Par René CYSSAU Consultant équipement du bâtiment, ex ingénieur en chef du COSTIC
L'affichage des consommations est obligatoire dorénavant
dans le résidentiel neuf pour respecter la réglementation RT 2012.
Source Schneider
La chronique « Le signal consommation fait le comportement vertueux », a présenté :
- D’un côté, des solutions émergent pour inciter à un comportement vertueux, avec technologies de l’information et compteurs intelligents en jeu.
- D’un autre côté, l’individualisation des frais de chauffage en collectif ne se met pas en place sans aléas ni récriminations de certains acteurs. Des solutions existent depuis des lustres mais l’équipement des bâtiments reste étonnamment faible en France.
Le rapprochement des textes réglementaires qui portent sur ces deux sujets pose des questions :
Pour le neuf, dans la RT2012 (article 23 de l’arrêté du 26 octobre 2010) des clauses imposent des affichages qui détaillent poste par poste des consommations en aval d’un compteur, pourtant :
- l’incitation existe déjà, le compteur d’énergie fait la facture, sauf en chauffage collectif,
- avec 50 kWh/m², les économies d’énergie par un comportement vertueux restent en proportion de la consommation, même si elle s’établit réellement au-dessus de cette valeur.
Toutes les solutions qui font réduire la consommation sont cependant toutes bonnes à prendre pour approcher ce niveau,
- ces moyens d’évaluation ne sont pas réellement présents sur le marché aux conditions de prix acceptables,
- ce règlement impose donc des produits encore peu disponibles à des conditions acceptables, une première.
Pour le chauffage collectif, le règlement de 2012, dédié de fait à l’existant, oblige à l’individualisation en reprenant les mêmes principes que les précédents règlements qui avaient eu peine à s’appliquer. Ils n’avaient pas réellement développé le marché de l’équipement et des services pour l’individualisation, le nombre de logements équipés reste de l’ordre de 10 à 15% des logements chauffés collectivement.
Pourtant :
- c’est le seul mode de chauffage qui ne comporte d’aucun comptage s’il n’est pas individualisé,
- le parc qui n’est pas équipé est de plus de 4 millions de logements,
- les montants des économies accessibles après individualisation sont cernés par des études de terrain, une future chronique rappellera des résultats de suivis expérimentaux,
- le règlement permet de déroger sous un seuil de consommation de 150 ou de 190 kWh/m², il a été fixé sur des considérations économiques pour l’usager. C’est une démarche rare dans le domaine des règlements énergétiques.
Pourquoi n’est-elle pas appliquée pour d’autres clauses techniques ?
En rapprochant les clauses de la RT avec ce règlement pour l’existant, constatons que :
- d’un côté, on impose des solutions encore peu accessibles, sans considérations économiques, et on ne dispose pas de résultats de suivis qui permettent de situer les économies supplémentaires par des indications des consommations poste par poste, alors qu’un compteur général tourne.
- d’un autre côté, des solutions existent et on fixe un seuil sur des considérations de coût pour les appliquer, pourtant les niveaux des économies avant et après la répartition sont cernés, depuis longtemps.
Autrement dit, on compte d’un côté sur des solutions technologiques émergeantes pour inciter, d’un autre côté on limite la possible émergence de solutions innovantes en fixant un seuil qui dépend du prix de l’énergie et du prix du service. Le prix de l’énergie augmentera, le second peut s’abaisser avec des solutions techniques qui intègrent plusieurs fonctions : régulation, programmation, individualisation, comme évoqué ci-après.
De fait, les rédacteurs des clauses du règlement individualisation ont été soumis à des pressions opposées, d’un côté des entreprises qui travaillent sur ce marché, d’un autre côté de certains gestionnaires qui veulent éviter d’avoir à individualiser les charges de leurs usagers.
Dans cette situation, il semble que l’individualisation du chauffage collectif peinera à devenir une solution ancrée dans les habitudes si des campagnes d’informations ne présentent pas la réalité des choses et les enjeux pour les usagers.
Questions autour du sujet des affichages incitatifs
Voici des points de vue sous la forme de réponses à des questions sur le sujet des affichages incitatifs.
1 - Les affichages sur écrans nomades feront-ils la solution ?
Cela ne se fera pas sans passer par un réseau, une plate forme locale (box dédiée ou non) et en installant des équipements capables de recevoir les ordres. Cela ne se fera pas sans que tous les fabricants se rallient à une telle solution. Cela reste hypothétique, ils ne le feront pas tous, pas tout de suite.
2 - Et l’affichage sur l’appareil consommateur lui-même ?
3 - Le comptage énergétique serait il détrôné ?
4 - Est-il alors nécessaire de mesurer l’énergie au niveau des terminaux ?
Dans cette voie, plusieurs solutions peuvent être envisagées, bien plus simples, moins coûteuses qu’un comptage de l’énergie consommée, applicables quel que soit le procédé de chauffage ou de climatisation, comme le procédé Métrostatique.
Pour ouvrir cette voie, il faudrait que la réglementation admettre qu’une mesure de puissance thermique n’est pas la seule solution permise pour donner une indication d’une consommation et répartir les coûts.
5 - Un indicateur de consommation pourrait-il enregistrer une autre mesure que celle de l’énergie ?
6 - Serait-il possible de compter une « consommation de confort » plutôt que d’énergie?
Ce procédé présente deux avantages déterminants :
- le compteur est intégré dans le dispositif de régulation lui-même,
- le résultat du comptage est insensible aux transferts de chaleur entre logements. Enfin le procédé est indépendant du type de terminal pour chauffer ou refroidir, c’est le système de régulation qui assure le résultat : la température de consigne désirée.
7 - Dans les bâtiments neufs chauffés collectivement, le chauffage ne serait donc pas facturé selon l’usage ?
8 - Dans ces bâtiments, le poste chauffage est faible est ce bien justifié de mettre un compteur d’énergie thermique ou des répartiteurs ?
Des objections de nature technique ont été entendues de la part de ceux qui ne désirent pas appliquer le principe de l’individualisation dans leurs métiers. Elles sont présentées ici sous la forme de questions.
En préalable, il faut noter que des objections entendues sur l’individualisation viennent en règle générale de gestionnaires qui voient vertu dans le chauffage individuel en immeuble collectif : ils n’ont pas à recouvrer les coûts de chauffage.
Beaucoup d’objections entendues, citées ci-dessous, viennent de cette préférence au chauffage individuel, sans qu’ils rejettent le chauffage collectif – mais sans individualisation.
1 - Les usagers ne sont-ils pas victimes des « vols de chaleur »?
On entend dire « vols » dans des débats sur l’individualisation, mais pas dans d’autres cas. Pourtant :
- D’un côté, avec des chauffages individuels en collectif, le compteur de gaz ou d’électricité tourne, que la chaleur fasse monter la température du logement ou celle des logements contigus. L’usager paie 100% de l’énergie.
- D’un autre côté, avec l’individualisation, une part de l’énergie est payée au prorata des relevés du comptage, une autre part est fixe. Ce décompte amoindrit les effets des transferts de chaleur entre logements sur la facture.
L’expression « vols de chaleur » n’est associée qu’à l’individualisation, alors que l’effet des transferts thermiques est justement atténué par des décomptes individualisés. C’est le paradoxe.
Il serait bon de bannir cette expression dénuée de sens du langage de ceux qui traitent de thermique et d’efficacité énergétique et de ne parler que de transferts thermiques entre logements.
2 - Ne pourrait-on pas réduire les transferts entre les logements en les isolant thermiquement entre eux ?
Il est tout de même plus astucieux et beaucoup moins coûteux d’atténuer l’effet des transferts par des calculs simples. C’est par l’introduction de pondérations des décomptes : part fixe et part variable, que l’effet des transferts thermiques entre logements est partiellement compensé.
3 - Alors comment pallier ces transferts ?
Il est possible de montrer que le résultat des comptages dépend en tout premier lieu des réglages des émetteurs de chauffage dans le logement, l’effet des transferts est du second ordre.
4 - Les occupants des logements thermiquement défavorisés ne subissent-ils pas des charges plus élevées, inéquitables ?
5 - Pour des personnes en situation de précarité énergétique, l’individualisation n’est-elle pas problématique?
6 - Les usagers vont réduire les températures ambiantes, le bâti ne risque-t-il pas de souffrir de dégradations par humidité ?
Maintenant que la réduction des températures ambiantes s’impose à tous pour réduire les consommations, cette objection n’est plus guère avancée.
Le remède à des désagréments causés par des condensations ne doit pas se trouver dans des températures ambiantes plus élevées qu’il est utile pour le confort d’usage.
De fait, le problème qui se pose maintenant vient des températures inutilement élevées dans les bâtiments collectifs sans individualisation. C’est un potentiel d’économies très important.
7 - Les copropriétaires ou les locataires sont dans une communauté, la mutualisation de chauffage ne devrait-elle pas être la règle ?
On connait les limites d’une absence d’incitation pécuniaire : pas de responsabilités personnelles sur ses propres charges, pas de contrainte d’usage, pas de limites au gaspillage, la communauté paie.
8 - Les gestionnaires sont-ils disposés à individualiser les charges de chauffage ?
Plusieurs objections citées ici ont été émises par des gestionnaires qui avancent des hypothèses de difficultés techniques pour obvier à la mise en place de l’individualisation.
Pourtant il existe des services qui assurent l’ensemble des tâches qui permettent d’aboutir aux décomptes de charges de chauffage individualisé, ils facilitent ou même remplacent les tâches des gestionnaires ou syndics.
9 - L’individualisation des dépenses de chauffage ne conduit-elle pas à orienter des copropriétaires vers les dépenses d’amélioration énergétique individuelles au détriment des actions collectives, comme l’isolation thermique ou le changement de la chaudière ?
Il faut considérer cette question dans ces trois situations :
- En cas de chauffage collectif non individualisé, les améliorations individuelles ne sont pas incitées. Pourquoi dépenser si je ne bénéficie pas d’avantages ?
- En cas de chauffage collectif individualisé, des améliorations collectives impactent la part fixe, des améliorations individuelles la part variable. Des améliorations collectives partielles (isolation d’un pignon ou d’une terrasse, par exemple) peuvent être comptabilisées dans les particularités thermiques différentes d’un logement à l’autre.
- En cas de chauffage individuel en collectif, cette question est plus pesante car l’énergie dissipée dans un logement est facturée à 100%. Les améliorations individuelles ou partielles présentent un intérêt direct pour certains, pas pour d’autres. Les améliorations collectives peuvent sembler moins profitables.
La souplesse des décomptes de l’individualisation permet donc de satisfaire des copropriétaires qui se trouvent devant différentes possibilités d’amélioration énergétique.
Si des critères économiques détaillés sont présentés pour prendre des décisions d’amélioration énergétiques en assemblée de copropriétaires, l’individualisation permet de répondre à des objections comme celle là.
10 - La mise en place du service fait réduire incontestablement la consommation, mais dans les années qui suivent, les consommations ne remontent-elles pas ?
L’environnement médiatique sensibilise à l’environnement - effet de serre - limitation des ressources. Il faut cependant que les opérateurs du service individualisation maintiennent la préoccupation au fil du temps par des informations sur la consommation de l’immeuble et des remarques sur les décomptes individuels, comme des informations comparatives : « avant-maintenant » ou « chez vous-chez vos voisins » ou « cette année - l’année passée »…
11 - Sait-on comment les usagers économes agissent sur leurs chauffages ?
Il a été constaté par des suivis instrumentés que les usagers économes attentifs (ils ne le sont pas tous) choisissent des niveaux de température ambiante moyenne d’autant plus faibles (ferment des robinets) que la température extérieure est élevée en période de chauffage. C’est pour des températures extérieures inférieures à zéro que les besoins de température ambiante sont les plus élevés et que tous (ou presque tous) les robinets sont ouverts. Des résultats de suivis qui montrent cet effet seront présentés dans une chronique à venir.
12 - Ne faut-il pas remplacer les robinets manuels par des robinets thermostatiques avant de mettre l’individualisation ?
Chez les usagers économes, les capacités d’économie par la fonction régulation des robinets thermostatiques sont donc limitées, ils modulent rarement la puissance de chauffage. Attention, cette remarque s’applique aux logements en collectif, pas dans l’habitat individuel.
Chez les inattentifs, les robinets restent ouverts, qu’ils soient thermostatiques ou non.
Enfin, qu’il s’agisse de robinets manuels ou thermostatiques, il faut qu’ils soient en bon état de fonctionnement, c’est-à-dire manœuvrables et étanches à la fermeture.
par René CYSSAU
Consultant équipement du bâtiment, ex ingénieur en chef du COSTIC,
René CYSSAU est l'auteur d'ouvrages techniques et a été rédacteur en chef de la revue PROMOCLIM
René CYSSAU a également présidé à l'élaboration de la norme européenne NF CEN/TS 15810.
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