Par Alain GARNIER - Directeur Scientifique et Innovation - BE GARNIER Ingénierie des Fluides
La distribution d’air dans les piscines doit conduire à un confort de qualité pour les occupants et ce dans un contexte sanitaire certain. Or, il m’a semblé indispensable d’écrire cet article car trop de piscines que je visite ont leur distribution d’air mal réalisée par méconnaissance du sujet ce qui pourtant peut avoir des conséquences désastreuses.
Il ne sert à rien d’avoir mis en place un traitement d’air performant si le dernier maillon de la chaîne que représente « la distribution d’air dans la piscine » est mal réalisée avec comme conséquence : un confort thermique et sanitaire déplorable et une pérennité du bâti en jeu.
PS : Le présent article fait suite à une chronique intitulée « La piscine de demain sera passive pour être ludique et consommer moins »
→ Lecture recommandée : La piscine de demain sera passive pour être ludique et consommer moins
LA PRISE EN COMPTE DU BATIMENT
Une piscine est faite pour durer 40 ans malgré des conditions particulières d’humidité et de chloramine, avec un renouvellement des équipements techniques tous les 20 ans compte-tenu d’un fonctionnement de 8300 h par an.
Pour que ce type de bâtiment soit pérenne et que ses installations techniques restent efficaces et peu énergivore durant leur cycle de vie, il faudra que la piscine soit construite avec certaines règles qui leurs sont propres : - Résistance thermique des matériaux d’isolation permettant d’être supérieure au point de rosée et de combattre le rayonnement froid – Matériaux hydrofuges et non hygroscopiques - Faux-plafonds ventilés.
Pour y parvenir :
→ Lors de la phase « Avant-Projet Détaillé », il faudra se fixer des objectifs de consommation d’énergie et d’eau sous forme d’indicateurs de performances et prévoir de réaliser une Simulation Thermique Dynamique (STD) afin de les vérifier. Il faudra aussi examiner les impacts de l’isolation thermique, le confort des baigneurs et des spectateurs (hiver et été), les mouvements d’air pour ne pas impacter le confort notamment sanitaire des usagers.
→ Lors de la phase « Réalisation », il faudra prévoir de réaliser un contrôle thermique des parois isolées et ponts thermiques à la caméra infrarouge, ainsi qu’un test d’infiltrométrie. Ce dernier point est important sinon la déshumidification thermodynamique ne se mettra pas en route autant que prévu (6 000 à 6 500 h/an) et le gain d’énergie escompté ne sera pas réalisé.
→ Lors des phases « Réalisation », il faudra prévoir de mettre en place un plan de comptage, lequel permettra d’assurer que les indicateurs de performances imaginés lors de « l’Avant-Projet Détaillé » permettront d’obtenir les consommations d’énergie et d’eau souhaitées. Il faudra prévoir aussi un suivi au stade « Maintenance - Exploitation » afin d’assurer un maintien et une optimisation des performances.
LA PRISE EN COMPTE DE LA FREQUENTATION
Une piscine n’est utilisée que 40% à 55% du temps et les consommations d’énergie et d’eau sont très liées à sa fréquentation. En période d’occupation, il faudra donc prévoir la mise en place de systèmes auto-adaptatifs en fonction de la fréquentation - Exemple : tripode pour FMI relié à la gestion technique, renouvellement d’air en fonction du C02, extraction de la trichloramine en fonction de son taux recommandée par l’ANSES (0,3 mg/m3), contrôle que renouvellement d’eau minimum (30 l/baigneur) en fonction du FMI, etc.
En période d’inoccupation, on pourra prévoir de diminuer les besoins thermiques et frigorifiques en recourant à la mise en place d’une couverture thermique sur les bassins, surtout nordique (extérieur). Ce qui permettra d’avoir moins d’évaporation à l’intérieur de la halle bassins ; on pourra ainsi réduire le renouvellement d’air ainsi que le chauffage. Seuls les installations de déshumidification thermodynamique resteront en fonctionnement, leur régulation agira sur la puissance en froid en fonction du point de rosée - ce qui permettra une réduction importante de la consommation d’énergie et d’eau durant les périodes d’inoccupation tout en préservant le bâtiment.
LA PRISE EN COMPTE DE LA FREQUENTATION
Compte tenu des surfaces des plans d’eau et de la fréquentation du public, ce poste représente bien souvent la plus grosse consommation d’énergie, aussi il faudra chercher à la réduire en priorité. Comme évoqué précédemment, la première mesure consistera à recourir à l’utilisation d’une couverture thermique sur les bassins.
Du fait de la multiplicité des problèmes à résoudre : l’évaporation est différente en cours de journée entre les zones sportive et ludique, l’extraction de la trichloramine, le confort des baigneurs situés sur les plages proches des vitrages, les spectateurs habillés dans les gradins, la surchauffe parfois d’été, la condensation parfois dans le faux-plafond top fermé, les économies d’énergie, on ne pourra faire autrement que de créer des microclimats dans ce volume immense et de grande hauteur que représente la halle des bassins.
Dans les grandes piscines, on sera amené à installer deux types de centrales de traitement d’air.
La première, fonctionnera en déshumidification thermodynamique pour maintenir une humidité constante, quel que soit les conditions atmosphériques extérieures. On essayera quand il y en a plusieurs, de les affecter par zone : sportive et ludique par exemple.
La seconde, fonctionnera en chauffage et déshumidification complémentaire par modulation du débit d’air neuf avec un minimum de 100 m3/h baigneur (et non 30 m3/h baigneur si l’on est avec le chlore comme désinfectant). Ces centrales de traitement d’air seront équipées de récupérateur d’énergie à haut rendement sensible (batterie d’eau glycolée). Pour déshumidifier et obtenir un free cooling suffisant en été, on essayera quand il y en a plusieurs, de les affecter par zone : gradins, sportive et ludique par exemple.
Toutes ces centrales de traitement d’air seront classées ERP 2018 : elles seront sélectionnées à faible vitesse de passage pour offrir moins de perte de charge et ainsi augmenter le rendement de filtration et thermique avec moins de consommation électrique et de bruit. Elles seront équipées de moteurs IE2 équipés d’un variateur de vitesse que l’on pourra piloter grâce à la GTC.
La régulation contrôlera l’humidité absolue (g/kg as) plus précise que celle relative (%).
On extraira la trichloramine - gaz lourd et donc dangereux pour les nageurs et les MNS – grâce au déplacement et à l’extraction d’air chargé de vapeur d’eau et de trichloramine au niveau des plages.
Une déshumidification sera rendue nécessaire du fait de l’évaporation de l’eau. Pour récupérer cette évaporation sous forme de condensat, on fera passer l’air dans des batteries froides de CTA, lesquelles comporteront en plus un système de pré-refroidissement et de post-chauffage.
L’air chargé passera ensuite dans une batterie froide pour y subir une déshumidification thermodynamique. Cette déshumidification permettra en plus de piéger la trichloramine grâce aux condensats, à raison d’1/3, puis de les rejeter dans les EU.
L’air extrait, et débarrassé d’une partie de la trichloramine grâce une déshumidification thermodynamique, sera devenu sec. Il sera ensuite réchauffé en raison de la chaleur de réjection venant du groupe de production d’eau glacée pour la déshumidification. On aura ainsi valorisé cette énergie fatale (énergie normalement perdue).
L’air vicié, humide et chargé de trichloramine sera rejeté en toiture de façon à être rapidement dilué par le vent. On vérifiera qu’il n’y ait pas d’ouvrants ou de prises d’air neuf à proximité.
Ensuite, il sera soufflé au pied des vitrages en hiver, au moyen de diffuseurs dans les plages de façon à contrer le rayonnement de parois froides qui aurait pu créer un inconfort aux baigneurs surtout ceux mouillés (-6°C que l’air).
Les gaines de distribution (soufflage, reprise d’air) seront recouvertes d’une isolation thermique d’un très bon rendement.
Les plages en plus d’une pente permettant une évacuation rapide des eaux d’égouttage, comporteront un plancher chauffant pour les assécher au plus vite et éviter qu’elles ne soient glissantes. Ce chauffage permettra d’améliorer le confort des baigneurs qui ne ressentiront pas l’effet froid du contact humide de plages mouillées (-6°C que l’air).
LA PRISE EN COMPTE DU CONFORT
Si on distribue l’air comme d’habitude, on créera un inconfort.
Halle des bassins – Coupes en long
La chaleur montera inévitablement en sous toiture parfois elle-même ensoleillée (stratification ±1,2°C par m/hauteur) en augmentant les déperditions et donc les consommations d’énergie thermique. Les spectateurs situés au niveau haut des gradins seraient dans une ambiance inconfortable - trop chaude - trop humide.
Il faudra absolument prévoir de traiter ce problème :
On veillera au confort des spectateurs habillés qui sont dans les gradins en créant un microclimat.
Une partie des CTA de la zone sportive sera dédiée aux tribunes. On pourra ainsi renouveler l’air des spectateurs plus précisément et en fonction du rejet de leur CO2 tout en leur assurant une ambiance confortable et différente de celle du hall des bassins.
En période d’occupation, on maintiendra la température et l’humidité de la halle des bassins, quel que soit les conditions atmosphériques extérieures (pluie, brouillard), à un niveau de 15 g/kg d’air sec (27°C et 67% d’humidité relative), correspondant à la fois au confort hygrothermique des baigneurs ainsi qu’à la pérennité du bâtiment.
La zone ludique dégageant plus d’humidité à cause des projections d’eau (jeux, égouttage d’eau fréquent sur les plages par les enfants, etc.) et entourée de vitrages, sera privilégiée en air sec grâce à la déshumidification thermodynamique.
En période d’inoccupation, on descendra la température à environ 15°C et l’humidité du hall des bassins au-dessus de son point de rosée.
Halle des bassins - Coupe en large
Seul le plancher chauffant continuera de fonctionner de façon à pouvoir relancer le chauffage le lendemain matin en très peu de temps. Le traitement sera maintenu à son minimum nécessaire de façon à éviter la condensation
LA PRISE EN COMPTE DE LA SANTE
Si on distribue l’air comme d’habitude, on continuera d’avoir des risques de santé dues principale au dégazage de de trichloramine dans la halle des bassins.
Ce composé, qui est à l’origine de l’odeur caractéristique des halles bassins, est généré par la réaction entre des matières organiques (sueur, salive, etc.) avec le chlore utilisé sous différentes formes pour la désinfection de l’eau. Sa présence se décèle surtout dans les piscines ludiques (jets d’eau, cascades, jeux d’eau divers).
La trichloramine, un agent très irritant et peut provoquer des irritations oculaires, cutanées et respiratoires, des rhinites et des asthmes, ces deux dernières pathologies pouvant être reconnues comme maladies professionnelles.
La trichloramine qui dégaze des bassins est un gaz lourd qui reste en surface de l’eau et se répand sur les plages.
La diffusion d’air chaud devant les vitrages entraîne par induction cette trichloramine en hauteur ou elle se répand dans tout le volume de la halle des bassins et parfois dans les gradins où se trouve les spectateurs si la distribution d’air a mal été étudiée.
Là aussi, il faudra absolument prévoir de traiter ce problème :
Il vaut mieux avoir une bonne efficacité de distribution d’air qu’un fort taux de brassage d’air (nécessaire qu’en été pour le free cooling) qui risquerait de répandre la trichloramine dans toute la halle bassins. Pour y parvenir, nous extrairons la trichloramine par bassin (sur de faibles distance) et par déplacement d’air à faible vitesse V ≤ 0,15 m/s pour ne pas augmenter l’évaporation d’eau.
Halle des bassins - Coupe en large
Au passage dans les centrales de traitement d’air thermodynamique, 1/3 de la trichloramine sera récupérée dans les condensats évacués sur le réseau EU. L’air qui poussera la trichloramine vers les points d’extraction sera également soufflé à faible vitesse sur les plans d’eau pour ne pas la répandre dans toute la halle bassins (shaker).
On extraira la trichloramine en partie basse de la halle des bassins avant qu’elle ne se répande trop sur les plages.
Par Alain GARNIER
Directeur Scientifique & Innovation - Bureau d'Etudes GARNIER Ingénierie des Fluides
SOURCES ET LIENS
www.be-garnier.fr
alain.garnier@be-garnier.fr
→ Prix de l’Eco-Efficacité, catégorie « Projet » en 2009, décernée par Ademe, Effinergie, CSTB, CoSTIC, Cegibat, ICO, CFP à Lille.
→ Trophée GAZosphère 2012 - Prix de la technique décerné par GRDF.
→ Prix de l’innovation sponsorisé par le CSTB dans le cadre du Festival FIMBACTE 2015
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