Smart pour tous : vers la solidarité ou la solitude ?

Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019

C’est après un cauchemar que j’ai décidé de vous entretenir de ma mauvaise humeur. Cette nuit, j’y voyais l’Europe, en déclin politique, économique, financier et moral, transformée en un grand parc de tourisme et un lieu de villégiature pour les 3ème et 4ème âges. Les jeunes étaient partis dans les 4 autres continents pour travailler, créer, fonder une famille …


Ce songe très désagréable a déclenché des interrogations qui interagissent et que je vous livre.

 

  • Comment gérer le vieillissement de la population, sujet préoccupant pour l’Europe, le Japon et dans une moindre mesure, l’Amérique du Nord surtout avec l’émergence du papy boom ?

  • Les « smart technologies » connectant tout à tout engendrent-elles des attitudes solidaires ou des comportements centrés sur sa propre personne. Question sans manichéisme. La solidarité considérée comme plus vertueuse que l’individualisme souffre de la nécessité de la dépendance aux autres. Cette question sociétale, rassurez-vous, ne sera pas abordée dans cette humeur. Je n’ai pas de compétences pour être pertinent sur ce sujet. Et ce n’est pas le lieu.

  • La « smart city » est-elle soluble dans le développement durable ?

Probablement, un écho de mes humeurs du mois dernier et de mes lectures récentes sur le bâtiment et le développement durable que je vous livre.

Les enjeux de la « Silver économie » 

Dans le dossier «  argent et placements » du « Monde » daté du 5 Mars 2014, de nombreuses pages sont consacrées à la question de l’autonomie et la dépendance du 3ème âge. Un projet de loi sur la dépendance sera proposé en Avril 2014 par Michèle Delaunay, ministre chargée des personnes âgées.
Cette loi déjà considérée comme trop timide par les professionnels du secteur vient néanmoins de sortir de 10 ans de reports successifs et un enterrement il y a 4 ans. 645 millions € seraient alloués au traitement de la dépendance. Mais c’est encore trop peu estime Marie Odile Desana de l’association « Alzheimer » face au coût de la dépendance (30 milliards €). La question du financement vient percuter les contraintes budgétaires, le ras le bol fiscal.


L’INSEE estime que le nombre de personnes dépendantes va passer de 1,3 million en 2013 à 2 millions en 2040. Les plus de 60 ans passeront de ¼ à 1/3 de la population entre 2020 et 2060. A cette époque, un français sur six aura plus de 75 ans ...


Aux Etats Unis et au Royaume Uni, un secteur traitant le vieillissement de la population s’est structuré et s’est concrétisé par le développement de produits et de services. Des aides gouvernementales octroyées depuis longtemps ont permis de développer des aides à domicile moins coûteuses que les placements en maisons spécialisées ou que l’hospitalisation. C’est la « Silver économie ». Les consultants de « Senior Stratégie » évaluent que  son marché mondial va passer de 2,7 milliards € en 2010 à 25 milliards € en 2020 ! 


En France, l’appréhension de se lancer dans le marché « sénior » est encore prégnante. Selon Alex Villemeur (Université Paris-Dauphine), 350 000 postes seraient à pourvoir dans les services à la personne.

Les séniors : un marché fatalement prometteur

Dès la fin des années 80, époque de l’émergence de la domotique, une réflexion sur l’application aux personnes dépendantes a été menée. Mais ce travail est passé aux oubliettes avec l’enterrement de la domotique.
Depuis, l’exemple des anglo-saxons, le développement techniques et l’opportunité, les enjeux économiques ont fait émerger un marché. Des nouveaux produits spécifiques sont disponibles : téléphones spéciaux pour séniors, domotique du maintien à domicile : surveillance médicale, alarmes, robotique, corrections des carences (mal voyance, surdité, … et accessibilité).


Des acteurs franciliens de la Silver économie se sont regroupés dans une entité dénommée « Silver Valley ».
Citons le bouquet de services mis en place par Blue Linéa s’appuyant sur un bracelet détecteur de malaise. Leur chiffre d’affaire a bondi de 1000 % en 2 ans. Des détecteurs de fumées, de gaz, des chemins lumineux, etc…sont aujourd’hui commercialisés. La société Legrand annonce que cette part de marché qui ne représente encore que 1% de leurs activités, soit quand même 40 millions €, est en nette progression.
La société Dovo propose des portables à touches larges avec une interface très simplifiée, notamment pour des appels d’urgence. 400000 unités ont été vendues en 2013, soit 60% de plus que l’année précédente. Orange et Fujitsu proposent un smartphone ralentissant le débit oral pour faciliter la compréhension et intégrant un protocole d’envois automatiques de SMS ou d’appels d’urgence sur 3 numéros préenregistrés.


Cependant l’offre industrielle aussi performante soit-elle ne suffit pas. Il faut mettre en place des labellisations pour protéger ces « consommateurs » particulièrement fragiles, encadrer le démarchage, protéger la confidentialité des données, mobiliser les médecins qui sont les prescripteurs.

Les smart technologies pour les séniors : Oui, … mais …

Il est indéniable que la Silver économie est très séduisante car elle rend compatible des contraintes sociales et économiques. Mais il faut prendre garde aux mots. Le « maintien » à domicile a une connotation péjorative.


S’il est évident qu’une grande majorité de personnes dépendantes, souvent âgées, préfèrent rester dans leur logement, leur quartier, leur environnement relationnel, le mot « maintien » n’est pas neutre. Pourquoi ne pas dire « soutien » plutôt que maintien. Je ne veux pas pinailler. Mais il me revient que dans les premières tentatives de mise en place d’une domotique adaptée, les acteurs sociaux nous mettaient déjà en garde. L’aide aux personnes âgées leur permettant de les maintenir chez elles pouvaient engendrer des effets pervers. Par exemple, que la famille passe moins souvent, voire plus du tout puisque la grand-mère pourrait dorénavant se débrouiller seule ... Et en cas de problème, le « service associé » serait là. Les risques d’effets négatifs doivent être pesés. « Smartiser » un logement ne doit pas distendre les liens affectifs, ne pas chambouler les liens sociaux, ne pas déclencher plus de solitude que de solidarité.


Vous l’aurez compris, chaque cas est différent. Avant de prescrire un « soutien », il faut connaître l’environnement familial. Un médecin seul, un architecte ou un ingénieur seul ne trouveront pas les bonnes solutions. On ne peut pas s’affranchir d’un diagnostic de la situation de la personne et de son logement dans sa globalité, c’est à dire sans les services sociaux déjà impliqués ... et la famille. C’est un peu lourd, mais cela vaut largement le coup pour la personne concernée, … et pour la sécurité sociale.

Une Silver économie vertueuse est à ce prix. Son développement sera durable à condition que  la sphère sociale soit aussi bien prise en compte.

Qui peut le moins, peut le plus

L’inversion de cet adage est évidemment volontaire. Il traduit l’idée qu’il faudrait inverser complètement la démarche des ergonomes. La conception d’un produit s’appuie sur les fonctions qu’il doit pouvoir assurer.  Beaucoup de produits matériels et logiciels ont des capacités telles que seulement 5 à 10 % des possibilités sont exploitées par l’utilisateur.

Songez aux fonctions d’un Smartphone ou d’une tablette qui sont vraiment sollicitées quotidiennement. Observez la manière dont est utilisé un tableur Excel, un appareil photo numérique sophistiqué, un thermostat programmable. Le syndrome du magnétoscope de la fin du siècle dernier ne nous guette pas. Il est là !


L’offre est trop riche. S’il est préférable de posséder un produit ayant 30 fonctions plutôt que 10, surtout pour le même prix, l’interface homme/machine se complexifie au point où, justement, l’utilisateur finit par se cantonner aux quelques fonctions élémentaires et prioritaires, motivations principales de l’achat.


Le processus du marché est banal. Il s’agit à la fois de faire mieux que le concurrent et de toucher le public le plus large. Et quand il faut imaginer un produit pour un utilisateur spécifique, on part du général, du compliqué, pour faire plus simple en réduisant les possibilités du produit aux spécificités de l’utilisateur. C’est ce processus qui est en marche pour créer des produits « sénior » : peu de fonctions, automatismes, ergonomie simplifiée à l’extrême, grosses touches du smartphone, etc …
Mais en fait, la majorité des consommateurs rêvent de disposer de produits simples à comprendre et à manier. Mais il est toujours plus compliqué de faire simple que … compliqué.


Pourtant, le développement des smart technologies qui connectent tout à tout devrait tendre à simplifier drastiquement les interfaces.

C’est pourquoi la Silver économie pourrait améliorer l’offre des produits grand public. Partir du plus simple et si, réellement besoin, ajouter des fonctions. Et non pas faire l’inverse qui consiste à adapter en simplifiant un produit d’usages complexes.


Cette démarche basée sur la demande et non plus sur l’offre pourrait modifier la manière de penser un produit. La Silver économie deviendrait un des moteurs des smart technologies !
Plus de déferlante de gadgets (rappelez-vous la brosse à dent communicante…) et des produits facilement utilisables. C’était l’oreille ou la queue du taureau évoquée dans mon « humeur » de janvier-février : un des moyens de réduire l’effet rebond est l’amélioration de l’ergonomie des interfaces.

Le bâtiment, la ville, les vieux

Toujours dans ce même dossier du « Monde », l’article « Rester chez soi, un souhait compliqué à réaliser » signé par Marie Pellefigue résume d’autres aspects du soutien à domicile des personnes âgées. En particulier, le sujet très lourd de l’accessibilité, qui ne concerne pas seulement les retraités, pose le problème fondamental de l’évolution dans le temps des logements et de la ville. Seulement 21% des logements occupés par des personnes d’au moins 80 ans ont fait l’objet de travaux d’aménagement (sols non glissants, équipements sanitaires utilisables, accessibilités aux rangements, …).

Ce chiffre est le résultat de tous les freins actuels. Ils sont moins techniques que financiers et juridiques. Par exemple, le vote de travaux d’aménagements dans les parties communes dans une copropriété reste souvent un vrai casse-tête.


La Silver économie ne se réduit pas à des nouveaux produits issus des start-up. Elle concerne la mise en place d’un jeu d’acteurs tissant un lien social aussi affectif qu’efficace. Elle pose également la question de l’adaptabilité des bâtiments, aussi bien dans les opérations de réhabilitation en bâtiments existants que dans la conception des constructions à venir. Un bâtiment ou un projet urbain ne peut s’inscrire dans une démarche de développement durable sans une réflexion approfondie et des actes en conséquence concernant l’adaptabilité.


Et ce, pour une ville plus solidaire réduisant les solitudes, en particulier générationnelles.

 

Bernard Sesolis
bernard.sesolis(at)gmail.com


Commentaires

  • Jean-Marc
    0
    21/03/2014

    Bonjour,

    Pour répondre à cette problématique, le NPdC n'est pas en reste et vient d'inaugurer une nouvelle licence intitulée "Ingénierie & Santé publique, Technologies nouvelles & Autonomie de la Personne" par la sortie prochaine d'une première promotion au Lycée Colbert de Tourcoing.
    Après un BTS en domotique, les élèves suivent une année de formation comprenant de la communication en informatique, de l'Ergothérapie, de la stratégie d'entreprises, des technologies nouvelles, des intervention de professionnels, des stages et un projet tutoré.
    Ce cursus se réalise par le partenariat du Lycée Colbert à Tourcoing labellisé "Lycée des Métiers du Web" et l'ILIS au sein de l'Université de Lille II.
    Au terme de cette formation, les promus peuvent répondre très spécifiquement par des technologies nouvelles au service de l'humain.
    Voici les deux sites des établissements qui vous permettront de faire plus ample connaissance de ces technologies du futur
    http://www.lyceecolbert-tg.org/ et http://ilis.univ-lille2.fr/ .
    Contrairement à ce que de nombreuses personnes peuvent croire et crient à tort, la domotique n'est pas un "gadget onéreux" mais bien une technologie au service de l'humain lorsqu'elle est bien pensée par de vrais professionnels dont le seul souci est d'écouter les besoins du client et de lui fournir uniquement ce qu'y lui est nécessaire.
    Malheureusement, le marché est envahi par des pseudo-domoticiens à la merci de leur grossiste et des fabricants qui ne recherchent que le profit !!!


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