Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
Il est encore temps de souhaiter aux fidèles de Xpair et, en particulier, à vous qui avez la patience de me lire, un millésime 2018 propice à la réalisation de toutes vos attentes … dans la limite du raisonnable. Sachant que ce « raisonnable » n’est synonyme, ni de tiédeur, ni de lenteur. Les évènements de l’année 2017 ont montré combien ce « raisonnable » doit s’appuyer sur des modifications profondes et rapides de comportements, sur des remises en cause, et ce, suivant un calendrier qui se resserre. Le changement climatique ne nous attend pas.
Rejoignons nos acolytes Bio et Thanato qui continuent à se chamailler près du bar « Moins de vin, moins de charbon ».
Il semble qu’ils discutent sur l’actualité récente et sur les annonces pour 2018.
Extraits :
B : « Tu es prêt pour la RE 2018 annoncée ? »
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T : « Pourrait-on pour une fois discuter sérieusement ? Imagines-tu que la RT 2012 va être enterrée cette année ? Et même dans deux ans ? »
B : « Serais-tu devenu un adepte de l’immobilisme ? Je ne pense pas que cette annonce ait été faite par de doux rêveurs. Il y a urgence à avancer »
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T : « Evitons la polémique pour commencer. L’habitude des calendriers non tenus s’est instaurée. Des annonces sont faites. Elles sont politiquement vertueuses compte-tenu du travail à fournir d’ici 2050 pour minimiser de futures catastrophes. On se drape d’un voile écologique et de modernité, on bombe le torse en fustigeant ceux qui auraient l’audace d’en manquer justement … »
B : « Ca y est ! Les grandes phrases creuses ! Arrives-en aux faits, s’il te plaît »
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T : « Les faits ? C’est la politique du cocotier. Nos décideurs passent une partie de leur précieux temps à penser qu’il faut muscler les discours pour secouer les états d’esprit, bousculer les habitudes et faire avancer le schmilblick. Ce jeu a montré ses limites et a fini par lasser »
B : « Pourrais-tu être plus explicite ? De quoi parles-tu à la fin ? »
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T : « J’y viens. Dans la mise en place de contraintes réglementaires, deux camps s’opposent traditionnellement : d’un côté, les décideurs publics et sa cheville ouvrière, l’administration, de l’autre, les acteurs de la construction … »
B : « … Tu ne vas quand même pas me ressortir la ritournelle du politique contre les acteurs de terrain, de l’élite contre les gens, du jacobinisme contre les régions, etc…! C’est un peu éculé et réactionnaire. Le changement climatique est à l’œuvre et ce n’est plus le moment de s’arrêter à des petits calculs, à des intérêts corporatifs, à jouer petits bras, au complot. Où veux-tu en venir ? »
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T : « On se calme. Ce que je veux dire, c’est que, a priori, du côté des politiques, les positions sont cohérentes, c'est-à-dire, intellectuellement explicables. On a le droit de ne pas y adhérer et de nous exprimer régulièrement par nos votes. Du coup, les décisions politiques et leurs calendriers changent avec le changement de décideurs. N’étant, bien heureusement, pas en dictature, nous sommes par conséquent amenés à suivre des chemins qui varient selon les élus. Le « camp » politique est solide seulement en apparence car il n’est pas pérenne. La décision est éphémère, variable. Caractéristique peu adaptée aux questions long terme »
B : « Bon. D’accord. Mais tu peux être plus concret ? »
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T : « Je vais te donner 3 exemples. Le premier concerne la loi de la Transition Energétique pour la Croissance Verte (TECV) d’Août 2015. On devait passer de 75 à 50% la part du nucléaire pour la production d’électricité d’ici 2025. Les nouveaux décideurs élus en 2017 ont repoussé l’échéance à 2030, ou plus tard… Une façon d’enterrer un réel et significatif décollage des énergies renouvelables en se drapant dans l’argument du carbone. C’est vrai ça, on en n’avait pas du tout conscience du carbone avant 2017 … »
B : « Arrête ! Quel rapport avec la RE 2018 ? »
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T : « Je te parle de calendrier, pas du contenu de la future réglementation. J’en viens au deuxième exemple : l’annonce en 2013 de la surveillance de la qualité de l’air ambiant (QAI) dans les établissements recevant du public (ERP). Celle-ci devait entrer en vigueur prioritairement dans les crèches, écoles maternelles et élémentaires dès début 2015. Puis s’étendre progressivement, tous les deux ans aux autres ERP. Cette obligation traitant de santé publique a pourtant été repoussée début 2017, puis à nouveau début 2019 !!! Paraît-il que, les acteurs ne sont toujours pas prêts et qu’en plus, cela coûte cher…
Il est vrai que l’incidence financière de la mauvaise QAI dans les bâtiments ne coûte en France que de l’ordre de 12 milliards € par an. Pourquoi se presser donc ? »
B : « N’en rajoute pas. Et le troisième exemple ? »
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T : « Eh bien, là, oui, il y a un rapport avec la RE future, … sans millésime précis.
Un arrêté du 24 Décembre 2017 prolonge une nouvelle fois la dérogation dont bénéficient les logements en immeubles collectifs dans la RT 2012. Jusqu’au 31 Décembre 2019, ces bâtiments pourront continuer à consommer, en moyenne, 57,5 kWh ep/m².an alors que tous les autres bâtiments soumis à la RT 2012 ne doivent pas dépasser la moyenne de 50 kWh ep/m².an depuis 5 ans.
Pour rappel, cette dérogation promulguée dans le premier arrêté RT d’Octobre 2010 devait disparaître au 1er Janvier 2015. Puis, cette échéance a été repoussée au 1er Janvier 2018. Nous y sommes, mais c’est encore trop tôt. Il faudra attendre le 1er Janvier 2020 pour qu’un m² de logement en collectif ne consomme pas plus qu’un m² en maison individuelle ! »
B : « Tu connais l’explication. Dans les logements neufs, c’est souvent l’ECS la plus consommatrice parmi les 5 postes traités par la RT. Deux solutions émergent pour alléger ce poste et passer sous le Cmax : le solaire ou le chauffe-eau thermodynamique (CET). En immeuble, il n’est pas toujours possible d’installer du solaire, surtout en site urbain. Reste le CET collectif. Or, en 2010, l’offre industrielle concernant le CET n’existait que pour des installations individuelles. L’administration a alors donné 4 ans pour que la filière industrielle puisse mettre au point et organiser cette offre, seule solution a priori apte à répondre aux exigences de la RT 2012 dans des conditions économiques acceptables »
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T : « Oui. C’est une des raisons. Et que s’est-il passé depuis fin 2010 ? Un nombre restreint d’industriels se sont mis à la tâche. Il s’agissait ni plus, ni moins d’adapter une PAC collective air/eau pour la transformer en CET collectif. Rien d’innovant ou de révolutionnaire.
Eh bien 8 ans n’auront pas été suffisants. Il faudra patienter encore 2 ans ! Cocorico ! »
B : « Certes, c’est curieusement lent »
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T : « Non. C’est juste une image du rapport de force entre les politiques qui veulent imposer sur la durée alors qu’eux-mêmes ne durent pas et les lobbies du bâtiment et de ses industries, qui eux durent …
On peut résumer la situation par « cause toujours ! ». En arriver là après 5 années d’application de la RT 2012 avec les progrès enregistrés sur tous les composants impliqués dans la performance énergétique, isolants, vitrages, chaudières, PAC, etc… et leurs banalisations qui entraînent une baisse des coûts pour répondre à la RT. Trois présidents de la République pour pouvoir disposer d’un CET collectif ! Pathétique »
B : « Tu as tort d’attaquer les acteurs de la construction. Vois comment ça bouge du côté de l’expérimentation E+C-. Tout juste un an après son lancement, des labels s’appuyant sur son référentiel ont fait leur apparition. Des opérations sortent de terre. Surtout des logements et même des immeubles collectifs. Aux 80 bâtiments déjà recensés s’ajouteront peut-être près de 1 000 expérimentations d’ici la fin de l’année »
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T : « Puis-je calmer un peu ton enthousiasme ? La plupart des premiers bâtiments E+C- sont de niveaux E2 et E3 et pratiquement tous en C1. Cela signifie que ces expériences plutôt performantes en énergie (entre -10 et -30% par rapport au niveau RT 2012 avec une production minimale d’électricité issue du PV) restent modestes en carbone. Globalement, ce n’est qu’un petit démarrage, et ce malgré quelques très rares opérations exemplaires E4-C2 (1) »
B : « Toujours aussi râleur ! Tu ne vois que du négatif. Admet enfin que les choses bougent ! »
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T : « Indéniablement. Mais, mon propos ne concerne que l’incompatibilité entre les annonces et les calendriers décidés par les Pouvoirs Publics et la vitesse à laquelle les acteurs de la construction souhaitent que ça bouge. Souvent, les lobbies déclarent que tout va trop vite, qu’il faut laisser du temps aux acteurs pour s’adapter à des exigences de plus en plus ambitieuses, et par conséquent, trop coûteuses. C’est probablement ce qu’on va entendre dans les mois et les années qui viennent avec l’avènement de la future RE »
B : « En quelque sorte, une situation habituelle. C’est le rôle des décideurs publics de tirer tout le monde vers le haut »
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T : « Certes ! Mais, parfois, ils ont du mal … Par exemple, à partir du 1er Janvier 2018 s’applique la nouvelle mouture de la réglementation dans l’existant, élément par élément. Il aura fallu 10 ans pour actualiser les exigences. Celles-ci sont d’une incroyable timidité, voire d’une médiocrité suspecte (2). Les nouvelles résistances thermiques minimales pour les travaux d’isolation pourraient faire croire qu’en dix ans, le secteur des matériaux isolants et des systèmes d’isolation n’a rien fait. Tu veux isoler tes combles perdus ? Avant, on imposait un R mini de 4,5. Et bien, dorénavant, il faudra un R d’au moins 4,8. Une révolution ! Et à partir, de 2023, on passera à 5,2. On en frémit dans les chaumières ! Surtout que depuis pas mal d’années, on installe 30 cm d’isolant ou plus, soit un R de l’ordre de 7 et plus … »
B : « D’abord, tout le monde ne va pas jusque-là et c’est peut-être l’exception … »
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T : « … qui confirme la règle. Tiens ! Un autre exemple : les COP minimaux des PAC sont les mêmes qu’en 2007 ! Ici encore, on se demande ce qu’a fait la filière industrielle en dix ans. Pourtant, en consultant les catalogues, on trouve à des prix acceptables des PAC avec des COP nominaux bien supérieurs aux valeurs 2,7 et 3,2 »
B : « Mais alors ? Tu te plains que les règlementations sont, soit annoncées trop tôt, soit qu’elles arrivent trop tard ou sont trop laxistes. Bref, jamais content »
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T : « Peu importe mes humeurs. Admet que ces situations sont symptomatiques des rapports de force entre tous les protagonistes du processus de mise en place des réglementations. Et que, selon les sujets, cela va trop vite ou trop lentement … »
B : « Trop par rapport à tes convictions »
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T : « Non. C’est juste un constat. Trop précipité pour la construction et trop laxiste pour l’existant. Je n’ai dit pas que c’est globalement trop lent ou trop rapide. J’affirme que c’est incohérent et que cette incohérence n’est que la traduction des intérêts contradictoires des lobbies. Le problème de fond est que cette incohérence se retrouve dans les décisions politiques. Le « en même temps » est un outil politique, pas une politique … »
B : « Ouh là ! Pente glissante ! Arrêtons-là. Patron, mon lait fraise, et pour mon voisin, son habituel Bloody Mary ! »
Laissons là nos deux piliers de bistro. Nous suivrons en 2018, l’évolution du marché du tout connecté, les applications de l’intelligence artificielle dans les domaines du bâti et bien d’autres questions comme par exemple, la prochaine mouture de RT globale dans l’existant.
Quant à la RE, qu’elle sorte en 2018, 2020 ou plus tard, elle sera toujours à l’image de ce rapport de force entre décideurs et acteurs de la construction. L’expérience E+C- permettra de sortir une nouvelle réglementation à n’importe quelle date puisque le référentiel allant du niveau E1 au niveau E4 donne un éventail très large. En outre, le niveau C2 est loin d’être généralisable. Si les pouvoirs publics sont pressés (par qui ?), une RE 2018 ou 2020 ne dépassera pas un niveau E2C1, même si certains sont déjà capables d’atteindre des E3 ou E4, parfois avec C2. Il serait bon d’enterrer la RT 2012 avec une RE montrant que la construction est sur la bonne trajectoire pour 2050.
- Bureaux « LowCal » - Voir l’article de Thierry Rieser (Enertech) sur Xpair - 1er Décembre 2017
- Arrêté du 22 Mars 2017 modifiant l'arrêté du 3 Mai 2007 relatif aux caractéristiques thermiques et à la performance énergétique des bâtiments existants.
Bernard SESOLIS
Expert Energie Environnement
Et oui, la France cause et n'agit pas. Cette future réglementation va faire bien des déçus. Parions qu'aucun système de production ne sera obligatoire et que le niveau E2 de l'expérience E+C- sera la norme ! Vous penser positif? vous ne serez même pas passifs…
Bien entendu le monde entier nous enviera cet exploit RT2012 -10% pour l'habitat! (Le -30% s'applique aux bâtiments tertiaires pour lesquelles la RT 2012 avait été particulièrement bienveillante!)