Par Olivier PAPIN - Ingénieur INSA Energie Environnement du BET ECIC
Comme cela est exposé dans l’article « Impact carbone de la construction d’un bâtiment » du 1er février 2011, les émissions de GES liées à la construction d’un bâtiment sont dues au chantier lui-même mais elles découlent aussi de l’usage du bâtiment, c’est à dire de ses consommations énergétiques futures voire des futurs déplacements engendrés. Les choix constructifs et les performances énergétiques ont donc des conséquences à court terme lors de la construction du bâtiment mais également à long terme pendant toute sa durée de vie. Cet article analyse le cas réel de la construction d’une habitation bas carbone, mise en chantier fin 2012 et terminée en 2013.
Caractéristiques de la construction étudiée
Le chantier étudié est celui d’une maison individuelle située en banlieue urbaine ayant lieu en 2012 et 2013. Cette habitation a une surface de 155 mètres carrés (135 mètres carrés habitables plus garage de 20 mètres carrés). Elle est constituée de deux niveaux (R+1) et inclut notamment trois chambres, deux salles de bain ainsi qu’une piscine extérieure en maçonnerie.
Cette construction a été conçue dans une optique bas carbone : son ossature est en bois et son chauffage sera effectué à l’aide de granulés de bois. Non soumis à la RT2012, les niveaux de consommations sont équivalents à ceux de bâtiments BBC (Rtoiture = 8,75 m².K/W, R murs = 6,9 m².K/W) seule la perméabilité à l’air n’a pas été traitée spécifiquement.
La maison a été envisagée selon deux optiques :
- Utiliser du bois d’œuvre permet de limiter les consommations de béton mais le bois présente également l’avantage de stocker le carbone.
- Le poêle à granulés constitue un système de chauffage émettant nettement moins de GES que les énergies fossiles (électricité, gaz, fioul) pour produire un kWh utile.
Les présents calculs sont basés selon les factures du chantier et sur une petite étude thermique pour l’évaluation des consommations puisque il n’y a pas encore de recul sur une consommation annuelle.
Emissions du chantier
Les données prises en compte pour le calcul des émissions sont celles de la démolition initiale (énergie, déchets), du fret des matériaux et de leur fabrication. Par ailleurs, les émissions dues au traitement des déchets directs ainsi qu’à leur fret ont été comptabilisées.
Total des émissions
Au total, le chantier a entrainé l’émission de 62 tonnes CO2 équivalent soit les émissions d’un français pendant sept ans. Les émissions se répartissent selon le profil suivant.
Part de chaque poste dans le total des émissions du chantier
Bien que les déplacements de personnes sur le chantier n’ont pas été affectés (car inclus dans le fret des matériaux car les artisans ne possédaient qu’un seul et même véhicule), cette répartition des émissions par poste montre que ce profil est représentatif du Bilan Carbone® d’une construction au regard des profils dégagés par ECIC dans ses précédents Bilans Carbone de chantiers (présentés dans le graphique suivant). En effet, près de 90% des émissions du chantier sont causées par les intrants (matériaux et services).
Conscient de cet impact, le choix de la construction bois a été effectué et a permis les économies d’émissions de gaz à effet de serre détaillée ci après.
Détail des émissions par lot
Au total, nous avons calculé que le chantier a provoqué l’émission de 62 tCO2e (tonnes équivalent CO2) dont 55 proviennent de la fabrication des matériaux utilisés pour la construction. Les données et leurs émissions calculées ont été réparties par lot. Les facteurs d’émissions utilisés sont issus du tableur Bilan Carbone®, du Bilan Produit et de calculs réalisés par notre bureau d’études.
Les lots les plus émetteurs de GES sont le Gros œuvre et l’Isolation / doublage. Ces deux lots représentent 50% des émissions totales du chantier.
Afin de pouvoir comparer les émissions de la construction de l’habitation à des valeurs nationales, nous avons calculé les ratios suivants : La maison pesant environ 146 tonnes, sa construction a nécessité l’émission de 400 kgCO2e par tonne de maison et en termes de mètres carrés habitables, 380 kgCO2e par mètre carré ont été émis.
Stockage de carbone
Du fait de son ossature bois et des différents éléments de mobilier en bois (escalier, dressing, isolation en laine de bois, parquet), ainsi que de la terrasse, nous pouvons calculer les émissions compensées par le stockage de carbone. Il s’élève à 26 tCO2e, soit 43% des émissions liées à la construction de la maison. On peut donc considérer que ce puits de carbone compense une part importante des émissions du chantier et que dans cette optique, les émissions nettes du chantier ont atteint 36 tCO2e seulement.
Bilan des émissions de la construction et du stockage de carbone en tCO2e
Le choix du bois a donc permis de stocker près de 43% des émissions liées à la construction de la maison et réduit également son impact global par substitution de matériaux plus émetteurs (blocs de maçonnerie par exemple).
Les impacts positifs de la construction bois ne se limitent cependant pas au chantier puisque il est intéressant de constater que les bâtiments à ossature bois sont plus économes en énergie. Cette économie d’énergie permettra donc des économies sur le futur chauffage de la maison.
Consommations énergétiques
Nous avons calculé par une approche thermique que les consommations énergétiques futures sur la base d’une durée de vie de 30 ans (valeur de référence). Le chauffage au poêle à granulés permettra de consommer annuellement 17 kWh par mètre carré. Ainsi, seulement 39 kWh d’électricité par mètre carré seront consommés par an.
24 kgCO2e par an seront émis par l’utilisation du poêle à bois et la consommation d’électricité entrainera l’émission annuelle de 380 kgCO2e. Ce dernier résultat a été obtenu en formulant l’hypothèse forte d’un mix électrique national identique à celui de 2013 durant 30 ans.
Il est difficile de prévoir quelle sera l’évolution du contenu carbone d’un kWh électrique dans les trente années à venir en raison des divers facteurs qui influencent le mix énergétique : l’augmentation de la consommation d’électricité mais aussi les moyens utilisés pour la produire. Les estimations des émissions liées aux consommations d’électricité sur 30 ans sont donc fortement incertaines et visent surtout à établir un ordre de grandeur par rapport aux émissions du chantier.
Emissions liées à la consommation d'énergie pendant 30 ans en tCO2e
Cette estimation nous montre que les émissions du chantier représentent plus de 100 ans de consommations énergétiques en termes d’émissions en tCO2e.
Emissions en tCO2e (30 ans)
Bilan année 1 en tCO2
Chauffer l’habitation avec le poêle à granulés de bois implique un gain carbone important par rapport à d’autres scénarios énergétiques qui ont pu être envisagés : « tout électrique » et « chauffage au gaz ».
Répartition des émissions liées aux consommations énergétiques (dont pompe piscine)
Le chauffage au poêle à bois permet d’émettre 34% de Gaz à Effet de Serre en moins que dans le scénario « tout électrique » et plus de deux fois moins que dans le scénario « chauffage au gaz ».
Il est à noter que le scénario « tout électrique » peut voir son bilan encore plus dégradé si on prend en compte une évolution du facteur d’émissions de l’électricité différent du mix énergétique actuel (facteur d’émissions marginal).
Impact carbone lié à la localisation de l’habitation
Un autre déterminant important de l’empreinte carbone d’une maison est sa localisation. En effet, cet élément aura un impact direct sur les émissions du chantier à travers le poste Fret mais il influera également à long terme sur les émissions liées aux déplacements quotidiens des habitants.
Nous avons simulé les déplacements quotidiens (hors vacances) des deux habitants adultes de la maison étudiée et il en ressort que ces déplacements causent des émissions de GES à hauteur d’environ 1,5tCO2e par an.
Il faut souligner l’accessibilité des transports en commun (bus, tram) depuis la maison et la facilité du déplacement à vélo du fait de la proximité du centre de l’agglomération. De ce fait, les habitants se déplacent majoritairement en voiture mais également en bus, en tram et à vélo. Ce « mix » de modes déplacements employé pendant 30 ans permettrait d’éviter, dans ce cas, l’émission de plus de 20tCO2e par rapport à une situation où les habitants utiliseraient exclusivement la voiture.
Cet exemple nous montre qu’au delà de l ‘éco-conception du bâtiment lui même, il est fondamental de prendre en compte la localisation de la future habitation afin de donner les moyens aux habitants d’avoir des modes de déplacements éco-citoyens.
Conclusion
Nous avons exposé que l’empreinte carbone d’une construction dépend d’une part des émissions de GES de son chantier et de sa performance énergétique et d’autre part du mode de vie de ses habitants. Ce dernier facteur est surtout lié à leurs déplacements quotidiens or les modes de déplacements sont conditionnés par la localisation de la maison.
La construction de maisons à ossature bois possède ainsi l’avantage d’avoir un bilan carbone de construction plus faible que celui des maisons à constructions traditionnelles (béton). Le chantier étudié a causé l’émission de 62 tonnes CO2 équivalent de manière absolue.
Par ailleurs les maisons à ossature bois présentent l’avantage d’être des puits de carbone. La construction étudiée permet un stockage de carbone à hauteur de 26 tCO2e via l’ossature et des éléments de mobilier en bois.
Les choix énergétiques des habitants sont également déterminants : Cette habitation a été conçue pour être sobre en termes de consommations énergétiques grâce à son isolation en laine de roche et laine de bois et l’équipement de chauffage constitué d’un poêle à bois. Avoir fait le choix du poêle à bois au lieu d’un chauffage électrique permet d’éviter l’émission de 140 kgCO2e par an. En outre, choisir un chauffage au gaz aurait entrainé l’émission de 480 kgCO2e supplémentaires.
Le choix de la localisation de l’habitation est également important puisque elle peut conditionner les modes de transport des habitants. Le cas étudié est celui d’une maison en banlieue proche à proximité d’une ligne de tramway et de lignes de bus. Les habitants se déplacent en voiture mais aussi en transports en commun et à vélo, ce qui permet un gain carbone de plus de 500kgCO2e par rapport à une situation où ils se déplaceraient exclusivement en voiture.
Si le cas présenté est vertueux sur le plan de son Bilan Carbone, Il faut toutefois garder en tête que la réhabilitation énergétique de bâtiments existants peut dans certains cas être une alternative plus intéressante en termes d’émissions de GES que la démolition / reconstruction. De plus, même si le gain carbone des consommations d’énergie est moindre dans l’habitation rénovée que dans la maison neuve, le différentiel d’émissions de la démolition / reconstruction et / ou des déplacements des habitants peut compenser ce gain si la maison neuve est éloignée du centre-ville sans desserte par les transports en commun.
Par Olivier PAPIN
Olivier PAPIN, Ingénieur INSA – Energie et Environnement – assure des missions d’audit énergétique et bilan carbone pour les collectivités publiques et les sociétés privées.
Il est également formateur spécialisé Bilan Carbone et intervient pour le compte de l’ADEME
www.bet-ecic.fr
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