Eau chaude sanitaire : de sérieuses pistes d’économie d’énergie

Par Bernard Reinteau, journaliste

Au fil des réglementations thermiques, l’eau chaude sanitaire a pris une part croissante parmi les cinq usages intégrés dans le calcul réglementaire. Cegibat organisait, le 23 mars dernier, un débat consacré à cet enjeu que représente la maîtrise énergétique de l’eau chaude sanitaire. Les participants ont livré de sérieuses pistes d’amélioration parfois inattendues, en matière d’économie d’énergie.

Débats CEGIBAT

Participants :
Dominique Cena – président de Cena Ingénierie
Olivier Guillemot – gérant du bureau d’études Polenn
Pascal Housset – gérant de Realitherm et responsable de l’UECF-FFB de Seine-et-Marne
Michel Lefèvre – directeur de Nath Ingénierie
Anne Lefranc – ingénieur service Bâtiment, Ademe
Olivier Broggi – responsable Efficacité énergétique, GRDF Cegibat


Après s’être préoccupés pendant des années des déperditions des bâtiments et de la réduction des consommations de chauffage, thermiciens et énergéticiens se penchent désormais sur le sujet de l’eau chaude sanitaire. Si la part de ces deux postes de consommation a commencé à diverger dès l’application des réglementations thermiques de 2000 puis de 2005, la place occupée par chacun de ces postes montre de façon flagrante l’importance du poste eau chaude sanitaire dans les calculs de l’actuelle RT 2012.

Dès 2009, l’Ademe a lancé le pacte ECS (en clair, le programme d’actions concerté sur les technologies de l’énergie relative à l’eau chaude sanitaire). Pour les cinq consortiums retenus, le challenge consistait à produire de l’eau chaude à 15 kWh/m².an avec des équipements d’un prix de marché accessible et durables. Cette démarche a abouti en 2014-2015. Outre le volet industriel et technique, elle a aussi servi de support pour remettre en question les fondamentaux des besoins des occupants et de la fourniture d’eau chaude sanitaire.

Mettre à jour les données de référence
« Ces travaux ont permis de soulever trois points cruciaux pour la compréhension de cet usage : le rendement des systèmes, leurs pertes thermiques et les besoins à satisfaire », résume Anne Lefranc, ingénieur du service Bâtiment à l’Ademe. Jusqu’à présent, les concepteurs se réfèrent à la recommandation 02-2004 de l’AICVF, document qui compile les valeurs de référence utilisées depuis les années 1970. Une meilleure connaissance des besoins s’avère cruciale pour optimiser le dimensionnement des systèmes de production et estimer les consommations d’énergie.
L’Ademe commande au Costic la réalisation d’une étude sur la base de relevés de données auprès des partenaires du pacte ECS.
Cette collecte abondante – issue de 15 500 relevés annuels de compteurs et 400 suivis instrumentés – a été analysée par le Costic. Elle met en avant une très forte surestimation des besoins (de l’ordre de 50 %) et invite à remettre en question les modes de production pour réduire la puissance des générateurs et les consommations d’énergie…
Le gisement d’économie d’énergie sur l’eau chaude sanitaire s’avère dès lors considérable !



La première partie de l’enquête a été publiée au printemps 2016, sous la forme d’un guide technique intitulé Les besoins d’eau chaude sanitaire en habitat individuel et collectif. Elle porte sur les besoins d’un logement en eau chaude sanitaire, sur les indicateurs utiles dans l’individuel et le collectif, et sur les paramètres influençant les besoins.

Le second volet, qui traitera du dimensionnement des systèmes, paraîtra en 2018. Autant d’éléments utiles alors que les débats concernant la future réglementation énergétique et environnementale pour les bâtiments neufs sont déjà ouverts.


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Des économies d’énergie tout au long du réseau

Lorsqu’on y regarde de près, la production d’eau chaude sanitaire peut être largement améliorée. Détails, de l’alimentation en eau potable au point de puisage.

Le dimensionnement des réseaux d’eau chaude sanitaire est conçu à partir des valeurs maximales destinées à fournir le confort attendu, ces valeurs prenant en compte notamment la faible température de l’eau froide et le fort volume consommé… « L’étude réalisée par le Costic sur la base de 15 500 relevés annuels montre une réalité sensiblement différente », souligne Anne Lefranc, de l’Ademe.

Alors que l’on considère traditionnellement que la température d’eau froide est à 11 °C, les mesures relevées par le Costic sont plus nuancées. De décembre à mars, cette valeur est confirmée (à ± 2 °C près).
En revanche, d’avril à novembre, les relevés vont de 15 à 21 °C, la moyenne s’établissant à 16 °C, à ± 2 °C.
Par ailleurs, les ménages ont des comportements très variables, et de multiples critères doivent être pris en compte, notamment la taille du logement, le taux d’occupation, la construction (individuelle ou collective), le fait qu’il s’agisse de logement social ou de résidence privée… D’une manière générale, les consommations sont bien inférieures au standard actuellement retenu de 60 l par jour et par personne d’eau à 60 °C. Ils sont mesurés à 56 l, à ± 23 l, d’eau à 40 °C (soit 37 l ± 15 l à 60° C). Le vrai sujet : trouver le juste équilibre entre le confort des utilisateurs et l’optimum de consommation…
En outre, la consommation des ménages a tendance à évoluer à la baisse soit en raison de l’évolution des comportements (prendre des douches plutôt que des bains), soit par la mise en place d’équipements économes, tels que les robinets équipés de mousseurs.

Passer du constat aux nouveaux concepts
Ces observations confirment le surdimensionnement des installations de pratiquement 50 %. Pour Olivier Broggi, de GRDF Cegibat, ces constats imposent de réfléchir aux modes de production d’eau chaude.
« Les solutions instantanées évitent les pertes d’énergie par stockage et la prolifération de légionnelles. En revanche, le stockage a pour intérêt de réduire la puissance des installations… ». Le compromis des petites chaufferies avec systèmes semi-instantanées/semi-accumulées serait à retenir.

« Comment réduire le dimensionnement sans prendre de risques ? », se demande Olivier Guillemot, du BET Polenn. Car l’enjeu est non seulement énergétique et environnemental, mais aussi financier et sanitaire. L’eau chaude sanitaire pèse jusqu’à un tiers des charges des ménages ; les réduire devient un enjeu social. Au chapitre sanitaire figure, bien sûr, la maîtrise du risque légionnelles. Trois axes de progrès pourraient se dégager :

→ travailler sur la production d’ECS en exploitant les énergies renouvelables et la récupération d’énergie fatale, notamment sur les eaux grises

→ revoir les techniques d’utilisation, comme les bouclages en immeubles collectifs responsables de 40 % des pertes d’énergie, voire plus

→ prendre en compte le comportement des usagers : des défis, tels que celui des « familles à énergie positive », fournissent des exemples à adapter.

La récolte de données du Costic devrait d’ailleurs donner lieu à une remise en question des pratiques et être intégrée dans l’outil de calcul réglementaire.


2

Guide « Besoins d’eau chaude sanitaire »

Quels sont les besoins en maisons individuelles ? En logements collectifs ? Comment consomme-t-on l’eau chaude ? Produire efficacement suppose un état des lieux objectif.

PRENDRE EN COMPTE LES PARAMÈTRES INFLUENTS
Face à la masse d’informations livrée dans les pages du guide de l’Ademe, quels paramètres de comportement utiliser en priorité ?

1. Le taux d’occupation des logements.
La sous-occupation des logements est manifeste, sauf dans le logement social où un appartement de 4 pièces est occupé en moyenne par 5,2 personnes.

2. Les températures d’eau froide.
Dans 22 villes, elles sont plus élevées que dans les documents de référence. Cette information est indispensable pour déterminer le besoin d’ECS à 40 °C et dimensionner l’équipement de production.

3. L’équipement en système d’économie d’eau et d’énergie.
Les robinetteries thermostatiques et baignoires à faible capacité impactent sur les besoins. De même, l’installation de récupérateurs de chaleur sur les eaux grises aura un effet sensible sur la consommation.

Les exploitants et les bailleurs l’avaient déjà constaté : les consommations d’eau chaude sont bien souvent inférieures aux références réglementaires. L’étude du Costic commanditée par l’Ademe, qui se base sur l’analyse de 15 500 relevés annuels de compteurs issus de 400 suivis instrumentés de maisons, appartements ou immeubles neufs ou existants sur une année, le confirme.
→ Les besoins journaliers par personne moyens sont de 56 l à 40 °C, avec un écart-type de ± 23 l. Dans deux tiers des logements, les besoins relevés sont de 35 à 80 l/j.

→ Ces données sont à pondérer du nombre de personnes occupant le foyer. En effet, une variation de la consommation journalière par personne, quasiment du simple au double, est à noter entre une personne seule et une famille de cinq personnes.

→ Le taux d’occupation des logements est également à prendre en compte. Une distinction entre le parc social et le parc privé s’impose alors, surtout pour les grands appartements. En T5 par exemple : 190 l à ± 120 l /logement à 40°C dans le parc social contre 140 l à ± 90 l dans le privé.

Ces relevés fournissent aussi aux concepteurs les profils de pointe sur 10 min dans différents types d’immeubles (de 10 à plus de 200 logements), ainsi que des exemples de profils de consommation.


besoins d’eau chaude sanitaire en habitat individuel et collectif
3

Pertes des réseaux d’ECS : Bouclage or not bouclage ?

Les bouclages d’eau chaude sanitaire installés sur les réseaux collectifs seraient à l’origine de 30 à 50 % des pertes d’énergie de ce poste de consommation. Comment exploiter efficacement ce gisement d’économie ?

Les bouclages des réseaux de distribution d’eau chaude sanitaire sont depuis longtemps identifiés comme une grosse dépense d’énergie : ils compteraient pour un tiers à la moitié des consommations d’énergie liées à la production d’ECS. Mais, confort et hygiène obligent, ils sont considérés comme indispensables pour réduire les délais d’attente aux points de puisage et pour maintenir les températures réglementées visant à inhiber le développement des légionnelles. Pourtant des solutions émergent.

1. Sur-isoler ces réseaux de retour.
Cette solution a été développée par les maîtres d’oeuvre – Dominique Cena, de Cena Ingénierie, et Michel Lefèvre, de Nath Ingénierie. Des isolants de classe 2 sont généralement préconisés, mais il est possible de monter en classe. Un isolant de classe 6, c’est 50 % de perte en moins par rapport à un isolant de classe 2.

2. Distribuer les appartements en U, ce qui limite le bouclage réel à la distance allant du dernier logement servi au générateur. Cette solution peut être intéressante en hôtellerie, par exemple. Elle représente un gain de 30 % sur les pertes de bouclage, mais surtout, une division par deux des débits des retours de bouclage vers la chaufferie. C’est donc un mode ECS qui se déclenche moins souvent pour juste combattre les pertes de bouclage.

3. Installer des modules thermiques d’appartement.
Largement utilisés en Europe du Nord, ces équipements se « piquent » sur une boucle générale à haute température et permettent de produire l’énergie de chauffage et l’eau chaude sanitaire dans chaque appartement. Ici, pas de bouclage, pratiquement aucun risque « légionnelles » et la possibilité d’exploiter des températures jusqu’à 45 °C, des énergies renouvelables ou de la chaleur fatale issue des récupérateurs sur les eaux usées. « Ces modules ont une forte perte de charge, tempère Pascal Housset, dirigeant de Realitherm et responsable UECF.
Ces consommations électriques supplémentaires doivent également être prises en compte. »

Et si la solution est inscrite depuis plusieurs années parmi les solutions dans le neuf par le biais d’un titre V, les concepteurs tempèrent les ardeurs : les modules thermiques d’appartement seraient délicats à dimensionner et à mettre en oeuvre, et les retours d’expérience font défaut. « Enfin, cette technique nécessite la mise en place d’une distribution haute température toute l’année, d’un diamètre plus important que la distribution classique de chauffage pour pouvoir assurer chauffage et ECS, souligne Olivier Broggi. Est-ce vraiment une réduction des pertes de chaleur dues aux tuyauteries ? Le calcul mérité d’être fait au cas par cas. »

D’autres solutions, plus radicales encore, sont étudiées par les experts, telles l’utilisation de bouclages avec des canalisations concentriques ou la suppression du bouclage ! Une installation réelle, pilotée par GRDF, d’un réseau sur-isolé mais sans bouclage sera prochainement testée dans un immeuble expérimental du CRIGEN. L’objectif est de qualifier la baisse de température de cette distribution, ainsi que son comportement en matière sanitaire. « Nous devons vérifier par des tests réels que cette idée de supprimer le bouclage, à laquelle nous croyons, ne représente pas un risque pour les utilisateurs ; c’est notre rôle de service public », souligne Olivier Broggi.

SUPPRIMER LE BOUCLAGE : L’ISOLATION REMPLACE L’HYDRAULIQUE

Se passer purement et simplement du bouclage semble idéal sur le plan énergétique :
l’économie d’énergie serait de 40 à 45 kWhep/m².an. Un groupe d’ingénieurs a simulé ce procédé. Explications de Philippe Bauduin et Michel Lefèvre. La colonne de distribution d’ECS doit être surisolée : l’objectif est de poser autour de la colonne montante un matelas d’une épaisseur de 8 cm et d’un lambda de 0,035 W/mK. Si Michel Lefèvre reconnaît que ce type de produit n’existe pas encore, il reste confiant dans la capacité des industriels à le produire s’il y avait une demande.
La simulation a consisté à produire une eau à 52,5 °C, puis à estimer la perte de température durant la période nocturne d’interruption de puisage (de 22 h à 6 h). Selon le matériau employé, elle serait de 10 à 15 °C.
Cette solution se révèle positive en termes d’investissement comme d’exploitation : sur le chantier, le lot isolation est augmenté, mais la facture est fortement allégée en raison de la suppression du bouclage et des auxiliaires. Et sur un immeuble de 27 logements, les premiers calculs livrent une économie d’énergie de 600 €/an, soit 22 € par logement. Le comportement de ce réseau au regard des légionnelles reste toutefois à vérifier.


Cette chronique est issue des débats Cegibat. Celui-ci ayant eu lieu le 23 mars 2017.

Retrouvez tous les débats Cegibat : https://cegibat.grdf.fr/debats-cegibat


Bernard Reinteau, journaliste


SOURCES ET LIENS

Logo CEGIBAT
www.ademe.fr
www.costic.com


AUTRES CHRONIQUES des experts de GRDF CEGIBAT

Commentaires

  • Christophe
    1
    09/11/2017

    Oh mon dieu : on parle d'économiser de l'énergie sur l'eau chaude sanitaire, et on nous montre un bel exemple de production collective solaire avec un magnifique mitigeur thermostatique de tête.
    Avez-vous seulement un retour d'expérience sur ce type de montage ? A l'évidence, non !
    Que ce passe-t-il dans la réalité ? On produit de l'ECS solaire, à je ne sais quelle température (le schéma ne montre qu'un seul échangeur), mais pas de soucis, on la refroidit aussitôt à 55°C par le mitigeur de tête. L'eau revient ensuite par la boucle, mais on la réchauffe par la production secondaire.... au moins à 70°C pour éviter la légionelle dans le ballon. Mais pas de soucis non plus puisque le mitigeur de tête est encore là pour la refroidir à 55°C. Bonjour les économies d'énergie !!!
    Que dire de la gueule du mitigeur de tête quand on lui balance de la flotte à 70°C ou 90°C ou plus encore ? Ben...... Il apprécie moyennement. On se retrouve donc ensuite avec une installation qui se traîne des trains de chaleur à n'en plus finir. L'utilisateur se retrouve avec de l'eau chaude.... ou froide... c'est selon. Les réseaux de distribution, de plus en plus souvent réalisés en matériaux non métalliques, finissent par se tordre... de douleur.
    Avant de donner des leçons sur des "nouvelles technologies", révisez donc vos classiques !
    Pas grave après tout, ça me fera du travail en expertise !


  • Stephane
    1
    09/11/2017

    La suppression du bouclage par sur-isolation est-elle réellement envisageable ?
    Comment gère-t-on dans ce cas les périodes de congés et d'absences prolongées?
    Très bon article par ailleurs.


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