards de dollars de dégâts et d'avoir caché volontairement les risques liés aux énergies fossiles. La Californie vise la création d'un fonds pour faire face aux dégâts futurs.
Et le personnel politique, que croit-il ?
La puissance publique aura à choisir rapidement entre Jouzel et Pouyanné. Le compromis n’est pas possible.
L’échéance 2027 arrive au galop et le RN se sent pousser des ailes. La récente prise de position de ce parti donne des sueurs chaudes. Le député RN Thomas Ménagé déclare le 21 Août sur France-Inter que le GIEC « a tendance à exagérer » ou encore, Marine Le Pen au mois de Mai considère que « le GIEC a toujours été alarmiste. C’est normal quand on a toujours le nez dessus, vous avez tendance à alerter et alerter, donc à être un peu pessimiste ». [4] Peut-être extrapole-t-elle son attitude sur l’immigration …
Ces nouveaux « experts » déboulent avec leur bon sens, celui du schématisme et de l’incompétence du débutant. Les « solutions » du RN reposent sur un technicisme assez naïf et toujours avec les mêmes leviers comme l’analyse Noël Mamère [5] : opposer le « bon sens » rural et « l’écologie punitive » des décideurs urbains, des bobos, des écolos de tous poils, des intellos. D’un côté, les « petites gens », patriotes et ruraux, gilets jaunes, et, face à eux, les urbains mondialistes, cosmopolites, LBGT, … La haine de l’écolo est un bon marqueur comme l’a cultivée à une époque une partie des militants de « Chasse-pêche et traditions ».
Les solutions du RN ? Une suite de clichés pour ratisser au plus large. Que feraient-ils au pouvoir ? Comme leurs amis idéologiques Trump, Bolsonaro, Poutine, et autres dictateurs ? Voilà bien une expérience à ne pas tenter. Les enjeux sont trop importants et trop complexes à traiter pour jouer à cette roulette russe (sic !).
Et les responsables actuels ? On peut déjà noter une violence sans précédent de la répression contre les militants écologistes et la récente dissolution du mouvement « Soulèvement de la Terre ». Ce sont pourtant des militants de cet acabit qui ont depuis 50 ans fait bouger les lignes et remporter quelques victoires significatives, comme le rappelle l’historien Jean-Baptiste Fressoz [6].
Grâce à leurs actions, un certain nombre de projet extravagants ont été abandonnés dans le domaine du tourisme, des transports ou de l’énergie : 2 stations de skis dans le parc National de la Vanoise, un mégacentre touristique dans les gorges du Verdon, des pistes climatisées à Europacity à Gonesse (65), un surfpark avec une piscine de 150 m de long avec génération de vagues à Saint-Jean de Luz (64) à 1 km de l’océan, une A45, doublon de la A 47 entre Lyon et Saint Etienne, l’arrêt de l’extraction de gaz de schiste en Occitanie, l’arrêt de la mise en place d’une mine d’or en Guyane. Certains contestataires ont payé de leur vie ces victoires : Vital Michalon en 1977 - projet de centrale nucléaire à Creys-Malville (38), Rémi Fraisse en 2014 au projet de barrage de Sivens (81).
On décide quand ?
La condescendance du gouvernement vis-à-vis des mouvements citoyens et associatifs est significative. Loin du « l’environnement, ça commence à suffire » de Nicolas Sarkozy après le Grenelle de l’Environnement en 2007, les décideurs actuels affichent néanmoins assez peu d’enthousiasme pour prioriser la loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) affichant la stratégie française en la matière, avec pourtant quelques bonnes idées sur lesquelles nous reviendrons, projet présenté par la Ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, le 12 Septembre. D’autres lois vont passer au-dessus de la panière. Une première lecture sera peut-être assurée début 2024 … Voilà une urgence urgemment traitée.
Sans majorité à l’assemblée et après avoir brulé trop de cartouches 49-3, le gouvernement va peut-être découper ce projet en thèmes plus simples (simplistes ?), plus « clairs » pour freiner les velléités du RN [7].
Bref, que des considérations à court terme, comme d’habitude. Le politicard l’emportera une fois encore sur le politique et l’action du gouvernement prendra l’allure de l’inaction.
- « Un été marqué par des évènements extrêmes » - Le Monde - 8 Septembre 2023 - Matthieu Goar
- « En méditerranée, le calvaire de la crise climatique » - Le Monde - 28 Juillet 2023 - Audrey Garric
- « Entre Jouzel et Pouyanné, l’Etat doit choisir » - Le Monde - 14 Septembre 2023 - Collectifs de 8 responsables du PS
- « Le RN s’en prend encore au GIEC » - CheckNews – Libération - 23 Août 2023 - François Vaneeckhoutte
- « L’écologie du bon sens de l’extrême droite est un danger » - Le Monde - 24 Août 2023 - Noël Mamère
- « Les luttes écologiques tombées dans l’oubli » - Le Monde - 13 Juillet 2023 - Jean-Baptiste Fressoz
- « L’avenir incertain de la loi Energie-Climat » - Le Monde - 14 Septembre 2023 - Matthieu Goar et Perrine Mouterde
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers