Par Thierry Rieser - Gérant du BET Enertech
Avec le label Energie Carbone, l’arrivée de l’électricité spécifique et de l’ACV dans le périmètre de la réglementation des bâtiments se concrétise. On ne peut que s’en réjouir car désormais, les consommations des 5 usages réglementaires sont devenues minoritaires dans le bilan « tous usages » des bâtiments à énergie positive et que d’autre part, l’impact de la construction représente autant d’énergie et d’émission de GES, que plusieurs dizaines d’années de fonctionnement. L’arbre ne cache plus la forêt… il reste à défricher la forêt !
Volet Energie – est-ce difficile d’atteindre les niveaux du label ?
Le Label E+/C- définit 4 niveaux de performance sur l’énergie. Volontairement, ces niveaux sont très échelonnés, du niveau Energie 1, facile à atteindre, au niveau Energie 4, très exigeant.
Donc est-il difficile de rentrer dans le label ? Non ! On peut même dire qu’en logement collectif, atteindre le niveau Energie 1 est plus facile que de respecter le niveau BBC de la RT2005 ! En effet, BBC visait 50 kW.h/m² sur 5 usages hors modulations quand le niveau Energie 1 vise 55 kW.h/m² et Energie 2 vise 50 kW.h/m².
Et les autres niveaux ? Le graphique ci-dessous présente la comparaison entre la mesure et le calcul du bilan BEPOS de deux opérations que nous avons suivies (l’Escale : 84 logements Passifs à Lyon Confluence, MOA : Rhône Saône Habitat ; Architecte : Hervé Vincent et Hermann Kaufmann ; BE et campagne de mesure : Enertech, ainsi que Brétigny : 54 logements Energie 0 à Brétigny-sur-Orge, MOA : I3F ; Architecte : Lipa & Serge Goldstein ; AMO et Campagne de mesure : Enertech).
Pour l’Escale, dont le chauffage et l’ECS sont assurés par une chaudière bois, on voit (ou plutôt on ne voit pas) une consommation sur ces deux postes comptée à zéro dans le bilan BEPOS. Ce bâtiment de conception Passive arrive donc au niveau Energie 3 sans avoir besoin de capteurs photovoltaïques. Nous alertons sur le risque que génère le coefficient d’énergie primaire nul du bois. Cela peut inciter à dégrader l’isolation de l’enveloppe. Les seuls garde-fous pour éviter ce phénomène sont le Bbio qui caractérise l’enveloppe, et le Cep max sur les 5 usages pour lequel le coefficient d’énergie primaire du bois reste à 1.
L’opération de Brétigny s/Orge qui vise le niveau énergie 0, dispose quant à elle, d’une production photovoltaïque. Cependant, aussi bien dans le calcul que dans la mesure, cette production ne suffit pas à compenser la totalité des usages y compris l’électricité spécifique, qui on le voit bien ici, représente la moitié des consommations d’énergie primaire. Cette opération atteint très largement le niveau Energie 3, ce qui est un très beau résultat.
→ Le label est donc accessible aussi bien aux opérations courantes, ne demandant qu’une amélioration marginale par rapport à la RT2012 (niveau Energie 1 et 2), qu’aux bâtiments pionniers en matière de performance (Energie 4). Tout l’enjeu sera de savoir quel niveau sera retenu comme base de la future réglementation… Va-t-on reculer sous le niveau du BBC de la RT2005 (Energie 1) ou réellement tendre vers les bâtiments à énergie positive avec les niveaux Energie 3 voire 4 ?
Quel est le surcoût d’un bâtiment Energie 4 ? L’exemple LowCal
Un des arguments qui va peser dans la décision du curseur de la prochaine réglementation, sera le coût induit par la performance. Au risque de surprendre, ce surcoût peut être nul !
J’en veux pour preuve les nouveaux bureaux qu’Enertech vient de construire à Pont de Barret. Livré en août 2016, ce bâtiment de 620 m² utiles, est le fer de lance d’un concept que nous avons baptisé LowCal et qui regroupe les principes suivants :
→ Low Tech : bâtiment sans installation de chauffage fixe, ventilation double flux décentralisée.
→ Low Calories : énergie positive tous usages confondus (le photovoltaïque produit 5 fois plus que notre consommation totale), forte isolation, maîtrise de la consommation d’électricité (éclairage à 2 W/m², informatique basse consommation…).
→ Low Impact : construction bois-paille, inertie apportée par la terre crue plutôt que le béton, qualité de l’air intérieur (matériaux sains…).
→ Local : matériaux et entreprises locales, dynamique d’implantation rurale. Un bureau d’études travaillant dans toute la France et à l’étranger, implanté à Pont de Barret, c’est possible !
→ Low cost : nous visions 1 200 € HT/m² SHON - pari tenu puisque le coût constaté est de 1 120 € HT/m² SHON (hors VRD).
LowCal est donc un bâtiment au niveau Energie 4 et Carbone 2, réalisé sans surcoût par rapport aux bâtiments de bureaux construits au niveau RT2012 en procédé traditionnel !
Ci-dessus, photo du bâtiment juste avant son inauguration. Plus d’information sur notre blog : http://leblog.enertech.fr
Cet exemple démontre à mon sens que :
- oui il faut être ambitieux dans la future réglementation car le surcoût de la performance n’existe que si on superpose de la complexité à une conception traditionnelle.
- A contrario, pour faire de la performance sans surcoût, la réponse est la conception intégrée de la performance, en clair investir dans la matière grise collective des architectes et des bureaux d’études.
L’euro investi en honoraires de la maîtrise d’œuvre permet de réduire les euros investis dans la construction ! Or, ce n’est pas la tendance actuelle de la profession où les taux d’honoraires ont chuté de façon dramatique depuis la crise de 2008, ce qui nous enfonce tous dans une spirale de manque d’intelligence en conception et de manque de suivi du chantier de constructions devenues de plus en plus complexes. Il faut sortir de cette logique !
Peut-on généraliser les bâtiments Energie 4 ?
Avec les règles actuelles… difficilement.
Pour s’en convaincre, faisons un petit exercice de calcul. Reprenons les consommations du bâtiment cité précédemment, l’Escale, avec sa chaufferie bois. Faisons l’hypothèse que la toiture est couverte à 95% par des capteurs photovoltaïques cristallins, de rendement 15%. Faisons maintenant évoluer le nombre d’étages, du plain-pied à R+5 : pour une emprise au sol donnée, plus il y a d’étages plus il y a de consommations alors que la production reste constante. Il est donc de plus en plus difficile de réaliser un bâtiment à énergie positive :
En l’état actuel des règles de calcul où d’une part, les Aue (Autres usages de l’énergie) sont forfaitaires et d’autre part, où l’énergie renouvelable exportée n’est comptée que pour un coefficient d’énergie primaire de 1 au-delà des 10 premiers kW.h/m² d’électricité exportée, il est impossible d’atteindre le niveau Energie 4 avec une simple couverture photovoltaïque dès R+2.
Or, il faut noter que pour limiter l’étalement urbain, il convient de ne pas favoriser exclusivement les bâtiments de plain-pied ou à R+1…
C’est pourquoi :
- Nous nous interrogeons sur la légitimité de cette règle de calcul sur l’énergie renouvelable exportée qui ne nous semble pas physiquement justifiée, notamment en contexte urbain ou toute exportation sera vite consommée par les bâtiments voisins.
- En tout état de cause, la notion d’énergie positive au sens strict, celle du niveau Energie 4, nous semble plus pertinente à l’échelle du quartier plutôt qu’à l’échelle du bâtiment. Une telle approche permettra d’inclure par exemple des ombrières photovoltaïques ou autre production renouvelable mutualisée entre plusieurs bâtiments.
- Le seuil entre Energie 4 et Energie 3, peut être déplacé au-delà de R+2 si on envisage d’autres productions d’énergie renouvelable tel que du photovoltaïque en façade, une micro-cogénération etc. mais également, si on permet de valoriser les bonnes pratiques de conception sur les Aue.
Ce qui nous amène à zoomer sur la question de ces fameux « Aue ».
Les Autres usages de l’énergie
Ce sujet est une des forêts jusqu’ici cachée par l’arbre des 5 usages. C’est un sujet complexe, car pour ne parler que du logement, les campagnes de mesures d’Enertech reflètent depuis de nombreuses années une forte variabilité des consommations d’électricité spécifique entre les opérations (voir les barres d’incertitudes en rouge dans le graphique ci-dessous).
Ces variations sont en parties dues à des comportements, plus ou moins sobres, qui sont hors du périmètre d’action de la réglementation. En revanche, une autre partie de ces variations est due à la performance et au dimensionnement des équipements eux-mêmes. Plusieurs études regroupées dans le graphique ci-dessous, cherchent à évaluer le gain entre la consommation moyenne des logements actuels et la consommation de logements équipés d’appareils performants (voir les flèches vertes).
Or pour l’instant, une valeur unique de consommation des « Autres usages électriques » est utilisée dans le label. Cette valeur fixe, rend d’ailleurs quasiment impossible le niveau « Energie 4 » à partir d’un certain nombre d’étages.
C’est pourquoi il nous semble que les « Autres usages électriques » ainsi que les puisages d’ECS devraient pouvoir être adaptés en fonction des bonnes pratiques possibles sur les opérations (pré-équipement en matériel performant, bon aménagement des cuisines, gestion des veilles, dispositifs hydro-économes, etc.).
Les données récentes concernant l’électricité spécifique, sont rares. C’est pourquoi il nous semblerait urgent de mettre en place un « observatoire de l’énergie » permettant de capitaliser des données de mesure des pratiques courantes et bonnes pratiques, en matière d’électricité spécifique notamment.
Et en tertiaire ?
Revenons un instant sur les nouveaux bureaux d’Enertech. Le graphique ci-dessous montre les consommations calculées par « méthode physique », basée sur la simulation thermique dynamique et des valeurs et méthodes de calcul, issues de nos campagnes de mesures que l’on compare aux mesures réalisées sur les 6 premiers mois d’utilisation ainsi qu’au calcul réalisé selon le label.
Si le calcul « physique » est proche de la mesure, on voit qu’il n’en est pas de même pour le calcul du bilan BEPOS dans lequel les Autres usages (Aue) forfaitaires sont 9 fois supérieurs à la réalité et d’autre part, la plus faible valeur d’énergie primaire de la production photovoltaïque (liée au coefficient d’énergie primaire de l’énergie exportée, évoqué précédemment). Résultat, notre bâtiment n’est que tout juste au niveau Energie 4 alors qu’il produit plus de 5 fois plus que sa consommation tous usages !
Il nous semble donc important d’introduire en tertiaire également la possibilité de moduler les Aue selon les bonnes pratiques de conception, que ce soit au niveau des choix d’équipements en informatique, des ordinateurs aux serveurs, du paramétrage des veilles ou encore du dimensionnement des onduleurs…
Impact climatique
L’analyse de cycle de vie est la seconde forêt cachée par l’arbre des consommations 5 usages, dont nous nous réjouissons qu’il soit à présent abordé. Pour l’instant seul l’impact climatique, ou bilan carbone, fait l’objet d’un objectif chiffré mais d’autres indicateurs sont également calculés.
Nous nous intéressons depuis plusieurs années à ces questions, aussi pour l’illustrer voici le bilan carbone d’une opération Passive conçue en refend béton, façade bois et plancher collaborant bois jusqu’à l’APD puis finalement variantée en ossature béton traditionnelle au DCE, (55 logements ZAC des Maisons Neuves à Villeurbanne (69) ; MOA : Les Nouveaux Constructeurs ; Architecte : Hervé Vincent ; BE fluides et QEB : Enertech).
Cette opération est particulièrement intéressante puisque ces deux variantes ont été étudiées avec un grand niveau de détail, permettant une ACV précise. Nous avons extrapolé une variante en performance énergétique dégradée au niveau RT2005.
L’étude ayant été réalisée bien avant la parution du label Energie Carbone, les calculs ont été réalisés avec l’outil e-LICCO qui est basé sur la base de données ecoinvent et non sur la base INIES. Les ordres de grandeurs demeurent intéressants.
Les niveaux de performance sur le carbone sont évalués sur deux critères, Eges pce qui se concentre sur l’impact des produits de construction uniquement et Eges qui couvre tout le cycle de vie. Regardons d’abord les résultats sur la construction uniquement :
On peut noter sur ce graphique :
- l’impact réduit des planchers bois-béton collaborant, par rapport à une dalle béton (en vert) et même l’impact négatif (puits de carbone) des façades bois, par rapport aux façades béton avec ITE polystyrène (en jaune).
NB : dans INIES désormais, les FDES des matériaux bois ne présentent plus de valeurs négatives, suite au changement de la règle de prise en compte du carbone biogénique. Cela nous semble regrettable car cette fonction de puits de carbone est bien réelle pendant toute la durée de vie du bâtiment, même si (et c’est la raison de ce choix) des incertitudes fortes planent sur la fin de vie de ces matériaux, qui s’ils sont incinérés sans valorisation énergétique vont relarguer leur carbone et annuler l’effet de puits. Nous aurions préféré que le périmètre du calcul Eges pce soit vraiment limité à la phase de construction et qu’ainsi, la fin de vie ne soit pas comptée sur cet indicateur. Ainsi dans le calcul Eges pce, la fonction de puits de carbone pendant la durée de vie du bâtiment, c’est-à-dire a priori tout le 21e siècle, aurait été valorisée. Puis sur l’indicateur Eges, la fin de vie serait intégrée avec une hypothèse pessimiste d’annulation du puits de carbone par extrême prudence…
- On note également l’impact initial plus important (à procédé constructif égal) d’une construction passive par rapport à une construction RT2005 (plus d’isolant, triple vitrage…). On verra par la suite que ce surinvestissement est vite compensé pendant la durée de vie, même limitée à 50 ans comme dans le Label.
- Sur cette typologie de bâtiment (logement collectif R+5 sans production photovoltaïque), le critère Eges pce du niveau Carbone 2 est très largement respecté pour les 3 variantes.
Si l’on s’intéresse à présent au critère Eges, on obtient le graphique suivant :
On voit ici :
- que sans surprise la variante RT2005 est bien plus impactante sur la totalité du cycle de vie. Elle n’atteint même pas le niveau Carbone 1.
- Que malgré l’énergie bois utilisée pour le chauffage et l’ECS, seule la variante en construction ossature bois atteint le niveau Carbone 2.
NB : nous n’avons pas encore testé une variante mettant en œuvre un béton bas carbone.
Comment modéliser les lots fluides ?
Une des difficultés rencontrées lorsqu’on fait de l’ACV détaillée sur des bâtiments est de modéliser les lots fluides avec leurs multiples métrés de tubes de différents diamètres, les calorifuges, les radiateurs, tous les équipements, etc. Sans compter le fait qu’il faut pouvoir disposer de tous ces composants dans la base de données utilisée…
C’est pourquoi le Label propose des valeurs par défaut pour les lots fluides.
Mais quelle est la pertinence de ces valeurs ? Pour apporter un élément de réponse, nous avons comparé le ratio du label sur le lot CVC aux ratios que nous avons développés avec Cycléco pour le logiciel e-LICCO et qui sont détaillés par ensembles techniques (génération, distribution, émission de chauffage, ventilation, etc.).
Les résultats sont présentés dans le graphique suivant :
On voit, et cela rejoint la volonté des concepteurs de la méthodologie Energie-Carbone, que le ratio proposé par défaut correspond à une valeur très pénalisante, puisque nous avons dû prendre en compte tous les ensembles techniques les plus impactants pour arriver à une valeur similaire.
Il est donc judicieux pour arriver à un résultat performant de modéliser avec détail les lots fluides. Retour à la case départ… sauf si l’on dispose de ratios comme ceux d’e-LICCO où il suffit de rentrer ses choix techniques pour réaliser sa modélisation ! Il est donc important que les logiciels ou le référentiel Energie Carbone intègre de tels ratios qu’il faudra transposer de la base ecoinvent à la base INIES.
Et en tertiaire ?
Comme indiqué précédemment, nos nouveaux bureaux, réalisés en construction bois-paille et dont l’inertie est apportée par de la terre crue et non par du béton, atteignent le niveau Energie 4 et Carbone 2. Ci-dessous quelques images de la construction :
Voici le bilan réalisé en vue de la certification :
Le critère Eges pce du niveau 2 est largement respecté, grâce au procédé constructif exclusivement en ossature bois à partir de la dalle béton entre le demi-niveau enterré et le rez-de-chaussée, y compris les planchers qui sont en bois remplis de briques d’argile crue.
De même, le critère Eges niveau 2 est respecté avec une certaine marge, grâce au faible impact initial et malgré les Aue pris en compte qui sont très supérieurs à la réalité mesurée.
Pari tenu pour notre bâtiment LowCal !
Autre aspect du Label
Nous tenons à saluer une autre innovation du label, la DIES, qui évalue le confort d’été non pas sur une valeur maximale de température (dont on ne sait pas combien de temps elle est atteinte), mais sur un cumul d’heures d’inconfort. C’est un indicateur qui nous semble bien plus pertinent pour l’usager et on ne peut que regretter qu’elle ne remplace pas (encore ?) la Tic comme critère d’évaluation du confort d’été.
Et un grand absent : la QAI !
Mais nous déplorons par ailleurs, que la qualité de l’air soit absente du Label. Lors du colloque EnerJ meeting en février dernier, le docteur Suzanne Déoux a rappelé ce manque avec force et conviction et nous adhérons totalement à son point de vue. Nous plaidons pour que ce grand sujet de santé public soit réintégré à la future réglementation et non pas mis sous le tapis comme une vérité qui dérange…
Pour conclure
En conclusion, je précise que toutes ces remarques visent à contribuer de façon constructive à la réflexion sur le label en cette période d’expérimentation et que globalement nous nous réjouissons du fait que la réglementation évolue vers une approche plus globale de l’impact environnemental des bâtiments !
Par Thierry Rieser
Gérant du BET Enertech
Excellent dossier ! Je vous en remercie car je comprends mieux certains éléments sur lesquels repose le label.